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703L’aventure du pasteur Jones, qui vit avec un holster et un pistolet calibre .40, une affiche de BraveHeart sur le mur de la pièce où il lit et relit la Bible, et où il ne lit rien du Coran qu’il veut brûler et faire brûler en autodafé sur l’autel du 11 septembre, est une aventure standard de notre temps. (Les extraits du cas que nous donnons en Ouverture libre, le 30 août 2010, nous permettent de nous épargner l’essentiel pour en venir à l’accessoire.)
@PAYANT Face au pasteur Jones, on sent un peu les innombrables associations musulmanes et chrétiennes, de tolérance et de bonne morale, des droits du culte et autres droits divers, un peu gênées aux entournures. Le pasteur Jones est une piètre cible, qui ne représente que lui-même et ses lubies ; lui accorder l’importance qu’on lui accorde, dit le sens commun autant que le sens politique, c’est lui faire bien de l’honneur et monter en épingle un cas manifestement dérisoire ; mais comment faire autrement, au cas où le pasteur Jones rassemblerait 5.000 ou 10.000 citoyens pas loin de Ground Zero, le samedi 11 septembre 2010, armés de leur Coran acheté pour l’occasion, Zippo dans la main gauche, prêts à y mettre le feu comme un 757 détourné percuterait l’une des deux tours fameuses? Le cas dérisoire peut en effet devenir un “événement” d’ampleur nationale et même internationale, voire historique et métahistorique. Nous ne lésinons pas sur l’importance des choses.
Le pasteur Jones a l’arme des simple : il pousse à son extrême logique une des “idées” folles qui volent dans tous les sens aujourd’hui dans le débat public qui est le miroir de notre désordre. Il n’a pas lu le Coran mais sait de foi assurée que c’est un opuscule du Diable farci de mensonges, qui ne mérite que la purification du feu. Ce langage est-il bien différent en substance de nombre de jugements, plus policés dans la forme, qui sous-tendent des politiques au rythme de certaines obsessions, lesquelles constituent les arguments respectifs de ces politiques ? Et là, nous parlons de telle politique anti-islamiste comme nous parlerions de telle autre politique anti-n’importe quoi, – qu’importe l’objet, pourvu que l’on ait la substance informe de la démarche, qu’elle s’ébatte dans l’extrême et qu’elle soit “anti” de façon à nous parer indirectement de la vertu de figurer dans l’affrontement, du bon côté sans aucun doute. Le pasteur Jones est donc un homme de son temps, qui est également de notre temps. Nous ne céderons pas à l’épuisante tentation de le condamner au nom de tout le catalogue moralisant de la tolérance humaniste et démocratique qui caractérise ces temps étrange. Ce serait faire bien trop d’honneur au catalogue en question.
Par conséquent, l’on comprend que le cas du pasteur Jones dépasse le pasteur Jones et concerne “ces temps étranges”, leurs us et coutumes, leurs obsessions et leurs emportements. Les USA sont agités, autour de cette question (?) de la mosquée Ground Zero, d’une danse de Saint-Guy à propos d’on ne sait vraiment pas quoi ; mais l’on comprend que la “question (?) de la mosquée Ground Zero” pourrait devenir la question du pasteur Jones, du Coran et du Zippo allumé, ou bien le pasteur Jones pourrait être emporté dans sa célébrité aussitôt disparue après qu’un article du New York Times l’en ait sorti d’une façon inconsidérée et, oserait-on presque dire, incontinente. A son propos comme à propos de tout et de rien, tout y passe, la tolérance et l’intolérance, l’amendement sur la liberté de parole et la question de la liberté de culte, la question de la religion et la question de la survie de la civilisation face à cette menace comme on sait centrale qu’est le terrorisme, la question des musulmans et la question de la sécurité obsessionnelle.
