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95215 octobre 2009 — Sans doute la nouvelle la plus surprenante est-elle la “proposition” d’Arianna Huffington, sur son site (Huffington.Post) d’une influence politique considérable, que le vice-président Joe Biden devrait démissionner. C’est le 14 octobre 2009 qu’elle publie cette proposition, inattendue à première vue, d'une réelle logique lorsqu'elle est expliquée.
• D’abord, il commence à se dire, venant de nombreuses sources, qu’Obama accéderait aux requêtes du général McChrystal pour l’envoi de renforts de 45.000 hommes en Afghanistan. Le Daily Telegraph l’affirme en détails ce 15 octobre 2009, à partir de sources militaires UK. La BBC avait également affirmé la chose, de son côté, le 14 octobre. Ces nouvelles ont provoqué des réactions du côté US, telles que les rapporte RAW Story, ce 14 octobre 2009…
«White House Press Secretary Robert Gibbs on Wednesday denied a BBC news report that President Barack Obama has already decided to send 45,000 additional troops to Afghanistan, on top of the 68,000 already serving there. “It's not true,” Gibbs said, insisting “the president has not made a decision.”
»According to news reports, Obama huddled with his war council Wednesday for the fifth time, debating whether to send thousands more troops to Afghanistan as he maps a new strategy to quell the conflict. Obama has said he hopes to unveil his plans in the coming weeks as he desperately seeks to contain the violence in Afghanistan fueled by the resurgent Taliban ousted from power eight years ago and al Qaeda militants.»
• Il apparaît évident que la tension monte autour de cette annonce selon laquelle la décision est prise, et les démentis que l’administration Obama lui oppose. Ce climat a un impact politique extrêmement fort, après l’épisode du Prix Nobel de la Paix, et alors qu’effectivement Obama ne serait semble-t-il pas encore prêt à annoncer sa décision. La force de la communication est telle dans ce cas que tout se passe comme si la décision était prise alors qu’il apparaît effectivement vraisemblable que la décision n’est pas encore prise. C’est là un phénomène de pure communication, c’est-à-dire quelque chose qui ne doit pas être pris à la légère et qui, effectivement, pourrait pousser à une décisions, qui pourrait finir par créer l’événement contre le gré des acteurs. Néanmoins, Obama a montré jusqu’ici qu’il avait une résistance remarquable à cette sorte de pression. Le désordre suscité par cette pression de communication n’en subsiste pas moins. Le désordre est aussi dans toutes ces possibilités qui s'entrechoquent, se télescopent, s'influencent les unes les autres.
• Là-dessus, le texte d’Huffington, auquel nous faisons allusion plus haut. Ce texte se place également au sein de l’atmosphère enfiévrée à Washington, où l’opposition à un envoi de renforts importants en Afghanistan se renforce au Congrès. Huffington s’appuie notamment sur un article de Newsweek du 10 octobre 2009 qui donne la vedette à Biden, comme l’homme qui dit à Obama des vérités difficiles – notamment, sur l’Afghanistan. Bien que le général James Jones (directeur du NSC) lui dispute ce “titre”, Biden apparaît comme le leader de l’opposition au plan McChrystal à l’intérieur du cabinet. Biden agit d’ailleurs en connexion avec un groupe, dont fait partie l’ancien sénateur Chuck Hagel, homme respecté s’il en est, qui confie à Newsweek: «[T]here are a lot of differences between Vietnam and Afghanistan, [but] one of the similarities is how easily and quickly a nation can get bogged down in a very dangerous part of the world. It's easy to get into but not easy to get out. The more troops you throw in places, the more difficult it is to work it out because you have an investment to protect.»
En un mot, Huffington, qui voit dans Biden le chef de cette fronde qui se développe et s’affirme un peu partout dans le monde washingtonien, contre l’engagement en Afghanistan, juge qu’il devrait prendre ses responsabilités. Lesquelles? Démissionner, pour le bien du pays, si la décision d’envoi de renforts est prise, et devenir le chef de l’opposition à l’engagement maximal en Afghanistan.
«It's been known for a while that Biden has been on the other side of McChrystal's desire for a big escalation of our forces there – the New York Times reported last month that he has “deep réservations” about it. So if the president does decide to escalate, Biden, for the good of the country, should escalate his willingness to act on those reservations.
»What he must not do is follow the same weak and worn-out pattern of “opposition” we've become all-too-accustomed to, first with Vietnam and then with Iraq. You know the drill: after the dust settles, and the country begins to look back and not-so-charitably wonder, “what were they thinking?” the mea-culpa-laden books start to come out. On page after regret-filled page, we suddenly hear how forceful this or that official was behind closed doors, arguing against the war, taking a principled stand, expressing “strong concern” and, yes, “deep réservation” to the president, and then going home each night distraught at the unnecessary loss of life.
Well, how about making the mea culpa unnecessary? Instead of saving it for the book, how about future author Biden unfetter his conscience in real time – when it can actually do some good? If Biden truly believes that what we're doing in Afghanistan is not in the best interests of our national security – and what issue is more important than that? – it's simply not enough to claim retroactive righteousness in his memoirs.
