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3341Ce dialogue entre Barack Obama et Dmitri Medvedev, au sommet de la sécurité nucléaire, hier à Séoul, est désormais célèbre. C’est une de ces occurrences heureuses où un micro reste branché, alors qu’il ne devrait pas l’être. Dans le script, on doit signaler aux plus rêveurs d’entre nos lecteurs que pour Vladimir (ou “Vlad”), on doit lire Poutine.
BHO: «On all these issues, but particularly missile défense, this can be solved but it’s important for [Vladimir] to give me space.»
Medvedev : «Yeah, I understand. I understand your message about space. Space for you…»
BHO : «This is my last election. After my election I have more flexibility.»
Medvedev : «I understand. I will transmit this information to Vladimir.»
Le dialogue est maintenant célèbre, partout diffusé, avec des commentaires divers. Reuters (FirstPost.com, le 27 mars 2012), nous rapporte la fine réaction du candidat aux primaires du parti républicain, Mitt Romney :
«Republican presidential candidate Mitt Romney seized on Obama’s comment, calling it “alarming and troubling.” “This is no time for our president to be pulling his punches with the American people,” Romney said in a campaign speech in San Diego.»
…Ou Russia Today, le 27 mars 2012, qui nous rapporte les réactions, en toute ingénuité, de l’état-major de la Maison-Blanche, pris off guard mais, finalement, décidant d’exploiter l’affaire comme s’il s’agissait de rien moins qu’une déclaration officielle.
«The intended private conversation between the two leaders initially caught the White House off guard. Obama’s request to the current Russian president later sparked the White House to release a statement. “I think as you saw from their remarks, there was a very positive tone,” said the National Security Advisor for Strategic Communications Ben Rhodes. “Since 2012 is an election year in both countries, with an election and leadership transition in Russia and an election in the United States, it is clearly not a year in which we are going to achieve a breakthrough,” Rhodes added. […]
»Although disagreements have arisen in the past, Rhodes said the future for the two countries to collaborate on the project is plausible. “We should continue to be working on this issue at the technical level; that there are steps that can be taken on both sides to gain better understanding of the US and Russian,” he added. “President Obama and President Medvedev agreed that it was best to instruct our technical experts to do the work of better understanding our respective positions, providing space for continued discussions on missile defense cooperation going forward," he said.»
De ce dialogue, BHO-Medvedev, essentiellement sur le réseau BMDE, on peut admettre qu’il marquer la reconnaissance implicite, qui sera quasiment prise pour de l'explicite, de la part du président US, 1) qu’il ne contrôle pas sa propre politique, et 2) que la politique de sécurité nationale US, notamment sur le réseau antimissiles BMDE, est marquée par des conditions qui ne satisfont pas les Russes pour de justes raisons, donc que cette politique US issue du Système est évidemment biaisée et faite pour affirmer unilatéralement une puissance déstabilisatrice et aboutir effectivement à imposer des positions de force que les Russes refusent à juste raison.
Nous n’allons pas spéculer sur la promesse d’Obama, de montrer plus de flexibilité sur la question du BMDE (défense antimissiles en Europe), comme sur d'autres, parce que nous ignorons, et lui aussi (BHO) d’ailleurs, et “Vlad” de même, si cela lui sera possible (de faire des concessions, comme il l’annonce). BHO, s’il est élu, sera toujours prisonnier d’une terrifiante machine, qui se nomme Système, et il lui faudra bien de l’audace, celle d’un faiseur de coup d’État, pour arriver à imposer une décision comme celle de faire les concessions fondamentales que les Russes réclament sur la question du BMDE. (Cette remarque vaut, dans le même sens, pour toute autre question sérieuse de sécurité nationale.) BHO a peut-être la lucidité et le potentiel intellectuel qu’il faut pour comprendre et envisager que cette sorte de rupture est nécessaire, mais il a déjà montré combien il manquait de caractère pour cela, et combien il capitulait aisément sur un nombre très grand de problèmes pour terminer comme un double caricaturé et grossi de GW Bush… Alors, on se permettra d’attendre pour voir s’il arrive un jour à être l’“American Gorbatchev” qu’on a déjà souvent espéré qu’il serait.
Pour le reste, ce providentiel micro laissé accidentellement (?) ouvert nous permet quelques remarques qui sont, pour l’essentiel, la confirmation de nombreux commentaires déjà proposés. Mais une confirmation quasiment officielle, dans tous les cas officiellement actée par la Maison-Blanche qui n’a rien retiré des propos accidentellement entendus du président, constitue un point extrêmement intéressant pour conduire toutes ces remarques.
