“La persécution de Juan Cole”

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Certes, notre titre n’est pas original puisque traduction mot pourt mot, – «The Persecution of Juan Cole», – de celui de la chronique de ce 17 juin 2012, de Justin Raimondo (Antiwar.com). C'est simplement que le cas est remarquablement clair, et assez inédit sans aucun doute.

Le 15 juin 2011, le New York Times publiait des révélations d’un ancien officier de la CIA, sur les mesures diverses, toutes illégales dans leur forme autant que selon le statut de la CIA qui ne doit pas intervenir sur le territoire des USA, prise contre le professeur Juan Cole, éditeur du site Informed Comment et critique particulièrement bien informé de la politique étrangère US, notamment du temps de l’administration GW Bush, et concernant l’Irak principalement. Parmi les mesures prises contre lui, des pressions exercées sur la direction de l’université Yale, qui avait offert un poste de professeur à Cole (qui exerce à l’université de Michigan), et qui retira finalement son offre.

«A former senior C.I.A. official says that officials in the Bush White House sought damaging personal information on a prominent American critic of the Iraq war in order to discredit him. Glenn L. Carle, a former Central Intelligence Agency officer who was a top counterterrorism official during the administration of President George W. Bush, said the White House at least twice asked intelligence officials to gather sensitive information on Juan Cole, a University of Michigan professor who writes an influential blog that criticized the war.

»In an interview, Mr. Carle said his supervisor at the National Intelligence Council told him in 2005 that White House officials wanted “to get” Professor Cole, and made clear that he wanted Mr. Carle to collect information about him, an effort Mr. Carle rebuffed. Months later, Mr. Carle said, he confronted a C.I.A. official after learning of another attempt to collect information about Professor Cole. Mr. Carle said he contended at the time that such actions would have been unlawful.»

Cole est très connu dans le monde des experts du Moyen-Orient, et en général très apprécié pour son professionnalisme et son indépendance d’esprit. Steve Clemons, sur son site The Washington Note, commente cette affaire, le 16 juin 2011 :

«While I am deeply disturbed by former CIA analyst Glenn Carle's recent revelations that there was a White House-directed appeal to the CIA to dig up dirt on my friend and blogging comrade Juan Cole, I am not surprised at all by this news.

»The George W. Bush administration ignored the fact that no WMDs were found in Iraq and invaded nonetheless; went after Joe Wilson and Valerie Plame – lying about who did what and who knew what at very high levels of government; created a Kafkaesque international legal purgatory in Guantanamo where normal rules didn't apply and where torture became a routenized part of managing high value detainees; and engaged in massive domestic spying on US citizens. We learned that many retired US Generals and Admirals hired out to US news organizations like Fox were given talking points and retainers by the Pentagon to not provide objective analysis but be ‘seemingly’ independent talking heads controlled by the Department of Defense.»

Raimondo (cité plus haut), pour sa part, constatant cette évidence que l’administration GW Bush devait avoir sa liste d’“adversaires” (dont Cole) qu’il fallait tenter de discréditer à tout prix, s’interroge, avec une réponse affirmative à l’esprit, sur le fait de savoir si l’administration Obama n’a pas suivi le même chemin. Bien entendu, certes. L’intervention de Raimondo est d’autant plus notable que Cole est un homme très nettement à gauche, tandis que Raimondo est à l’extrême droite libertarienne. Il y a une solidarité des chroniqueurs politiques d’Internet, et une certaine complicité d’une position spécifique, anciennement dissidente ou marginale, qui acquiert de plus en plus sa spécificité honorable tout en évitant le plus souvent les pièges de l'institutionnalisation.

«A couple of years ago, Prof. Cole, who teaches at the University of Michigan, was being considered for a teaching post at Yale: the matter became a cause célèbre in the blogosphere, and in the neoconservative media, where an organized campaign to deny him the position was launched. Yale eventually caved in to the pressure: Cole continues to teach in Michigan.

»In retrospect, I think there can be little doubt that the campaign to deny Cole the Yale tenure-track position was directed from the White House. As the Times reported, the effort to dig up dirt on Cole started in 2005: the next year, when the Yale position was up for consideration, he was accused of being “pro-terrorist,” anti-Israel, and called every name in the book. When David B. Low, Carle’s boss, called Carle into his office, he said of Cole: “The White House wants to get him.”

