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933La guerre en Syrie, qu’il faut bien désigner comme une “guerre civile” car c’en est une, va effectivement le devenir de plus en plus, mais dans un genre de plus en plus chaotique et tourbillonnaire. Dans l’exercice de l’analogie, il y a longtemps que la référence de la Libye, d’abord sollicitée, est affaiblie, sinon complètement dépassée. Une autre référence est apparue, qui est le “modèle” afghan, et précisément de l’Afghanistan des années 1980.
Le partisan originel de cette analogie est le commentateur, souvent apprécié par nous-mêmes, M K Bhadrakumar, cela il y a un mois, comme il le souligne dans un commentaire du 6 septembre 2012,, sur son site Indian PunchLine : «I had written a month ago in Deccan Herald that there is a “strange parallel” between Syria and Afghanistan. The thought-process was picked up a few weeks later by Atul Aneja of The Hindu newspaper. Now I find the “strange parallel” has occured to the Washington Post columnist David Ignatius. That is very interesting because Ignatius is a terribly well-informed Washington commentator.»
Dans le même commentaire, le même M K Bhadrakumar ne manque pas de signaler qu’un autre partisan, et de poids, de cette référence, est le président Vladimir Poutine. Il s’agit du passage désormais fameux de son interview à Russia Today, où Poutine salue en passant la démocratie américaniste et son scrupuleux respect des droits de la personne, son respect des droits des accusés quand ils ne le sont même pas légalement, son respect des procédures de justice, son rejet de la torture et tutti quanti, – tout cela rassemblé dans l’établissement-modèle de Guantanamo.
«With biting sarcasm, Putin suggested at one point that Washington might as well “unlock Guantanamo, arm all of its inmates and bring them to Syria to do the fighting.” Curiously, Putin drew a comparison between Syria and the Afghan ‘Jihad’ of the 1980s. He said:
»“You know, whenever someone aspires to attain a much-desired end, any means will do. As a rule, they will try and do that by hook or by crook — and hardly ever think of the consequences that will follow. That was the case during the Afghan war after the Soviet Union in 1979 sent its troops to Afghanistan. At that time, our current partners supported a rebel movement there and basically gave rise to Al-Qaeda, a US project that later targeted its creator. Today some people want to use militants from al-Qaeda or some other organizations with equally radical views to accomplish their goals in Syria. This policy is dangerous and very short-sighted.”»
Cette référence au “modèle” afghan a certes du sens mais elle ne nous convainc pas. D’une façon générale, l’Afghanistan est beaucoup plus “fermée”, ethniquement et géographiquement que la Syrie, et dans une région finalement moins volatile, encore à cause de raisons ethniques et géographiques, que le Moyen-Orient ; c’est-à-dire que l’Afghanistan est, à notre sens, un “modèle” trop “stable” pour la Syrie. En effet, les évènements évoqués (en Afghanistan), précisément dans les années 1980, ont suivi en un certain sens cette “stabilité”, et si le parallèle fait par Poutine s’accorde avec le soutien actuel du bloc BAO/des USA à une résurgence d’un pseudo-al Qaïda, pour recommencer le cycle, il est loin d’être assuré que la Syrie se résume à cela pour le bloc BAO, que le même résultat positif “à court terme” soit obtenu (comme il y eut la défaite de l’URSS dans les années 1980 en Afghanistan), ni même que cette analogie tiennent sur plus longtemps que plusieurs mois en une relation “stable” (justement) comme il y eut entre les USA et les moudjahidines afghans entre 1979 et 1988 au moins (l’entièreté de la première guerre de l’Afghanistan de la période)…
Nous introduisons d’autant plus ces réserves que nous avons quelques munitions pour notre argument, qui est la référence alternative d’une libanisation (“hyper-libanisation”). Il s’agit de l’annonce que des minorités syriennes, essentiellement les Druzes et les Chrétiens, sont en train de s’organiser en milices de défense après avoir été soumises aux violences de divers groupes, en général des rebelles “libérateurs”… Ce qui nous conduit, nous, à suggérer la référence de la libanisation de la guerre civile syrienne. Elle avait déjà été évoquée mais elle acquiert aujourd’hui une vitalité remarquable.
La nouvelle est détaillée dans une dépêche Reuters, relayée par Trust.org/AlertNet, le 7 septembre 2012 (commentée par Antiwar.com le 8 septembre 2012, pour être tout à fait complet dans le cheminement de la chose). Un aperçu de l’évolution…
«For months, most of Syria's minority sects stood warily on the sidelines of the revolt by the Sunni Muslim majority against President Bashar al-Assad's Alawite-dominated rule. But in Damascus, neighbourhood vigilante groups are arming themselves in Christian, Druze and Shi'ite Muslim areas, throwing up sectarian borders across Syria's capital in alliance with Assad's forces. “We protect our area from terrorists. We check all the cars coming in, and anyone we're suspicious of,” says Sameer, 32, one of four men with rifles sipping tea under a stone archway in the Christian quarter of the historic old city.
»By “terrorists” Sameer, a cab driver with the Virgin Mary and a cross tattooed on his arms, means the mostly Sunni rebels who have fallen back to an arc of suburbs on the eastern outskirts after fierce battles with Assad's forces in July. Residents fear that far from protecting them, the self-styled popular committees have merely made them targets. “It's not a matter of whether they become militias. They are militias already,” said a 20-year-old who lives in the old city. Unwilling to be identified, he pointed to the scowling young men gathered around the candy and newspaper stands that dot almost every alley and street corner.
