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106429 janvier 2009 — Le GAO vient de rendre public un rapport, en date du 27 janvier 2009, qui présente une situation et des perspectives extrêmement inquiétantes de la situation de la souveraineté US, dans le domaine du contrôle de l’espace aérien national. Le rapport est intitulé HOMELAND DEFENSE – Actions Needed to Improve Management of Air Sovereignty Alert Operations to Protect U.S. Airspace. Il s’intéresse à la situation de l’USAF et à sa capacité d’assurer sa mission centrale, qui est le contrôle et la surveillance de l’espace aérien des USA, c’est-à-dire par excellence la “mission souveraine” des forces aériennes US.
Nous avons souvent abordé ce problème, celui de l’USAF d’abord depuis les déboires qui ont commencé dans sa flotte de combat actuelle, notamment avec le sort des chasseurs F-15 (à partir de novembre 2007), qui assurent une part importante de cette mission de souveraineté et qui présentent des signes de vieillissement inquiétants ; il y a eu des retraits prématurés d’avions vieillis, des interdictions de vol temporaires et prolongées, des restrictions de vol sérieuses et permanentes, – 15% de la flotte aérienne US vit avec des restrictions de vol très exigeantes qui réduisent d’au moins 50% leurs capacités de remplir leurs missions des avions. (L’affaire est résumée notamment par un de nos textes publié le 29 décembre 2007, alors que de nombreux autres textes sur ce site s’attachent ponctuellement ou plus à divers aspects de cette question.) D’autre part, nous avons souvent mis en évidence l’importance spécifique de la mission de “contrôle souverain de l’espace aérien national”, pour prendre une terminologie plus politique de la mission de la “défense aérienne du territoire”. Cette mission est la “mission de souveraineté” par excellence, comme nous l’exposons dans un texte du 10 octobre 2007, texte qui n’est pas lié à l’USAF mais qui, à partir de remarques du ministre français de la défense sur l’avion Rafale, expose effectivement l’importance ontologique de cette mission par rapport à l’importance plus relative des autres missions de combat aérien.
Aujourd’hui (ou, plutôt, le 27 janvier), le GAO met en cause la situation de l’USAF, c’est-à-dire sa capacité à assurer sa mission de combat fondamentale et centrale, sa “mission de souveraineté”. Le terme employé est ASA, pour Air Sovereignty Alert, où le terme souveraineté est essentiel puisqu’il désigne le sécurité fondamentale, l’intégrité de la nation.
Après avoir observé que le statut des missions ASA est régulièrement et systématiquement négligé (absence d’évaluation systématique de l’état des capacités), le GAO observe :
«The Air Force has not implemented ASA operations in accordance with DOD, NORAD, and Air Force directives and guidance, which instruct the Air Force to establish ASA as a steady-state (ongoing and indefinite) mission. The Air Force has not implemented the 140 actions it identified to establish ASA as a steady-state mission, which included integrating ASA operations into the Air Force’s planning, programming, and funding cycle. The Air Force has instead been focused on other priorities, such as overseas military operations. While implementing ASA as a steady-state mission would not solve all of the challenges the units must address, it would help them mitigate some of the challenges associated with conducting both their ASA and warfighting missions.»
Le GAO observe de très grandes négligences dans le statut de cette mission. Tout se passe comme si cette mission était considérée comme secondaire (par rapport aux missions de projection de puissance). Il n’y a pas d’unité organiquement affectée à cette mission, à partir d’une structure en place; aucune surveillance sérieuse n’est réalisée pour en mesurer ses capacités… «Because the Air Force has not implemented ASA as a steady-state mission or formally assigned the mission to the units, it does not assess ASA readiness. By assessing the readiness of units that consistently conduct ASA operations, DOD would be better assured that these units are organized, trained, and equipped to perform ASA operations.»
Les perspectives sont extrêmement inquiétantes, puisque le GAO détermine qu’en 2020, dans les conditions actuelles de projection des commandes d’avions de combat, 11 des 18 “sites de mission ASA” pourraient n’avoir aucun avion à leur disposition. Le GAO détermine des restrictions considérables des capacités de combat aérien de l’USAF sur les 15 ans, compte tenu de la programmation projetée par l’USAF. Aujourd’hui (2008), il y a, selon le GAO, 2.325 avions de combat USA capables d’accomplir leurs missions (avec une part avec des restrictions). Compte étant tenu de l’arrivée de nouveaux avions et du départ d’avions trop vieux pour continuer à voler, le chiffre tombera à 1.175 en 2020 et à 1.100 en 2025. Il s’agit de l’équivalent pour l’aviation de combat US d’une terrifiante courbe démographique négative.
«The Air Force faces two challenges to sustaining its ASA capabilities over the long term—(1) replacing or extending the service life of aging fighter aircraft and (2) replacing ASA units with equipment and trained personnel when they deploy. For example, if aircraft are not replaced by 2020, 11 of the 18 current air sovereignty alert sites could be without aircraft. The Air Force has not developed plans to mitigate these challenges because it has been focused on other priorities. Plans would provide the Air Force information that could assist it in ensuring the long-term sustainability of ASA operations and the capability of ASA units to protect U.S. airspace. »
On retiendra deux passages du seul summary du rapport du GAO parce que, alors qu’ils résument la critique principale faite contre l’utilisation et la structuration de l’USAF, il vont implicitement au-delà et mettent en cause la politique extérieure des USA. (Les passages qui nous importent sont soulignés en gras.)
• «The Air Force has not implemented the 140 actions it identified to establish ASA as a steady-state mission, which included integrating ASA operations into the Air Force’s planning, programming, and funding cycle. The Air Force has instead been focused on other priorities, such as overseas military operations.»