»Well, it looks to me like they got him.

»Prof. Cole has reportedly called for an investigation, and good luck to him in that. Each and every member of the faculty committee at Yale that voted on Cole’s proposed appointment should be asked – and probably will be asked – to reveal their contacts with outsiders regarding the matter. I have no doubt that the trail of defamation will lead straight to Washington, D.C.

»The larger lesson to be learned from all this is that none of us is safe. If you stick your head up above the tall grass, and are critical of whatever gang is in charge at the moment in Washington, you are taking a very big chance. Your career, your private life, your financial and professional existence – all are put at risk. And the idea that, under the Obama administration, we are going to catch a break is laughable: the FBI has been given more leeway in pursuing domestic intelligence targets, and that’s for a very good reason – because they intend to use it.

»You can bet Prof. Cole wasn’t the only one on the Bush White House’s “enemies list” who suffered damage to his professional reputation inflicted by US government operatives. We’ll probably never know the identities of the targets, or the methods used to smear, slander, and marginalize them.

»What I want to know is: who’s on Obama’s enemies list? Because, as sure as Washington real estate prices will continue to rise while plummeting in the rest of the country, these very same activities are continuing under the present administration…»

…Certes, Cole et son Informed Comment jouèrent un rôle très important, sur le réseau, dans l’information sur le conflit irakien. Là est sans doute le fait le plus remarquable que nous voudrions souligner, – et d’ailleurs que ce “rôle très important” le fut (et le reste encore) sur le réseau, mais aussi d’une façon générale, tous outils d’information confondus. Dans le domaine de l’expertise politique sur les matières de politique extérieure, c’est sans doute la première fois qu’une action de cette sorte, covert et illégale, est entreprise contre une personnalité travaillant essentiellement sur un site, dans le cadre d’Internet. Jusqu’ici, les actions de ce type ont surtout été entreprises contre des personnalités en tant que telles, éventuellement contre certains journalistes de grands médias institutionnels, notamment des chroniqueurs et des enquêteurs, et surtout dans des cas spécifiques portant sur des enquêtes ponctuelles. Jamais une personnalité, ou un expert du calibre de Cole, opérant sur Internet dans ce domaine de la politique extérieure et de sécurité, n’a été la victime de telles attaques de discrédit et de déstabilisation de la part de son gouvernement, pour le seul fait de sa capacité générale d’analyse à partir de sources qui lui sont propres ; et cela s’est fait selon des tactiques employées par le FBI de J. Edgar Hoover, ou durant la période du McCarthysme, selon des circonstances bien établies qui dénotent l'importance du cas considéré aux yeux de ses persécuteurs. (Bien entendu, le cas de Juan Cole est complètement différent de celui de WikiLeaks, dont le but explicite est la diffusion de documents classifiés. Il y aussi une différence complète par rapport à certaines actions de dénonciation, sur Internet, de faits spécifiques, avec là aussi transmission de documents secrets ou réalisés clandestinement. Cole fait de l’analyse et du journalisme. Il s’appuie sur ses sources, sur son expérience et sa capacité d’analyse, sur son appréciation et son opinion.)

Bien entendu, il n’y a rien qui puisse nous surprendre dans cette démarche elle-même, de la part du système de l'américanisme. L’aspect novateur et révélateur est que la démarche s’exerce contre l’activité d’un homme passant par l’Internet. De ce point de vue, la “persécution de Juan Cole” ressemble à l’hommage du vice à la vertu. Elle apparaît comme la consécration de l’Internet comme outil majeur de l’expression politique la plus professionnelle et la plus sophistiquée. Elle consacre l’Internet comme un outil majeur de la communication et de l’information, dans les domaines les plus essentiels, au même titre que les grands médias mais peut-être dans une dynamique qui est en train de les supplanter à cet égard, si ce n’est déjà fait (les grands médias évoluant vers le type presse-Pravda, s'ils n'y sont déjà pour la plupart). D’une façon encore plus générale, nous avons la confirmation qu’Internet est désormais le principal outil de communication de lutte contre le système, capable de lutter contre le Système.

(Voir aussi, bien entendu, les commentaires de Juan Cole sur son propre cas, sur Informed Comment, les 16 juin 2011 et 17 juin 2011.)


Mis en ligne le 17 juin 2011 à 12H10