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1289Qui ne se rappelle cette scène iconique, comme l’on dit, d’un James Stewart épuisé, lisant la Constitution devant un Sénat épuisé, pour poursuivre jusqu’au bout de ses forces sa tentative de filibuster, vieille manière. (Tant qu’un orateur parle, le Sénat US ne peut fonctionner en tant que tel, notamment il ne peut voter ; cette ancienne pratique a été restreinte par la possibilité de l’interrompre par une majorité de 60 voix.) James Stewart était Mister Smith, jeune sénateur qu’on espérait de paille pour faire voter une loi avantageuse à de gros intérêts privés dans son Etat, et qui s’était avéré de fer, tenant assez longtemps, avec quelques aides extérieures, pour bloquer la loi infâme. C’était Mister Smith Goes to Washington, de Frank Capra.
Cette fois, c’est Bernie Sanders, sénateur indépendant du Vermont et seul parlementaire US à se qualifier de “socialiste” qui entend mettre en action cette vieille pratique, lundi prochain, pour tenter de retarder le vote sur l’extension de deux ans de la loi de limitation des impôts des plus riches. C’est une tentative symbolique, parce que Sanders sait qu’il ne pourra tenir longtemps et qu’il sera interrompu par un vote lorsque les sénateurs du Comité Central auront terminé leur collation.
CBS.News décrit, ce 11 décembre 2010, les derniers préparatifs de la tentative de Sanders. Ce qui est surtout remarquable, dans cet extrait, c’est la soudaine popularité acquise par Sanders sur Internet…
«Independent Sen. Bernie Sanders of Vermont promised to “do whatever is necessary” to stop President Obama's tentative tax cut deal with Republicans, and today he showed how far he is willing to go.
»Sanders, a self-described socialist who caucuses with the Democrats in the Senate, has been speaking on the Senate floor since around 10:30 a.m. this morning, staging a symbolic filibuster against Mr. Obama's deal with Republicans, which would temporarily extend the Bush tax cuts for everyone, including the wealthiest Americans. He has yet to take a break, although he shared the podium for a bit with Democratic Sens. Mary Landrieu (La.) and Sherrod Brown (Ohio). Sanders intends to keep talking for “as long as he can,” a spokesperson for the senator told the Huffington Post.
»Sanders' efforts don't amount to a true filibuster, since he is not holding up any Senate debate, and there are no other senators wishing to speak. The Senate isn't scheduled to take up Mr. Obama's plan for a vote until Monday. « You can call what i am doing today whatever you want, you it call it a filibuster, you can call it a very long speech...” Sanders posted on Twitter today.
»Sanders' efforts became something of an Internet sensation Friday; “Bernie Sanders” was a trending term on Twitter (folks followed the filibuster with the hash tag #filibernie), and streaming video of his speech reportedly temporarily shut down the Senate video server.
»The senator called out his Republican colleagues for their “hypocrisy” in wanting to extend tax cuts for the wealthy while complaining about the deficit. He also railed against the growing income disparity in the United States. In 2007, the wealthiest 1 percent of Americans earned more than 23 percent of U.S. income -- more than the entire bottom 50 percent of the country. Since then, some Democrats have complained in the wake of this tax cut plan, the disparity has only gotten worse.»
• Un texte de Politico.com, ce 11 décembre 2010, décrit également l’intervention du sénateur dans des termes presque héroïques, en en faisant “le nouveau héros de la gauche”. On y trouve ces détails révélateurs…
«Sanders’ audience consisted of an aide, the presiding senator, floor staff, a dozen Senate pages and a handful of tourists sitting in the balcony. The halls of the Capitol were empty except for a pack of security guards, some of whom grumbled about the length of the senator’s speech.
»But outside the Capitol, Sanders’ audience was immeasurably larger. By early evening, his name became the most popular term on Twitter both in America and worldwide. His Twitter account picked up 4,000 new followers. The phone lines at Sanders’ office were jammed with calls. Sanders’ office boasted that the Senate video servers had shut down after more than 12,000 people tried to tune in to his speech on their website.»
