$125 milliards escroqués? «Stuff happens…»

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Est-ce une nouvelle tentative sérieuse de record du monde postmoderne de l’escroquerie dans les conditions courantes de notre-démocratie? Les généraux US sont-ils meilleurs que Madoff? Les vrais pilleurs de l’Irak sont-ils les autorités étoilées et libératrices plutôt que les pilleurs de Bagdad? Qui s’en étonnerait? Les lecteurs américains liront-ils ce type d’article?, se demande un lecteur américain du site de The Independent, en commentaire de l’article mis en ligne ce 16 février, de Patrick Cockburn qui se trouve en Irak.

L’affaire se résumerait joliment en ceci que des chefs militaires US, travaillant en pleine et loyale coopération avec des contractants privés, sans doute aussi avec des officiels irakiens, auraient “siphonné” jusqu’à $125 milliards d’aide destinés à l’Irak nouvelle-et-démocratique des néo-conservateurs, de Cheney et de GW. «Stuff happens», comme disait le philosophe Rumsfeld, commentant poétiquement les pillages des musées archéologiques de Bagdad, sous l’œil impavide et néanmoins civilisateurs (“to win minds and hearts”) des G.I.’s victorieux. Cockburn, excellent enquêteur généralement fort bien renseigné, nous révèle qu’une enquête est lancée par les services d’inspection des services de la reconstruction de l’Irak.

«In what could turn out to be the greatest fraud in US history, American authorities have started to investigate the alleged role of senior military officers in the misuse of $125bn (£88bn) in a US -directed effort to reconstruct Iraq after the fall of Saddam Hussein. The exact sum missing may never be clear, but a report by the US Special Inspector General for Iraq Reconstruction (SIGIR) suggests it may exceed $50bn, making it an even bigger theft than Bernard Madoff's notorious Ponzi scheme. “I believe the real looting of Iraq after the invasion was by US officials and contractors, and not by people from the slums of Baghdad,” said one US businessman active in Iraq since 2003.

»In one case, auditors working for SIGIR discovered that $57.8m was sent in “pallet upon pallet of hundred-dollar bills” to the US comptroller for south-central Iraq, Robert J Stein Jr, who had himself photographed standing with the mound of money. He is among the few US officials who were in Iraq to be convicted of fraud and money-laundering.

»Despite the vast sums expended on rebuilding by the US since 2003, there have been no cranes visible on the Baghdad skyline except those at work building a new US embassy and others rusting beside a half-built giant mosque that Saddam was constructing when he was overthrown. One of the few visible signs of government work on Baghdad's infrastructure is a tireless attention to planting palm trees and flowers in the centre strip between main roads. Those are then dug up and replanted a few months later.»

Il semblerait que des Irakiens officiels aient été impliqués, ou aient pris connaissance de divers aspects de l’une ou l’autre affaire. L’impression que nous aurions, par rapport à la réputation qu’on fait à cette sorte d’acteurs (les Irakiens “officiels”, d’abord collaborateurs des autorités occupantes avant de s’émanciper), est qu’ils n’ont jamais figuré que comme des amateurs à côté des acteurs US, qu’ils semblent avoir été époustouflés par les capacités escroqueuses des cadres de l’armée et des contractants civils. En un mot, le souk, le “bazar” que les légions américanistes allaient éduquer en mode démocratique majeur, ce sont ces mêmes légions qui les ont importés en Irak. Ce n’est pas vraiment une surprise.

«Iraqi leaders are convinced that the theft or waste of huge sums of US and Iraqi government money could have happened only if senior US officials were themselves involved in the corruption. In 2004-05, the entire Iraq military procurement budget of $1.3bn was siphoned off from the Iraqi Defence Ministry in return for 28-year-old Soviet helicopters too obsolete to fly and armoured cars easily penetrated by rifle bullets. Iraqi officials were blamed for the theft, but US military officials were largely in control of the Defence Ministry at the time and must have been either highly negligent or participants in the fraud.»

Cet immense bordel importé et installé par un système qu’on charge par ailleurs, assez étrangement, de formidables vertus comploteuses et conquérantes, coordonatrices et organisatrices des plus grandes et habiles fourberies, se répercute dans tous les domaines de l’armée. La militarisation forcenée de l’américanisme par les génies révélés par 9/11, de Cheney à Wolfowitz, a plongé l’armée US dans un trou noir de désordre et de malaise, que ce soit dans l’univers de la comptabilité ou dans celui de la psychologie.

