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126728 octobre 2009 — Michael T. Klare, professeur de peace and world security studies au Hampshire College, dans le New Hampshire, spécialiste des questions d’énergie, historien et auteur respectés, est aussi un contributeur fréquent au site TomDispatch.com de Tom Engelhardt. Nous nous attachons à sa dernière publication, «The Great Superpower Meltdown» (le 26 octobre 2009.)
(Le terme “meltdown” est celui que les Anglo-Saxons emploient pour désigner le sort du secteur financier et bancaire avec 9/15 et les événements qui suivirent; il signifie littéralement “fusion”, ou bien encore “dissolution” – et nous dirions encore, plus volontiers: réduction, contraction, auto-combustion, un système qui se réduit en dedans lui un peu à la manière des Jivaros réduisant la tête de leurs adversaires décapités, mais sans intervention des Jivaros.)
Klare commence en citant le rapport du National Intelligence Council (NIC), dont nous parlions nous-mêmes le 21 novembre 2008, qui prévoyait une réduction radicale de l’influence US pour 2025, c’est-à-dire la fin de l’hégémonie – pour nous dire: 2025, c’est aujourd’hui!
«But the economic crisis and attendant events have radically upset that timetable. As a result of the mammoth economic losses suffered by the United States over the past year and China's stunning economic recovery, the global power shift the report predicted has accelerated. For all practical purposes, 2025 is here already. Many of the broad, down-the-road predictions made in Global Trends 2025 have, in fact, already come to pass….»
Ce n’est pas nous qui allons contredire Klare, qui écrivions justement, à propos de ce rapport et selon la référence citée du 21 novembre 2008:
«Le rapport NIC 2008 va servir aux événements, pour dépasser ses prévisions: ce n’est plus 2025 qu’il faut fixer comme prévision, mais 2008 comme base de cette prévision, avec une accélération à mesure qui contracte le temps historique à venir et nous fera parvenir à “2025” beaucoup plus vite que ne le suggère cette date.»
Klare distingue divers événements qui marquent une détérioration très rapide de la position US. Il en distingue six, parmi d’autres car il n’en manque pas, que nos lecteurs reconnaîtrons puisque nous en parlons souvent – que ce soit l’effacement du G7/G8 au profit du G20, l’émergence du BRIC avec la réunion d’Ekaterinbourg, la mise en cause du dollar, l’abandon du BMDE, etc. Tout cela met en scène et rythme la perte accélérée de l’influence US, et la prise en compte, volens nolens, de cette perte accélérée par l’administration Obama.
«These are only a few examples of recent developments which indicate, to this author, that the day of America's global preeminence has already come to an end, years before the American intelligence community expected. It's increasingly clear that other powers – even our closest allies – are increasingly pursuing independent foreign policies, no matter what pressure Washington tries to bring to bear.
»Of course, none of this means that, for some time to come, the U.S. won't retain the world's largest economy and, in terms of sheer destructiveness, its most potent military force. Nevertheless, there is no doubt that the strategic environment in which American leaders must make critical decisions, when it comes to the nation's vital national interests, has changed dramatically since the onset of the global economic crisis.
»Even more important, President Obama and his senior advisers are, it seems, reluctantly beginning to reshape U.S. foreign policy with the new global reality in mind…»
Nous suivons parfaitement le raisonnement de Michael T. Klare, y compris dans cette dernière appréciation, selon laquelle, d’une façon nuancée mais de plus en plus nettement, l’administration Obama oriente de plus en plus la politique extérieure vers le repli. Klare pense, notamment, que les atermoiements d’Obama face à l’Afghanistan, son refus de suivre McChrystal sans plus délibérer, sont bien le signe que le président est en fait de plus en plus hésitant à relancer la guerre comme il l’envisageait d’abord. (Ce que nous écrivons ce 28 octobre 2009 à propos de la démission du haut fonctionnaire US Matthew Hoh va dans ce sens.) Tout cela se ramène, pour l’historien US, au constat que les USA sont en train de devenir «a normal country»…
Néanmoins, néanmoins… La question devient alors: les USA pourront-ils devenir «a normal country»? Nous sommes sans hésitation en plein accord avec l’idée que c’est aujourd’hui la question centrale.
«So, welcome to the world of 2025. It doesn't look like the world of our recent past, when the United States stood head and shoulders above all other nations in stature, and it doesn't comport well with Washington's fantasies of global power since the Soviet Union collapsed in 1991. But it is reality.
»For many Americans, the loss of that preeminence may be a source of discomfort, or even despair. On the other hand, don't forget the advantages to being an ordinary country like any other country: Nobody expects Canada, or France, or Italy to send another 40,000 troops to Afghanistan, on top of the 68,000 already there and the 120,000 still in Iraq. Nor does anyone expect those countries to spend $925 billion in taxpayer money to do so – the current estimated cost of both wars, according to the National Priorities Project.
»The question remains: How much longer will Washington feel that Americans can afford to subsidize a global role that includes garrisoning much of the planet and fighting distant wars in the name of global security, when the American economy is losing so much ground to its competitors? This is the dilemma President Obama and his advisers must confront in the altered world of 2025.»
