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123022 décembre 2008 — Effectivement, c’est par cette expression un peu fataliste, empruntée au vocabulaire de l’aviation lorsque les conditions ne sont pas idéales, que commençait l’éditorial du Financial Times du 17 décembre. Il s’agissait de “saluer”, avec un sarcasme grinçant, effectivement fataliste, la décision de la Federal Reserve de réduire son taux directeur jusqu’entre 0,25% et 0%, – que nous saluions effectivement, de notre côté, comme l’entrée sur une terra incognita… Effectivement, on ne sait où tout cela va nous mener mais, bien sûr, comment pouvait-on faire autrement? Car, effectivement, – toujours ce mot pour confirmer l'ampleur des événements, – c’est la crise qui commande. (Retenons cette phrase, elle dit l’essentiel.)
«We are flying blind. The Federal Reserve’s announcement this week that it was abandoning conventional rate measures in favour of directly propping up lending represents a bold experiment in policy. Ben Bernanke, Fed chairman, is taking a gamble – but he had little choice. Aggressive easing, however, creates its own difficulties.»
La semaine dernière a apporté son lot de nouvelles et de perceptions de plus en plus alarmées, particulièrement concernant la situation aux USA, qui vont toutes dans le sens de l’aggravation des choses. C’est le cas avec chaque semaine, depuis quelques temps. Mais celle-ci pourrait être également la semaine où Obama a basculé… L’hypothèse mérite d’être retenue.
Les nouvelles de ce côté de la nouvelle administration permettent de se faire une idée. Elles semblent indiquer assez nettement une radicalisation des projets du President-elect. Ce qu’on perçoit, plus qu’une lutte contre la crise au niveau quantitatif (le “plan de relance” prévu pour être mis en branle le jour même de l’inauguration, serait passé de $250 milliards à $1.000 milliards, selon les rumeurs), c’est, soudainement, l’apparition possible d’une volonté politique qui s’affirmerait dans le sens plus radical d’une restructuration. Bien sûr et comme il va de soi, c’est la crise elle-même qui en serait la cause… Cela apparaît dans ce commentaire d’Itrwin Stelzer, du 21 décembre, dont nous parlons par ailleurs sur notre Bloc-Notes, – nous soulignons en gras le mot qui nous paraît évidemment important…
«The Obama team sees the crisis as an opportunity to push through a reformist domestic agenda as comprehensive and radical as anything wrought by Franklin Roosevelt. And that is the agenda on which Obama intends to focus.»
Comme on le voit également par ailleurs, et ceci complétant cela, le President-elect africain-américain pourrait bien s’avérer être plus green que black. Obama semble prendre le sentier de la guerre dans la lutte contre la destruction de l’environnement, avec des projets qui commencent à ressembler à une vaste réorientation de l’économie dans le sens de la lutte contre la crise climatique. Dans ce cas, les indications sont encore plus solides puisqu’il y a des nominations significatives dans son équipe. On distingue l’amorce d’une volonté de “révolution verte” au niveau du tissu et des structures industriels US, et là aussi la crise serait perçue comme “une opportunité”. C’est ainsi qu’il faut prendre garde à apprécier cette poussée de lutte environnementale, moins d’un point de vue paisiblement humaniste et vertueux, que du point de vue de l’arsenal en train d’être mis en place pour lutter contre la crise, dont ces dispositions seraient une partie. Ainsi un potentiel apparaît-il que cette mobilisation dans l’administration Obama prenne nettement une orientation de remise en cause du système. Est-ce possible? Les obstacles ne manquent pas.
A côté de ces constats qui vont dans le sens de la perception d’une mobilisation et d’une radicalisation de l’administration Obama, il y a l’interrogation dans le sens inverse de la contradiction entre cette mobilisation sur le front interne et la poursuite d’une politique extérieure classique, hégémonique, des USA. Stelzer, à nouveau, nous assure qu’il y aura, de ce côté, une simple “gestion des affaires courantes” ou tout comme, avec Obama se déchargeant d’une politique extérieure devenue secondaire sur son équipe ad hoc («Hillary Clinton at the State Department and General Jim Jones, the national security adviser, should be able to handle foreign policy, which will have the modest objective of preventing conflagrations. Forget about spreading democracy…»). Cela s’accorde-t-il avec les dernières nouvelles, par exemple en Afghanistan, où l’on annonce une intensification de la guerre, avec, selon l’amiral Mullen, la décision de l’envoi de 30.000 hommes de plus à l’été prochain? Cette sorte de question reste aujourd’hui en suspens, pour nuancer ou rendre plus complexe la perception de la perspective d’une poussée réformiste radicale au niveau structurel intérieur.