• Effectivement, les mots d’Obama confirme bien que le président US évolue au sein d’un système de sécurité nationale, qui est effectivement au cœur du Système en général, et qu’il en est le prisonnier assez notablement conscient. Ils nous disent que le président reconnaît être implicitement conscient que nombre de propositions US étaient inacceptables pour les Russes, que nombre de positions de politique de sécurité nationale émanent du Système et non d’une politique consciemment élaborée du président. Sur tout cela, on avait fait des hypothèses allant dans ce sens, et nous tenions fermement notre conviction que ces hypothèses étaient fondées. Sans surprise, donc, BHO confirme.
• Les propos de BHO disent effectivement aux Russes, et à Poutine en particulier, que leurs oppositions sur divers problèmes, et notamment sur la défense anti-missiles, est parfaitement justifiée, et que la responsabilité du blocage de ces affaires retombent sur l’appareil de sécurité nationale US. C’est dans tous les cas de cette façon que les Russes, et Poutine plus qu’aucun autre, interpréteront le message d’Obama. Cela ne peut les inciter qu’à tenir ferme sur leurs positions, en même temps que cela accroît leur perception selon laquelle la politique US, et celle du bloc BAO en général, est une politique complètement dépendante et prisonnière du Système, – d’un système hors de tout contrôle humain. (Cette idée revient souvent dans nos analyses, à partir de signaux et de déclarations de dirigeants russes. Voir, par exemple, le 5 mars 2012.) En ce sens, les Russes peuvent prendre les implorations d’Obama d’une autre façon ; si le président US ne tient pas immédiatement ses promesses d’une plus grande flexibilité, ils auront beau jeu de lui dire en affirmant une position intransigeante : “c’est donc que vous êtes toujours prisonnier du Système, que vous n’êtes pas encore parvenu à vous en libérer, contrairement à votre attente et à votre promesse, et notre position dure doit être perçue par vous comme une façon de vous aider”… En quelque sorte, Obama les invite à l’intransigeance en les confirmant dans la justesse de leur position.
• Que vont penser les alliés de ces déclarations d’Obama, qui semblent leur dire indirectement que nombre des exigences US, présentées au nom de la solidarité de la sécurité collective, viennent en fait d’un système que le président n’est pas parvenu à dompter ? (Mais les alliés pensent-ils encore ? Grave question.) D’autre part, que vont penser les uns et les autres, les Polonais par exemple, des garanties de sécurité que leur ont donné les USA en échange de leur engagement dans le réseau BMDE, si le président US laisse entendre que ce système BMDE mérite toutes les concessions du monde aux Russes, et que les Russes après tout n’ont pas tort ? Les Polonais peuvent-ils croire qu’un président US aussi peu intéressé par les arguments en faveur du BMDE, se souciera de plus que comme d’une guigne du sort des Polonais dans cette sorte de crise, si la crise venait à devenir plus aigue ?
• Que vont ressentir, sujet important, ceux de la bande Netanyahou-Barak avec leur très cher projet d’attaquer l’Iran, sinon un renforcement de leur haine rageuse contre Obama ? Une thèse déjà rencontrée, notamment sous la plume de Robert Parry de Consortium.News, est qu’Obama fait patienter (?) les fous israéliens en leur promettant une attaque après l’élection de novembre, pour tenter de verrouiller cette élection en n’ayant pas trop d’interférences dans l’électorat juif ; puis, cette élection assurée, BHO oublierait sa promesse et se rapprocherait des thèses iraniennes... Qui sait, même, si ce qu’il a dit à Medvedev, il ne l’a pas déjà dit à l’ayatollah Khamenei ? Lisant ces échos d’un micro non débranché, les Israéliens vont encore plus pousser pour une attaque et encore moins croire ce que leur dit Obama.
Ce qu’on veut signifier par toutes ces remarques, au fond, c’est que ce dialogue en apparence anodin et accidentellement rendu public est suffisamment significatif pour mettre en doute tous les aspects de la politique de sécurité nationale des USA, en accréditant, voire en confirmant complètement l’hypothèse d’une politique-Système hors de contrôle, et non d’une véritable politique élaborée par la direction washingtonienne. Cela, peut-être, apportera quelques troubles secrets au sein de certains partenaires dans les alliances du bloc BAO, ce qui n’est pas le plus important bien sûr… Cela, dans tous les cas, sera la conclusion des Russes, et la confirmation de tant d’hypothèses qu’ils font dans ce sens, et enfin un encouragement pour eux à mener une politique implacable contre le Système car c’est bien ainsi que, de plus en plus, ils vont se représenter la “politique de sécurité nationale” des USA.
Mis en ligne le 27 mars 2012 à 12H59
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