Bien sûr, le problème exposé par Klare est celui qui devient, de loin, le plus mystérieux, le plus explosif et le plus préoccupant. Il n’est plus de savoir si la puissance des USA s’effondre (est en train de s’effondrer), ce qui est une évidence, mais comment et avec quels effets cette puissance s’effondre (est en train de s’effondrer). On comprend qu’il y a une grande nuance, une immense différence dans le fait de dire que “la puissance des USA s’effondre” et le fait de dire, comme on pourrait être tenté de faire également mais qui serait faux, “les USA s’effondrent”.
Cette différence est d’autant plus grande que nous sommes dans l’époque des artifices de la communication, au pays qui a créé la communication comme artifice suprême pour dissimuler ou compenser ses faiblesses, dont la principale est d’être un pays, ou une entité, complètement anhistorique. On peut, on a les moyens de dissimuler une situation générale, comme on le sait si bien, jusqu’à une situation de virtualisme – dans tous les cas, pendant un certain laps de temps. Encore récemment, Andrew Bacevich soulignait la dualité antagoniste des actes et discours de l’administration Obama entre une certaine politique de retenue, voire de repli, et un discours qui, par instants, est plus que jamais celui de la réaffirmation de la puissance dite dans des termes emphatiques et messianiques…
«…On the other hand, the president, Secretary [of State Hillary] Clinton, Ambassador Susan Rice at the United Nations, others, continue to make statements that clearly indicate their belief that the United States is called upon and has the capability to bring history to its intended destination.
»I mean, in his Grant Park speech the night he was elected, President Obama talked about America bending the arc of history. In a speech not long ago, Hillary Clinton quoted [revolutionary Thomas] Paine. I think the quote goes, “We have it within our ability to start the world all over again.”»
La question, finalement, revient à celle-ci, désormais sempiternelle (elle est déjà venue sous notre plume plus haut, en présentant le texte de Klare): les USA peuvent-ils devenir un “un pays normal”? (Notez que nous n’écrivons pas “redevenir”, parce que les USA n’ont jamais été un “un pays normal”, et cela est un autre facteur aggravant du problème posé.) Les USA peuvent-ils subir une crise massive comme celle qu’ils affrontent et s’en sortir en s’adaptant aux nouvelles conditions, réduites, restreintes et contraintes, suscitées par cette crise?
Certes, et nos lecteurs le savent bien, nous en doutons absolument. L’Histoire – qui existe, contrairement aux convictions américanistes – montre que, jusqu’ici, les USA n’ont pas pu réaliser une transmutation vers la “normalité” d’une vraie nation; qu’ils sont sortis, si l’on peut dire “sortir”, des crises majeures avec des prétentions plus grandes que jamais, imposant aux relations internationales des contraintes telles que la crise apparemment résolue l’était dans des conditions telles qu’elle préparait la suivante ou bien une renaissance sous une autre forme de la même crise endémique jamais résolue et impossible à résoudre en prétendant conserver toute la puissance initiale. (La Grande dépression ne fut “résolue” qu’en créant un complexe militaro-industriel et un gouvernement lié à elle, préparant effectivement l’évolution jusqu’à aujourd’hui. D’où la tendance quasi-universelle, si pressante aux USA, de prendre la Grande Dépression comme référence pour la situation actuelle. Cela en dit long sur la pression sur la psychologie de ces opérations de réparation sommaire de la puissance US.) La grande, l’immense différence avec ces expériences antérieures, comme le dit Klare, sur ce point en accord complet avec notre analyse, est la rapidité stupéfiante des événements (de la “chute de la puissance US”) par rapport à ce qui a précédé – 2025 déjà aujourd’hui, en onze mois, de novembre 2008 à octobre 2009!
Le test là-dessus sur cette capacité d’adaptation à la normalité, qui est à notre sens perdu d’avance, viendra vite, sur tel ou tel aspect de la crise. Par exemple, l’hypothèse esquissée par Klare selon laquelle l’administration Obama est en train d’hésiter vraiment à propos de l’Afghanistan est intéressante et, comme on l’a vu, soutenue par des faits immédiats. Peut-être cette indécision est-elle, également, en plus d’un caractère trop mesuré et ainsi hésitant, le signe d’une opinion en train d’évoluer? Peut-être le Obama de fin octobre n’est-il plus le Obama de fin septembre? Peut-être, alors, telle ou telle décision sur l’Afghanistan, plutôt dans le sens d’un retrait, mettrait-elle le feu aux poudres? En effet, l’alternative à l’idée que les USA peuvent devenir un “un pays normal”, c’est l’idée du feu aux poudres. Telle décision sur la voie de se transformer en “un pays normal”, soudain perçue comme la décision de l’abandon, de la trahison, et voilà le feu mis aux poudres.
La question centrale devient alors, aujourd’hui de savoir si, et si oui dans combien de temps, la situation présente (“la puissance des USA s’effondre”) risque-t-elle de se transformer en cette situation hypothétique mais selon nous inéluctable (“les USA s’effondrent”). Notre première réponse est que, désormais, le “quand” a complètement supplanté le “si”, désormais passé du stade de la question au stade de l’affirmation; notre seconde réponse est que le “quand” risque de concerner un délai très rapide, en fonction de la rapidité des événements et des pressions d’une communication qui continue à farder la réalité au profit du virtualisme en accentuant ainsi tension et pression. Notre constat est que les conséquences sur les relations internationales et, surtout, sur la perception psychologique du poids et de la légitimité du système de l’américanisme dans ces relations, avec sa mise en cause radicale, seront considérables, très rapides et bouleversantes. C’est notre thèse sur les effets de la disparition dans notre psychologie collective du mythe de l’American Dream.
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