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1038Coïncidence des dates mais aussi signe puissant de la maturation d’une polémique majeure pour la puissance technologique US, à l’heure ou l’article de Collins est mis en ligne le 9 novembre 2009 (voir notre présentation et notre commentaire, ce 10 novembre 2009), Winslow Wheeler publie un très long article sur Military.com, le 9 novembre 2009 également. Sujet? Ou plutôt: objectif? La désintégration du cas JSF. Wheeler, qui est l’un des leaders du mouvement des réformistes du Pentagone, avec Pierre Sprey (qui a collaboré à l’article), porte une attaque virulente contre le programme JSF, à la lumière des derniers événements (essentiellement le rapport JET-II et la crise majeure qu’il ouvre dans le programme).
• Wheeler ridiculise d’abord la défense de discrédit montée par Lockheed Martin (LM) contre les rapports JET : «Lockheed's refutation of the Joint Estimating Team (JET) analysis of cost growth and delays in the F-35 program borders on the hilarious: new computer aided design, simulation, and desk studies (un-validated by empirical testing) make cost growth in truly modern defense technology a thing of the past, they assert. Indeed, just like in DDG-1000, LCS, FCS, VH-71, etc., etc., etc..... How pathetic.»
• Il analyse longuement l’état du programme, les capacités opérationnelles de l’avion, sa véritable valeur militaire, etc., et son verdict est implacable: «Unfortunately, the F-35 is unaffordable, and it is a technological kluge that will be less effective than airplanes it replaces. It will undo our air forces and our allies', not help them.»
• Il en vient aux choses sérieuses. Le JSf est devenu officiellement une crise, le Pentagone va devoir se saisir de l'affaire. Bref, on ne plaisante plus… Wheeler, qui a soutenu les efforts de Gates contre le F-22, a une position un peu différente de la nôtre. Il semble penser que l’équipe démocrate Lynn-Carter (n°2 et n°3 du Pentagone) tendrait plutôt à minimiser l’affaire, tandis que Gates, au contraire, voudra mener l’exploration de la catastrophe à son terme. Nous pensons au contraire que Lynn-Carter sont dans la nécessité de pousser à la mise en cause du JSF, tandis que Gates est plutôt compromis par cette mise en cause. Mais il s’agit de supputations secondaires autour de la vraie question de la mise en cause fondamentale du programme à la lumière des rapports JET.
«First is the need is to accept the facts as they exist, rather than as Lockheed and self-interested bureaucrats in the Pentagon would prefer them to be. That will mean accepting the JET recommendations as currently written – not watering them down to make them palatable, or ignoring them as they were in 2008 under Gates' first term as SecDef.
»Let's watch closely and see if the original JET findings are watered down by Deputy Secretary Lynn or others who helped to father the Joint Strike Fighter in the Clinton Administration, or others, such as Acquisition Czar Ashton Cater, who will have to re-jigger the Air Force's entire long range budget to accommodate more F-35 cost. His having been forthright about underhanded Air Force behavior on the F-22, perhaps we can hope that Gates will insist on ethical behavior on the F-35. We shall see.»
• Au point de publicité et d’état catastrophique du programme, il nous paraît difficile, voire impossible d’étouffer la crise, d’autant qu’elle se manifeste par le simple fait que l’avion ne marche pas. Wheeler semble accepter la chose, malgré ses vues habituellement très pessimistes de la possibilité d’action réformiste du programme. Avec le JSF et sa crise, nous sommes devant une pression insupportable de la réalité, et cela rend inévitable une réaction. Quoi qu’il en soit, voici ce que le réformiste propose comme action à décider pour attaquer le problème de la crise du JSF. Mais sa religion est faite: si on évalue d’une façon réaliste le programme, on arrivera à la conclusion qu’il est irrécupérable. Aussi faut-il d’ores et déjà s’attaquer aux alternatives.
» Finally, the biggest step, would be to suspend further F-35 production until the test aircraft, all of them now funded, can complete a revised, much more thorough flight test schedule. Once we know the F-35's realistically demonstrated performance and problems, and the full extent of its costs, we can make an informed decision whether to put it into full production. To do that, the upside down F-35 acquisition plan -- which buys 500 aircraft before the "definitive" test report (the one that only flight tests 17 percent of F-35 characteristics) is on Gates' desk -- needs to be radically recast into real fly-before-buy plan. Just the kind of plan the new Acquisition Reform Act pretends to advocate.
»In the almost certain event that the F-35 is found by uncompromised, realistic testing to be an unaffordable loser, there are viable alternatives. If an active consensus develops to reverse the current aging and shrinking of the existing tactical aviation inventory (as opposed to today's silent conspiracy encouraging those trends to worsen), a short term, affordable fix to restore combat adequacy is needed: Extend the life of existing F-16 and A-10 airframes for the Air Force and continue purchasing F-18E/F aircraft for the Navy and Marine Corps. For the part of the inventory that most urgently needs immediate expansion, the A-10 and the close support mission, hundreds of airframes now sitting in the “boneyard” can and should be refurbished – something that can be done at extraordinarily modest cost.
