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843Le site Huffington.post, d’une puissance bien connue et l’une des principales voix de la “gauche” modérée et institutionnalisée du parti démocrate, a pris pour cible ces derniers jours le président de la Federal Reserve. Ben Bernanke est connu sous le surnom d’“Helicopter Ben” pour sa propension à ventiler des tonnes de dollars fraîchement imprimés sur les banques à la dérive de son quartier favoris de New York – Wall Street, indeed. C’est justement ce qu’on lui reproche actuellement, après l’avoir encensé pour ce rôle.
Deux textes d’Huffington.post donnent une appréciation générale sur le sort de Bernanke, face à sa confirmation par le Sénat pour un deuxième terme à la présidence de la Fed. Bernanke termine son actuel mandat le 31 janvier et les perspectives de sa confirmation sont brusquement assombries.
• Un premier texte, du 21 janvier 2010, nous restitue une chronologie détaillée de la montée de l’opposition, au Sénat, à la confirmation de Bernanke. Tout cela se fait sous l’ombre menaçante de l’élection partielle du Massachusetts.
• Un second texte, du 22 janvier 2010, nous explique comment l’état d’esprit à basculé, pour faire d’un homme à qui l’on tressait des couronnes le célébrant comme une gloire de l’américanisme, un suspect (“A Toxic Asset”, selon le titre de l’article) sur la voie de devenir un pestiféré.
«How, exactly, did it come to this? Aides on Capitol Hill were asking themselves that very question. One high-ranking Democrat said that until recently, the Bernanke nomination was barely discussed in leadership meetings and even less frequently in caucus gatherings. “It was widely assumed that he would coast,” the aide said, "after taking a few political punches.” It seemed so inevitable that leadership was leaking news that a vote would happen this week – Wednesday being the target date.
»Then Massachusetts happened. The election of Republican Senator-Elect Scott Brown on a wave of anti-Wall Street, anti-bailout sentiment was, as Sen. Bernie Sander's (I-Vt.) deemed it, a “wake up call to many Democrats” considering Bernanke.
»“I think Tuesday's election reinforced that the American people are appropriately outraged by the behavior of Wall Street for creating this crisis and wanting to go back to business as usual after this,” Sanders told the Huffington Post. “Was Massachusetts a wakeup call to many Democrats, that the American people are profoundly disgusted with Wall Street, want changes and want a new chairman of the Fed? I'd say yeah.”
»What followed for members was a frantic day of self-reflection over the party's economic platform and the message it is sending. During the caucus meeting on Wednesday lawmakers aired their concerns that symbolically and substantively they had become too tied to Wall Street. The anti-Bernanke voices then spoke up. Sanders went first, taking the quaint and unusual tact of printing out one-page fliers (which he distributed to his colleagues) that laid out the case against confirmation.
»“It ain't that hard,” he said to the Huffington Post. “It isn't that hard to figure out. If you are a Democrat you ask yourself right off the bat why would we be reappointing not only the individual that George W. Bush appointed to the Fed, but someone who was a member of the Bush administration? Why would you want to do that when the country faces today the most severe economic crisis since the Great Depression?”
»Next up was Sen. Jeff Merkley (D-Ore.), a backbencher freshman but also a widely respected progressive economic thinker who was the only Democrat to vote against Bernanke's nomination when the Banking Committee considered it. The Oregon Democrat explained his earlier vote and relayed the positive reception he had received when talking about his opposition to the Fed Chairman with constituents back home.» […]
»…Manley now tells the Huffington Post to expect a vote at the “end of next week,” adding: “It looks pretty close and we may need Republican votes in the end to confirm him.”
»But on the Republican side of the aisle, support for Bernanke was never strong to begin with. The Fed Chairman had already received a poor reception from the GOP during his Banking Committee hearing, with six of the party's 10 committee members voting against him. The Massachusetts election only crystallized the opposition. By mid-week Republican leadership was counting how many members would oppose confirmation.»
Sans qu’il faille voire quelque mauvais esprit dans cette appréciation, nous dirons que le sort d’“Helicopter Ben” nous importe assez peu. La confirmation ou le dégommage d’un homme, fut-il président de la Fed, ne règle rien de décisif dans un sens ou l’autre. Nous sommes dans un processus de radicalisation, complexe, désordonné, parcouru de tensions extrêmes et diverses, qui concerne une énorme machinerie en crise où le président de la Fed, et la Federal Reserve elle-même, ne sont que quelques éléments parmi d’autres.