• Quelle psychologie? Celle d’une armée qui ne sait plus ce qu’elle est ni ce qu’elle fait, une armée lancée dans des campagnes incertaines et qui semblent infinies, pour on ne sait quel but, selon on ne sait quelle stratégie. Une armée qui bat des records de suicides chaque mois, qui ramène aux USA des foules d’hommes et de femmes marqués dans leur psychologie par une expérience cruelle et incompréhensible. C’est le thème de la chronique du 16 février, sur TomDispatch.com, sur l’armée des Etats-Unis devenue une sorte de “Légion Etrangère” américaniste, – et, en vérité, sans guère de rapport avec le corps français du même nom malgré l’argument évoqué dans la deuxième partie du texte cité. Tom Engelhardt conclut son propre commentaire, évidemment, par l’évidence : il faut cesser, partir, rentrer chez soi…

«While the Army struggles, not particularly effectively, to deal with its suicide problem, political and military leaders struggle no less unimpressively to deal with the larger problems of military stress. Their unanimous solution to the global policy version of post-traumatic stress disorder: Cut down on those tours of duty and repair the military by significantly expanding U.S. forces. The obvious response, the one that could bring the military back to a state of health, is of course roundly ignored: Downsize the global mission. Bring American troops home.»

• Voici aussi Alan Bock, commentateur conservateur modéré qui publie notamment sur le site Antiwar.com, publiant ce 16 février un article où il revient sur la responsabilité énorme des guerres bushistes dans l’actuelle récession, – occurrence qui, soit dit en passant, différencie décisivement cette crise de la Grande Dépression, puisque la “sortie de crise” de la Grande Dépression fut la guerre et qu’aujourd’hui, c’est la guerre qui est en bonne partie cause de la crise. La conclusion de Bock, devant le spectacle de cette armée paralysée, complètement plongée dans l’anarchie du gaspillage et de la corruption, paralysée par sa puissance stérile, c’est, – bien sûr, le repli, la retraite, le retour chez soi…

«In short, the United States may not be able to afford the empire it has built over the years, or indeed to redeem the numerous promises the government has made to Americans that they will be supported comfortably in their old age. The possibility that somebody in a garage is developing a technology as revolutionary in its efficiency-boosting implications as the computer has been cannot be discounted, but it cannot be guaranteed either. Hard choices are ahead in a society that may well be significantly less entrepreneurial than it has been in the past. […]

«If it turns out, however, that we can afford neither humanitarian nor ostensibly geopolitically advantageous military interventions because they keep us from meeting needs at home (whether these should be done through free markets or government activity will still be tussled over), however, we might just decide to let Afghans, Pakistanis, Indians, Estonians, Lithuanians, Poles, Czechs, Slovaks, and so many more – not to mention Russia, China, Japan, south Asia, and a Middle East we have never mastered – decide for themselves how to live. We might maintain the illusion that we could reduce the amount of suffering and bloodshed if only we had the resources to intervene, but we don't.»

L’horrible spectacle qu’offre l’énorme puissance en décomposition qu’est l’outil militaire US est sans doute l’épreuve la plus rude imposée à la psychologie américaine, celle qui est bien obligée de vivre dans le système américaniste mais qui s’en défie de plus en plus comme d’un poison mortel. L’ère Obama devrait ouvrir de plus en plus grande les portes au ressentiment et au dégoût populaires, non plus contre la guerre elle-même, mais contre l’implantation extérieure de l’appareil militaire sous quelque forme que ce soit; voire, plus encore, contre les structures militaires en général et sous toutes les formes possibles. Le système américaniste a pris un risque considérable en affichant de façon aussi voyante sa collusion totale avec l’appareil militaire, car il va en subir les conséquences au niveau du rejet de la population; bientôt, c’est le gouvernement central lui-même qui subira cette désaffection qui pourrait se transformer en hostilité agressive, et constituer un formidable ferment centrifuge aux USA.


Mis en ligne le 16 février 2009 à 15H44