• Parallèlement à cette intervention de Sanders, il faut signaler que Ron Paul semble avoir réussi à verrouiller la présidence de la commission spéciale de la Chambre qui devrait s’occuper, à partir de janvier prochain, d’une enquête et d’un audit de la Federal Reserve. Stephen C. Webster observe, dans RAW Story du 10 décembre 2010 : «The greatest critic of fiat currency perhaps anywhere in the world is about to take control of a congressional panel that would conduct oversight on the US Federal Reserve bank. This could get interesting…»
@PAYANT Dieu sait si Bernie Sanders, seul parlementaire US qui ose se dire “socialiste”, semblerait ne pas devoir constituer un danger pour la Grande République. Pourtant, son intervention, vendredi, l'intérêt qu'elle a suscitée dans le public et l’affluence qu'elle a amené sur Internet jusqu’à saturer le transmetteur des débats du Sénat et fait croire à certains à une attaque de type “cyber-insurrection” (Wikileaks est décidément partout), ont constitué un petit événement significatif du climat régnant à Washington. Le contraste entre l'indifférence et le vide qui accompagnèrent son discours au Sénat et l'attention fiévreuse des citoyens US en dit long également sur les relations qui existent aujourd'hui entre le public américain et ses représentants (ceux qui n'écoutaient pas Sanders). Sanders vient d’un Etat, le minuscule Vermont, bien connu pour ses tendances sécessionnistes et son opposition très forte aux pratiques économiques et financières du Système. Au Sénat, il est également réputé pour son activisme extrêmement marqué à l’encontre de la Federal Reserve, qui a fini par donner quelques résultats au Sénat. D'une façon générale et sur ce sujet de la Federal Reserve, Sanders, à l'extrême de la gauche US, qu’il coordonne avec l’activisme de Ron Paul à la Chambre, Ron Paul qui serait plutôt placé à la droite marginale du parti républicain.
...Le même Paul, comme on le voit, a réussi à prendre le poste stratégique de direction de la Commission chargée de l’audit de la Fed, malgré les réserves du prochain nouveau Speaker de la Chambre, John Boehner, sans doute l’un des plus corrompus de tous les élus républicains. Mais le futur président de la Commission des finances, Spencer Bachus, s’est battu pour soutenir Ron Paul, avec l’appui non dissimulé du président sortant et chef de la future minorité démocrate, Barney Frank. Il existe désormais une solide coalition bipartisane à la Chambre pour obtenir quelques éclaircissements sur le comportement de la Fed.
…Le même Frank, comme l’on sait, qui fait équipe avec Ron Paul pour tenter d’obtenir des réductions significatives du budget de la défense, dans une alliance bipartisane extrémiste (sorte d’extrême gauche alliée à l’extrême droite, selon les références washingtoniennes) tout à fait significative de la situation washingtonienne. Ces trois hommes, Sanders, Paul et Frank, auquel on pourrait ajouter l’un ou l’autre, tel le démocrate Kucinich, sont passés en l’espace de deux à trois années, de positions d’une complète marginalité à des positions de références tout à fait étonnantes. On observera que, malgré les étiquettes employées, malgré les affiliations officielles, les engagements idéologiques, ces «“leaders marginaux”, – expression paradoxale s’il en est, – sont de moins en moins distingués comme de droite ou de gauche, comme républicains ou démocrates, mais essentiellement par rapport à leurs positions extrêmement critiques vis-à-vis de forces fondamentales du Système.
Il est possible que certaines oppositions, ou certaines réticences marquées vis-à-vis des pratiques du Système à l’intérieur du Congrès, se regroupent autour de ces “références” vénérables qui constituaient depuis des années et jusqu’alors, les archétypes de l’opposition sans espoir aux pratiques du Système. Les uns et les autres pourraient effectivement jouer certains rôles dans les regroupements qui pourraient s’opérer dans le 112ème Congrès, d’un côté (républicain) avec la nébuleuse Tea Party, de l’autre (démocrate) avec une opposition qui s’est découvert une vigueur nouvelle ces derniers jours, notamment à la Chambre, avec l’opposition unanime des démocrates au compromis passé entre le président et les républicains pour la prolongation de la loi sur les impôts des plus riches.
De ce point de vue, la tentative symbolique de filibuster du “socialiste” Bernie Sanders est loin d’être une démonstration gratuite et sans lendemain. Elle constitue plutôt le symbole d’une ère nouvelle au Congrès, avec une instabilité nouvelle, une autorité réduite des habituels canaux de direction des deux ailes du “parti unique”, une autorité inattendue gagnée par des marginaux jusqu’ici considérés comme quantité négligeable. La situation washingtonienne est à cet égard sans précédent puisqu’on y voit un président marginalisé et sans autorité sur son parti, tandis que le pari adverse, qui a remporté les élections de novembre, est lui-même profondément divisé.
Mis en ligne le 11 décembre 2010 à 14H27