»Residents say they are secret outposts for the committees – “lijan shaabiya” in Arabic, called “lijan” for short. Larger checkpoints manned by young gunmen, sometimes teenagers, stand outside most districts home to minority sects, which had earlier been reluctant to offer more than tacit acceptance of Assad's rule. “Security forces are arming the minorities,” said the young resident. “They are preparing for a sectarian war.”»
Du côté des Druzes, c’est la même atmosphère, à la fois de mobilisation, de confusion et de peur. Qu’importe, le processus est en marche, avec le désordre qui l’accompagne nécessairement, et les manœuvres des uns et des autres.
«“Security forces created the lijan," says a Druze resident of Jaramana, who goes by the name Nader. The 23-year old is secretly sympathetic to the opposition, even though his family supports Assad and some of them work for the security forces. “They say the lijan help us protect ourselves, but really they just wanted to light the sectarian fuse in Damascus.”
»For Amr, the dentist, the lijan are a source of fear. “They are thugs, pure and simple,” he said. “These guys are above the law.” Lijan members say their communities are at risk as Syria slides into an increasingly militarised conflict.
»“If the army doesn't call me for reserve duty, I may volunteer. My brother was a soldier. The rebels in Homs killed him. These people are radical Islamist terrorists,” says Wael, a 33-year-old Druze carpenter sitting at a crossroads behind a rickety desk which serves as a checkpoint.»
L’effet est, de plus en plus, effectivement, une très grande confusion. Le jeune Ayman, étudiant à Damas, nous expose la chose : «“One night, I was driving to Jaramana with friends. It was dark,” said Ayman, adding that residents told him rebels had infiltrated the area. “Gunmen were searching the streets. We watched them for a while, and I realised something: I couldn't tell which of them were the soldiers, and which were the lijan. Now, it is impossible to know.”»
…Si nous nous sommes étendus sur ce texte, c’est autant pour montrer le fractionnement en route, selon les lignes ethniques, religieuses et politiques, que la confusion accompagnant ce phénomène, et tout cela intervenant aux niveaux les plus divers. Il ne s’agit plus tant du fractionnement du pays que du fractionnement de la guerre elle-même, c’est-à-dire un modèle qui s’éloigne à notre sens du modèle afghan qui fut et reste caractérisé par une situation assez nette d’opposition de forces assez bien identifiées. La référence de la libanisation, celle des années 1978-1990, est à notre sens beaucoup mieux appropriée, à part qu’elle doit être étendue et renforcée (“hyper-libanisation”).
Bien entendu, la référence est d’abord technique et opérationnelle, mais elle ne suggère pas pour autant ses propres limites. La très grande différence entre la période 1978-1990 et aujourd’hui, c’est qu’en 1978-1990 existait une contrainte volontaire des puissances, un “ordre supérieur” de la guerre froide impliquant que l’interventionnisme direct, hors de tout cadre légal et reconnu par les principaux acteurs, était de toutes les façons exclu. Il n’y avait pas des phénomènes aussi incongrus que ceux qu’on a décrits le 11 juin 2012, le 27 août 2012 et le 29 août 2012, qui décrivent l’absence de responsabilité, l’absence de conscience d’être comptable d’un ordre général des relations internationales, la perception commune de dangers catastrophiques, notamment dans le chef des armements nucléaires pour la pire des occurrences d'un enchaînement incontrôlable. De cette façon, le Liban ne provoqua jamais la mobilisation et la fièvre folle qui caractérisent aujourd’hui les alentours diplomatiques de la crise syrienne, et cela est du, à notre sens, beaucoup plus à un maintien psychologique et à une mesure du jugement qu’à des plans divers et diversement machiavéliques. De cette façon, le Liban ne fut jamais une fièvre générale bien qu’il en eût les excitants et les virus qui pouvaient la provoquer. Au Liban, lorsqu’une puissance tombait sur un obstacle tragique, dans le cadre d’une mission internationale où elle s’était engagée d’une façon légale, elle n’insistait pas trop (les Américains et les Français, avec les deux attentats de 1983 faisant respectivement 245 morts et 57 morts, et se retirant jusqu’au retrait complet de la Force Multinationale en 1984).
Tout différent est le cas syrien, comme on le comprend aussitôt. Il s’agit d’une “libanisation” à l’envers… A cause de la contrainte qu’on a évoquée, que tous acceptait peu ou prou, la nébuleuse de désordre de la libanisation s’enroulait vers l’intérieur, restant au Liban même, avec des interventions régulées ou surveillées. Avec la Styrie, et avec l’espèce de “libéralisation” de la guerre, – cette évolution correspondant finalement à l’évolution du Système en général, à la globalisation économique et à la dérégulation, avec la perte de responsabilité qui va avec – la nébuleuse se déroulerait plutôt vers l’extérieur, invitant toutes les ingérences, toutes les initiatives, tout cela enveloppé dans un tintamarre de menaces, d’anathèmes, de déclarations extraordinairement irresponsables de la part des dirigeants du bloc BAO couverts par l’infraresponsabilité qui les exonère de toute maturité politique nécessaire. Bien entendu, la thèse de l’“hyper-libanisation” implique une multitude d’acteurs à l’intérieur et à l’extérieur, avec autant de formules contradictoires qu’on peut imaginer, où nombre d’acteurs se trouvent placés dans des situations où leur politique en Syrie est contradictoire avec d’autres aspects majeurs de leur politique générale, voire certaines de leurs convictions fondamentales (si cette sorte de chose existe encore).
Mis en ligne le 8 septembre 2012 à 16H28