(Nous voulons dire notre conviction, pour aller à l’extrême de notre logique, qu’un changement radical de la Fed, même s’il s’agit d’un événement considérable, ne serait certainement pas la clef de la crise. Cette crise est trop multiple, trop fondamentale, complètement celle d’un énorme système, pour qu’on puisse la résoudre éventuellement en changeant une de ses canalisations; il faut tout un trousseau de clefs ouvrant autant de sas pour arriver en son cœur, et non une seul, fût-elle celle de la Fed. Cette crise est une crise de système, sinon de civilisation, et il est absolument illusoire de croire que la divulgation ou la modification d’un de ses éléments de fonctionnement changera l’évolution de l’ensemble. Par contrer, certes, l’événement contribue d’une façon avantageuse à mettre un peu plus à jour cette situation, à accentuer le désordre, à nourrir “la discorde chez l’ennemi” et ainsi de suite.)
Plus important que le cas spécifique de l'homme et de l'institution qu'il dirige, il y a ce fait que le pauvre “Helicopter Ben” est devenu un symbole, une icône maléfique des événements qui ont engendré cette colère du public, exprimée dans le Massachusetts, qui panique absolument la direction politique du système. Il n’est qu’un archer parmi d’autres de l’infanterie luxueuse et richement dotée du système, mais il a été choisi par les circonstances et l'opportunité (la confirmation de sa reconduction à la tête de la Fed) pour être un symbole temporaire de la crise de ce système et, éventuellement, en devenir un bouc émissaire avant d’autres. C’est là l’importance de la chose. A ce compte, d’ailleurs, tout aussi importante, en fait de symbole, est la place faite dans les textes cités aux déclarations du sénateur Sanders, Indépendant du Maine et le seul sénateur d'un type absolument extraterrestre pour le Sénat des Etats-Unis à s’intituler lui-même “socialiste”, et jusque là systématiquement ignoré comme absolument infréquentable. Eh bien, aujourd’hui, l’on interroge Sanders comme un inspirateur et un oracle, et c’est bien une mesure du climat nouveau qu’a imposé la tempête du Massachusetts. Bien entendu, Sanders, qui poursuit depuis des mois de sa vindicte la Federal Reserve et Bernanke, à l’image de Ron Paul à la Chambre, est l’un des moteurs de l’opposition montante du Sénat à la confirmation de Bernanke.
Dit d’une autre façon, le procès en sorcellerie de Bernanke, selon des critères qui datent du 19 janvier 2010 (Massachusetts) plutôt que du temps des sorcières de Salem, n’est pas le signe d’une nouvelle politique, d’une nouvelle orientation de l’establishment, d’une soudaine vertu retrouvée des Pères Fondateurs, mais du désordre extraordinaire où le petit Massachusetts a plongé l’immense Grande République. D’ailleurs, Bernanke peut très bien conserver son poste mais il y sera comme on s’installe sur une chaise électrique, pour ne pas parler d’un siège éjectable, écrasé par la suspicion new age, par la vertu quasi “socialiste” et dans tous les cas très jeffersonienne que s’est découverte l’establishment tendance-Massachuetts, au moins jusqu’aux élections de novembre prochain. Chaque audition de lui au Sénat sera un calvaire épouvantable, et l'on ne manquera de l’y mander plus qu’à son tour pour lui demander des comptes.
L’“affaire Bernanke” est un bon exercice de style. Il y a trois, six mois, neuf mois, tous les commentateurs favorables au système, et les sénateurs faisant chorus, ne juraient que par lui; quant à ceux qui lui sont hostiles, ils le dénonçaient comme un des architectes du monstrueux coup de Wall Street, un homme-clef du complot permanent des banques, naturellement reconduit par Obama, autre “marionnette de Wall Street”, parce qu’il était impensable que l’on se privât de ses services, parce qu’on ne peut imaginer de liquider un des inspirateurs du complot. Le voilà aujourd’hui en danger d’excommunication, le temps d’un vote partiel dans un Etat du Nord-Est qui s’annonçait comme une formalité. Il est tout de même difficile de ne pas conclure que les hommes comptent peu, que les complots évoluent comme des bateaux ivres, à la fortune du pot et d’un électorat qu’on décrit pourtant comme anesthésié et sans aucun effet sur le système. Il est temps de considérer avec une faveur grandissante sinon décisive l’hypothèse de la machine devenue folle, sans direction ni contrôle de personne, avec un personnel déboussolé et réagissant dans tous les sens, sans cesse déstabilisé et sensible à toutes les tentations, fractionné et antagoniste selon les circonstances, lui aussi évoluant comme un bateau ivre à la merci de ces tempêtes que nul ne voit venir et contre lesquelles nul ne peut rien. L’aventure de Ben Bernanke, quelle qu’en soit l’issue, est la démonstration in vivo des caractères essentiels d’absence de contrôle, de désordre, d’absence de sens et de nihilisme du système, avec tous ces caractères exacerbés par la crise profonde, en phase terminale et donc doublement eschatologique, où ce même système se trouve plongé.
Mis en ligne le 23 janvier 2010 à 11H32
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