• «For example, if aircraft are not replaced by 2020, 11 of the 18 current air sovereignty alert sites could be without aircraft. The Air Force has not developed plans to mitigate these challenges because it has been focused on other priorities.»
De ce point de vue, on comprend aussitôt que le rapport ne met pas en cause l’USAF elle-même, ou pas seulement l’USAF. En “se concentrant” sur d’autres missions que la mission ASA, l’USAF n’a fait que suivre les instructions du pouvoir civil, avec les nombreuses missions, guerres, interventions, projetées hors des frontières du territoire national depuis le début des années 1990. Cet aspect des choses est, sans que cela soit précisément souligné, complètement fondamental. L’état actuel des effectifs de l’USAF, le déséquilibre défavorable à la mission centrale ASA, sont la conséquence d’une politique extérieure sollicitant d’une façon presque exclusive des actions de projection de forces. La politique extérieure des huit dernières années au moins, avec une orientation préliminaire déjà forte dans la décennie précédente, a complètement orienté la structure des forces US vers l’offensive, la projection des forces, etc.
Nous sommes moins dans le cas d’une force aérienne sous-équipée, même si c’est le cas dans le résultat, que dans celui d’une “politique impériale” pour un empire qui n’en a pas les moyens. Il s’agit du cas classique d’un “overstetched military” à cause d’une “overstretched imperial policy”. Qui plus est, il s’agit d’une politique immorale du point de vue américaniste, si l’on veut bien s’en tenir à la logique de la situation ainsi décrite. L’expansion des ambitions militaires, le renforcement, au moins budgétaire, de l’appareil militaire, après l’attaque 9/11 et en principe à cause de l'attaque 9/11, ont abouti à cette situation paradoxale et criminelle du point de vue de la sécurité nationale où la défense et le contrôle de l’espace aérien national sont en très grand danger; et l’on sait que l’attaque 9/11 s’est faite par les airs, dans l’espace aérien national… Cette situation paradoxale mesure la complète tromperie conceptuelle qui a caractérisé la “guerre contre la terreur” et établit d’une façon irréfutable combien cette période a été fondée sur une politique faussaire, développant des analyses virtualistes complètement trompeuses.
Le résultat est, lui, tout à fait réel. L’affaiblissement grandissant des capacités de contrôle de l’espace aérien national est un problème extrêmement grave pour les USA, et potentiellement explosif. Outre la seule question des avions de combat, c’est toute la structure de l’USAF, orientée vers l’extérieur, qui est ici en cause. Si l’on ne perçoit pas pour l’instant de danger sérieux d’attaque aérienne conventionnelle (bien que ce potentiel existe néanmoins), il existe des situations où l’affaiblissement de la défense aérienne US peut avoir des conséquences structurelles graves pour la sécurité nationale. Outre les attaques terroristes, on peut citer de façon plus réaliste l’activité aérienne de divers trafics ou autres entreprises illicites, certaines pouvant devenir agressives, de la part de puissances illégales et non-étatiques telles que les cartels de la drogue installés au Mexique, qui effectuent de plus en plus d’incursions dans la région méridionale des USA.
Dans cette même appréciation prospective éclairée par les choix stratégiques faits en fonction de la politique extérieure US, on sait que le seul avion prévu pour la modernisation massive des forces aériennes US est le JSF. Outre les énormes problèmes qu’il connaît aujourd’hui, comme le GAO l’a lui-même très récemment mis en évidence, le moins qu’on doive observer à son propos est que cet appareil est bien mal adapté pour des missions ASA de contrôle, de surveillance et de défense aérienne du territoire. Malgré tous les efforts de communication de Lockheed Martin et du JSF Program Office du Pentagone, experts dans le maniement des montages de désinformation autour du JSF, ce même JSF reste obstinément, selon la définition de lui donnée en 1996 par le chef d’état-major de l’USAF, le général Fogleman (“a truck-like vehicle”), un “camion à bombes”; qu’est-ce qu’un “camion à bombes” irait faire pour le contrôle et la défense aérienne du territoire? Quant à sa capacité stealth développée pour échapper au radar, qui pénalise toutes ses autres capacités dont certaines seraient utiles au contrôle de l’espace aérien national, son utilité est là aussi problématique; on sait qu’il n’est question, au-dessus du territoire US, que de radars US.
Cette situation potentiellement catastrophique mise en évidence par le GAO conduit à une observation centrale. Tous les efforts de la politique extérieure US de ces huit dernières années, ont eu pour but une action de déstructuration des adversaires potentiels des USA, conformément à la dynamique de la globalisation dont le système américaniste est le promoteur et le modèle. Cette action de déstructuration a notamment comme objectif de mettre en cause et de tenter de détruire les souverainetés des autres, puisque la souveraineté est le facteur structurant essentiel. L’on découvre alors que l’un des effets indirects de cette politique est de mettre en cause la souveraineté des USA, en dégarnissant ses défenses, voire en mettant en cause la principale mission structurante des forces aériennes, la mission de souveraineté.
Il s’agit d’un effet classique dit de “blowback” (“sale coup en retour”, en général inattendu et imprévu), – selon le terme popularisé par l’historien Chalmers Johnson d’après l’usage qu’en fait la CIA depuis les années 1950. C’est une mesure de la folie qui frappe cette politique extérieure US, à l’image d’une puissance enivrée par un rêve impérial, sans aucune conscience des effets entraînés par les développements de puissance technologique sur lesquels elle a fondé sa force.
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