»Though it would be a crowning moment in a distinguished career, such an act of courage would likely be only the beginning. Biden would then become the natural leader of the movement to wind down this disastrous war and focus on the real dangers in Pakistan. […]
«I have no doubt that Joe Biden is a loyal guy – the question is who deserves his loyalty most? His “team” isn't the White House, but the whole country. And if it becomes clear in the coming days that his loyalty to these two teams is in conflict, he should do the right thing. And quit.
»Obama may be no drama, but Biden loves drama. And what could more dramatic than resigning the vice presidency on principle? And what principle could be more honorable than refusing to go along with a policy of unnecessarily risking American blood and treasure – and America's national security? Now that would be a Whisky Tango Foxtrot moment for the McChrystal crowd – one that would be a lot more significant than some lame, after-the-fact apology delivered in a too-late-to-matter book.»
L’appel d’Arianna Huffington a aussitôt un certain écho, signe de son influence en l’occurrence, et signe également du renforcement du mouvement de communication autour de la crise de l’Afghanistan à Washington. Par exemple, le site Politico.com publie un article le 14 octobre 2009, où il relaie l’appel d’Huffington en l’agrémentant d’un portrait de la commentatrice à la destinée agitée et contrastée. Cet enchaînement montre que le drame afghan, version washingtonienne, continue inéluctablement à amasser sa charge de potentialité explosive.
N’accordons pas plus de vertu qu’il ne faut à la redoutable Arianna Huffington, sur laquelle nombre de nos connaisseurs ne manqueront pas d’avoir un jugement sévère. Mais cela, vraiment, n’a que peu d’importance. Arianna a un nom, une influence, un poids, un rayonnement à Washington, et regretter ou critiquer éventuellement ce statut ne l’empêche pas d’exister. Par conséquent, sa prise de position a une réelle importance. Et l’on remonte en vain dans les archives modernes de la Grande République pour trouver une partisane aussi chaleureuse et aussi influente d’un président, comme fut Huffington en 2008 pour Obama, recommander sur un point aussi fondamental la démission exemplaire, mobilisatrice, pour rien moins que l’organisation d’un contre-pouvoir, du vice-président, cela neuf mois après l’entrée en fonction du président. On peut observer au passage que le montage du système pour mettre en place le président parfait, “marionnette” qui devait tout faire passer comme une lettre à la poste, qui devait remettre la machine en marche irrésistiblement, ce montage a du plomb dans l’aile si des représentantes de l’establishment (Arianna en est une) en sont à lancer de telles idées quasi-insurrectionnelles.
Cela ne signifie pas que “Hey Joe” Biden choisira cette voie – on verra car rien n’est désormais du domaine du “c’est tout vu” –, cela signifie que le désordre et le désarroi, et le climat de crise centrale, ne cessent de grandir et de se tendre. Et encore, rien n’est fait, puisque rien n’est décidé (les 45.000 hommes en plus), comme dit le porte-parole d’Obama, même si tout le monde dit que c’est décidé. Plus que jamais, Obama fait dire qu’il prend son temps même si tout le monde pense qu’il est temps.
La situation de cet étrange personnage de président-Hamlet qu’il prend tout son temps à jouer en est à un point où quelque amateur de calcul machiavélique pourrait presque croire à une tactique. Cette attitude est la pire qu’on puisse imaginer du point de vue de l’efficacité par rapport à la guerre en Afghanistan, c’est-à-dire par rapport au climat washingtonien concernant l’engagement US dans ce pays: plus le temps passe, plus l’on monte aux extrêmes dans les deux sens, plus une décision en faveur d’un des extrêmes déclenchera la fureur de l’autre (démission, “Hey Joe”!), plus une demi-mesure pour n’indisposer personne mettra tout le monde dans un semblable état de fureur… Au fond, et le délai d’indécision atteint étant ce qu’il est, d’éventuelles intentions révolutionnaires renverseraient la méthode. S’il voulait mettre le feu aux poudres, à Washington D.C., à-la-Gorbatchev, Obama, désormais, n’agirait pas différemment… Encore un effort, deux ou trois mois d’hésitation, et Washington sera à feu et à sang.
La situation américaniste actuelle est sans précédent dans l’histoire US, répétons-le, ce qui ne peut d’ailleurs étonner si l’on admet que les conditions générales sont elles aussi sans précédent. La côte du président, qui avait chuté, a remonté, mais cela n’a pas l’air d’en profiter à Obama, ou plutôt Obama ne semble éprouver aucun intérêt à tenter d’en profiter. Les divisions au sein de son cabinet ne semblent pas l’affecter outre-mesure, alors qu’elles sont devenues maintenant, encore plus avec l’exhortation d’Arianna Huffington, une affaire publique. La pression du Congrès, avec une aile démocrate de plus en plus hostile à l’intervention, ne cesse de grandir, également alimentée par l’indécision devenue politique courante, et va très vite devenir un grave problème de gouvernement – un de plus. La gauche anti-guerre ne cesse de reprendre de la vigueur et la droite républicaine enrage de ne voir rien venir en fait de renforts en Afghanistan.
La situation est urgente et l’on attend. Si Obama ne se décide pas rapidement et conserve la chronologie qu’il a fait annoncer (“les prochaines semaines…” – «Obama has said he hopes to unveil his plans in the coming weeks…»), la situation washingtonienne pourrait devenir étonnante et pleine de surprises.