»Just a life-extension program will not address long term needs. Accordingly, competitive prototype fly off programs should be immediately initiated to develop and select new fighters to build a larger force that is far more combat-effective than existing the F-16s, F-18s, and A-10s. Just such programs – that lead to an astonishing 10,000 plane Air Force within current budget levels – are described in detail in “Reversing the Decay in American Air Power,” a chapter in the anthology America's Defense Meltdown: Pentagon Reform for President Obama and the New Congress (Stamford University Press).
»You can almost literally hear the howls of protest right now. The F-35 is too big to fail. Gates himself seems trapped by that logic; he said “My view is we cannot afford as a nation not to have this airplane.” We take the opposite view. The F-35's bloat – in cost, leaden weight, and mindless complexity – guarantees failure. It will shrink our air forces at increased cost, rot their ability to prevail in the air and support our ground forces, and will needlessly spill the blood of far too many of our pilots.
»We have to take the first steps to better understand the extent of the F-35 disaster and to reverse the continuing decay in our air forces.»
On doit signaler également, dans le domaine “révisions déchirantes” et comme un fait extrêmement significatif, un très court article de James Fallows, fameux chroniqueur de The Atlantic, ce 9 novembre 2009, sous le titre désolé de : “Qu’est-il arrivé au F-35?”. Fallows renvoie à l’article de Wheeler, mais aussi à son propre article du numéro de juin 2002 de The Atlantic, où il présentait la formidable ambition du JSF, qui allait révolutionner l’aéronautique militaire. La désolation de novembre 2009, renvoyant à l’ambition universelle de juin 2002 mesure le destin du JSF, parallèlement au destin du pseudo-empire américaniste.
@PAYANT Nous passons donc aux choses sérieuses. Désormais, le JSF est au centre du drame qu’il a lui-même monté, à coups d’illusions et de croyances diverses, de montages virtualistes et d’appréciations complètement perverties par l’arrogance. Ils ont construit un pinacle au faite de la puissance américaniste où trônait le JSF et tout cela est menacé de s’effondre aujourd’hui. Désormais, le JSF entre dans le débat national de l’effondrement de la puissance US, Pentagone compris. Les réformistes aux dents longues, Wheeler en tête, ont désormais pris le programme comme objectif n°1, et tout le monde les écoute. Qu’un commentateur du calibre de Fallows, dans une revue de prestige comme The Atlantic, écrive un si court billet sur le destin du JSF en s’en remettant pour l’essentiel de la réflexion à ce qu’écrit Wheeler, donc en prenant comme référence de la mesure de la catastrophe le plus ardent critique du JSF, mesure l’estime où l’establishment commence à tenir le programme JSF, et combien la crise du JSF est en train effectivement d’entrer dans le débat national. C’est autant de pression qui va s’exercer sur le Pentagone et sur Gates pour entamer des actions radicales pour tenter de sauver ce qui peut l’être. Bonne chance.
Il ne faut pas s’y tromper. Nous ne sommes plus dans un débat de spécialistes ni dans un domaine industriel ou de l’armement cloisonné du reste. (Il y a longtemps que nous n’y sommes plus, d’ailleurs, comme nous ne cessons de l’écrire, mais la réalisation de l’évolution des événements est, dans notre époque hyper-sophistiquée et hyper-rapide, particulièrement paresseuse.) Nous sommes dans un débat national qui concerne la structure de sécurité nationale du système de l’américanisme. En importance, le sort du JSF n’est pas loin d’équivaloir, dans son option la plus catastrophique, au sort de l’industrie financière US dans sa capacité de provoquer des effets de perte d’influence et d’incitation à une perception d’un effondrement supplémentaire de la puissance US. Si le JSF s’écroule, c’est la structure même du Pentagone qui est menacée, et l’on retrouve les hypothèses du “coming crash” du Pentagone. Au-delà, bien entendu, le destin du JSF tient en main toute la structure des exportations d’armes US, et l’influence hégémonique qui les accompagne. (Tout cela, bien entendu, sans parler des conséquences directes et immédiates sur la situation des forces armées US, notamment de l’USAF, qui se trouve pour la première fois de son existence menacée de la possibilité d’être, en équipement des forces, reléguée à une place commune, parmi d’autres forces aériennes, elle qui doit impérarivement dominer toutes les autres forces aériennes.) Pour poursuivre l’analogie, le gouvernement pourrait-il sauver, par l’habituel bail out, le JSF comme il a sauvé Wall Street? Pour les banques, le fric suffit, puisque l’argent c’est le sang des banques; pour un avion c’est autre chose… Il faut qu’il vole et qu’il ait au moins la capacité de sembler remplir les missions vitales qui lui sont confiées. Rien n’est dit à cet égard ; contrairement aux banques, les $milliards ne suffisent pas.
Il faut le répéter et le répéter encore enfin parvenir à comprendre qu’il s’agit bien plus d’un avion de combat, bien plus qu’une industrie, qu’il s’agit d’un pan majeur de l’hégémonie du système de l’américanisme qui est en jeu. C’est encore à cette lumière qu’il faut interpréter l’article, pourtant technique, de Peter Collins, de Flight International. Là aussi, et en relation avec l’interprétation qu’on doit donner de l’importance du sort du JSF, les ressorts politiques ne sont pas loin. La réflexion des Britanniques va atteindre un point critique, une sorte de “point Omega” de l’interrogation sur l’intérêt de rester attaché, d’une façon ou d’une autre, à une énorme puissance en train de sombrer.
Mis en ligne le 10 novembre 2009 à 09H30