La crise dispose, les hommes tentent de proposer, dans cet ordre plutôt que l’inverse habituel. C’est très bien de nous dire que la crise est une “opportunité”, et c’est effectivement le cas d’une certaine façon, mais il reste que c’est d’abord une obligation impérative, écrasante, absolument contraignante. Jamais la situation ne nous apparaît plus mériter le qualificatif de “maistrienne”, et la crise avec des allures eschatologiques évidentes.
Obama est-il l’homme du destin, ou bien l’homme manipulé par le destin, – ce qui reviendrait au même, ce qui serait dire la même chose d’une façon différente? Son élection, dans son ampleur et dans sa forme, dans ce qui en fait l’éclat symbolique et la puissance politique, est essentiellement due à la crise. Les électeurs ont agi, et ont laissé éclater leur espoir, le 4 novembre, justement à cause du désespoir qui les gagne devant la progression de la crise. Si Obama est certainement cet orateur magnétique et puissant que décrit un Tom Engelhardt, il apparaît d’autant plus comme un homme susceptible d’être confronté à des forces supérieures et d’agir en fonction d’elles. Ses références constantes à Lincoln contribuent à cette perception, y compris l’étrange et significative idée de refaire pour son inauguration du 20 janvier 2009 le parcours qu’avait fait Lincoln en 1861, en train comme lui (selon Stratfor.com le 17 décembre: «This year, in a move invoking memories of the election of another man from Illinois, Abraham Lincoln, president-elect Obama will travel to Washington by train. Obama will hold an event Jan. 17 in Philadelphia. Next, he will travel by train to Wilmington, Delaware, where he will pick up Vice President-elect Joe Biden. The two will then hold another event in Baltimore before finally proceeding to Washington’s Union Station.»).
Il nous apparaît très probable, extrêmement probable, qu’Obama est nécessairement engagé sur une course de radicalisation de sa politique anti-crise; c’est une voie qui, très vite, va rencontrer des nécessités de restructuration qui seront, tout aussi nécessairement parce qu’à fort juste titre, perçues comme antisystèmes, comme déstructurantes du système. On n’imaginera pas une seule seconde que cela passera comme une lettre à la poste. L’opposition va, très vite également, devenir féroce, de divers côtés, et notamment des centres d’intérêt du business dans son sens le plus large, et aussi de la part des bureaucraties en place. Là aussi, la crise, avec sa pression tragique, va introduire une dimension tragique dans cet affrontement à venir.
D’une certaine façon, on pourrait dire qu’Obama, avant même d’être installé président, est d’ores et déjà engagé sur une voie qu’il ne contrôle plus, sous la poussée de la puissance de la crise. C’est une occurrence historique stupéfiante, une sorte de croisement potentiel entre deux références historiques possibles, ou potentielles elles aussi, ou bien encore additionnées d’ailleurs, – celle de FDR et celle de Gorbatchev, – avec comme réponse d’Obama: Lincoln. D’ores et déjà est engagée la bataille pour déterminer si Obama se libérera des contraintes du système, sans qu’il le veuille nécessairement, ni qu’il le planifie, simplement parce que la dynamique de la crise ne permet rien d’autre.
“Flying blind”? Et comment… Jamais un président aussi averti, aussi bien préparé pour sa prise de fonction, aussi rapide à constituer son équipe et à exercer ses fonctions avant même d’être installé, ne se sera trouvé devant une inconnue de cette taille. Un “super-FDR”, certes, mais à l’inverse de FDR, ne connaissant encore rien du monstre qui l’attend. FDR savait bien quelle crise l’attendait, puisque la crise avait atteint son paroxysme après trois ans de développement; Obama n’en sait rien, qui voit la crise commencer à s’amplifier vers son paroxysme depuis trois mois. FDR, c’était comme un kamikaze fonçant sur un porte-avions yankee (avec, signe de l’ingénuité yankee, un moyen de s’en sortir vivant au dernier moment); le porte-avions était considérable, mais identifié et localisé. Obama, sans aucun doute, “is flying blind”, sans savoir où il va attaquer ni qui il va devoir attaquer.
Quant à nous, nous suivons comme nous pouvons. Au radar, et malgré les interférences.