Les USA sont devenus une sorte de “Cour des Miracles” de toutes les polémiques, de toutes les causes, de tous les symbolismes peinturlurés de moralisme et transformés en causes politiques, étiques et ethniques. La moindre étincelle fait jaillir un brasier grondant d’articles, de commentaires, d’anathèmes, de discours, d’interventions télévisées et de talk-shows convoqués d’urgence. On observera que, jusqu’ici, ces diverses “crises” n’ont pas conduit à de grands massacres organisés ni à de grands bouleversement historiques mais ont plutôt accentué le désordre général qui suscite une sorte d’entropie historique avec ses innombrables victimes “collatérales”, la confusion des esprits, la dissimulation des causes et des effets, et l’impuissance qui va avec ; elles ont accentué tous les aspects obsessionnels et compulsifs qui caractérisent les sentiments et les attitudes des conceptions postmodernistes où le moralisme est érigé en fonction centrale pour caractériser le genre humain et son fonctionnement ; elles influent directement sur le développement des lois et des structures du pays, mais plus dans le sens du foisonnement et du désordre que dans le sens d’une organisation plus stricte, plus contrainte, celle qu’on craindrait de la part d’une transformation en “Etat-policier”.
La situation des USA est devenue aujourd’hui un concentré de la situation de la postmodernité, où l’agitation sans cesse grandissante et dans tous les sens à propos des causes morales, à l’occasion des incidents les plus inattendus qui, soudain, bénéficient de l’attention du système de la communication, font ressembler ce pays à une immense jacasserie sur le sexe des anges concernant toutes les causes possibles et imaginables. Il est vrai que les musulmans sont considérés avec une extraordinaire suspicion. Les Latinos le sont également dans l’Etat de l’Arizona. Les “petits blancs” le sont également lorsqu’ils font une manifestation de Tea Party. Dans tout cela, il n’y a plus aucune orientation structurée, plus aucune cohérence et pas la moindre cohésion. Parallèlement et avec autant d’empressement mais pas tellement plus de conscience, la jacasserie s’intéresse à la prochaine crise d’effondrement du système financier, ou bien à la prochaine crise climatique précipitant une crise stratégique qui existait déjà avant elle, ou bien à la prochaine attaque contre l’Iran qui sera finalement reportée. Les crises les plus graves s’insèrent dans les cas les plus dérisoires pour être, elles aussi, l’objet de cet impitoyable filtrage qu’est la discussion générale sur le sexe des anges. Le désordre rend ainsi encore plus difficile de distinguer ce qui importe de ce qui n’importe pas, – ce qui est, après tout, la marque même du désordre.
D’où l’on est conduit à observer que l’essentiel du propos n’en est nullement l’objet apparent, – en l’occurrence, pour ce cas, le cas assez dérisoire du pasteur Jones qui pourrait apparaître, le 11 septembre, comme un Satan de l’intolérance ou un ange de la religion menacée, ou bien rien du tout après tout, selon que le feu prendra ou pas, ou bien fera long feu. L’essentiel du propos est évidemment psychologique, et en considérant évidemment les USA non pas comme un cas spécifique, mais bien comme l’ensemble communautaire disparate le plus avancé sur la voie de la postmodernité plongeant dans le désordre des esprits et des choses, – les USA, une fois de plus comme notre flambeau et notre double exemplaire, conduisant la civilisation postmodernisée dans la chute de sa crise d’effondrement. Par conséquent, le cas du pasteur Jones, son Coran et son Zippo, n’a d’intérêt que psychologique, – et ce n’est déjà pas si mal. Sans nous surprendre vraiment, il nous en dit un peu plus dans la chronique déjà avancée de la psychologie énervée, exacerbée, emportée et incontrôlée, qui caractérise cette “époque étrange” où toutes les idées volent dans tous les sens, comme autant d’“électrons libres” qui nous font nous interroger sur le sens de la réelle vertu de la liberté autant que de l’utilité des électrons en question. Bien entendu, de ce point de vue il importe de considérer le pasteur Jones comme une illustration de la crise générale et non pas de la seule crise US… Le pasteur Jones nous appartient, à nous tous, – sorte de rappel du 11 septembre 2001 après tout, au point qu’on pourrait trouver un éditorialiste Rive Gauche pour s’exclamer : “Nous sommes tous le pasteur Jones”.
Mis en ligne le 31 août 2010 à 14H31
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