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1040…Cette phrase est le titre d’une chronique de Bill Boyarsky, sur Thruthdig.com, datant du 30 novembre 2011. En d’autres mots que ce titre lapidaire, Boyarsky propose l’idée que la prochaine phase du mouvement Occupy (qui se poursuit pourtant avec vigueur dans sa phase initiale d’occupation de lieux publics dans certaines villes et sur les campus) pourrait être tout simplement l’année 2012, et le principal événement annoncé de cette année dans la situation intérieure des USA, qui est l’élection providentielle.
Boyarsky prend l’exemple de la récente évacuation de l’occupation publique à Los Angeles pour proposer son évaluation de l’avenir à cet égard… «For in its two months of existence, Occupy L.A. showed a resiliency and purpose that could make some of its participants leaders in a great confrontation over economic injustice in the 2012 election. The same is true of the many Occupy movements, from Wall Street to Harvard Yard to Chicago, to Denver to Philadelphia, to Berkeley, Davis, UCLA and other places. In other words, the election could be the next step for the Occupy movement.»
A l’appui de sa thèse, Boyarsky cite un des nombreux avis de spécialistes des questions économiques et sociales, sur l’évolution de la situation à cet égard aux USA. La thèse se renforce alors du constat que 2012 sera, à cet égard, la marque d’une évolution vers une situation encore plus pesante et insupportable pour la population, cela favorisant effectivement le mouvement Occupy pour cette phase que Boyarsky prévoit de «Occupy 2012».
«“I don’t think there will be a better economy next year,” Chapman University law professor Timothy A. Canova told me as we stood in the midst of the Occupy L.A. scene at City Hall on Monday, discussing what would become of the movement. Canova, a strong critic of the banking system who has been observing Occupy L.A., is on an advisory committee helping Vermont Sen. Bernie Sanders draft legislation to reform the Federal Reserve. “Next year, there will be more unemployed people and next summer will be the hypocrisy of the presidential campaign,“ he said. “There could be a lot of leaders that come out of this movement. I think it will be back next summer.”»
Ces propos rappellent à Boyarsky les précédents de la Grande Dépression et des années 1960, notamment la structure des mouvements de protestation telle qu’ils s’organisèrent dans ces différentes périodes, avec des temps d’arrêt, des changements d’objectifs pendant ces temps d’arrêt, et un travail d’organisation pendant ces périodes intermédiaires. L’apparence souvent inorganisée et anarchique d’Occupy ne le décourage nullement à cet égard, parce que, justement, il n’y voit qu’une apparence. (Boyarsky ne mentionne pas, par contre, l’élément de rapidité, d’accélération de l’Histoire, beaucoup plus fort aujourd’hui que dans les années 1930 et 1960. Cela ne contredit pas sa thèse, cela la rend plus pressante)
«Will their organizers come from this particular Occupy L.A. encampment? As I moved out of the way of a speeding skateboarder, I kind of doubted it.
»But that was a momentary feeling. I had been visiting Occupy L.A. since October. I saw that what looked like a disorganized mess was, in many ways, a training ground for the election year ahead. Skateboards aside, young people were learning how to deal with others in organizing protests against what brought them together—income inequality and rapacious financial institutions. This is undoubtedly true of the Occupy movements throughout the country.»
Un autre élément est à prendre en considération pour le futur d’Occupy, qui n’est pas évoqué par Boyarsky. Il s’agit du sentiment des adversaires d’Occupy, et notamment des fractions représentant ce fameux “1%” contre lequel les “99%” d’Occupy se sont soulevés. Un document intéressant a été diffusé, d’abord par Chris Moody, de News.Yahoo.com, le 30 novembre 2011, puis repris par d’autres sites progressistes ou dissidents (notamment ThinkProgress.org, le 1er décembre 2011, ou RAW Story le même 1er décembre 2012). Il évoque une conférence semi-publique sinon “secrète” de la Republican Governors Association, à Orlando, en Floride, dans laquelle Moody avait pu se glisser. Cette association fait partie du réseau des courroies de transmission, essentiellement liées au parti républicain traditionnel, réseau institué en défenseur du “1%” visé par Occupy. Le 30 novembre, il y a eu une intervention remarquable, celle de Frank Luntz, un “stratège” de la communication, notamment mandaté par le parti républicain. Moody écrit :
«The Republican Governors Association met this week in Florida to give GOP state executives a chance to rejuvenate, strategize and team-build. But during a plenary session on Wednesday, one question kept coming up: How can Republicans do a better job of talking about Occupy Wall Street?
»“I'm so scared of this anti-Wall Street effort. I'm frightened to death,” said Frank Luntz, a Republican strategist and one of the nation's foremost experts on crafting the perfect political message. “They're having an impact on what the American people think of capitalism.” Luntz offered tips on how Republicans could discuss the grievances of the Occupiers, and help the governors better handle all these new questions from constituents about “income inequality” and “paying your fair share.”»
Suivent les conseils que Luntz a donnés à ses auditeurs au niveau de la communication, pour tenter de contrer Occupy et son influence. Ces conseils relèvent de l’enfonçage de portes ouvertes, comme c’est l’habitude dans cette sorte d’exercice si caractéristique de la postmodernité, et cela venu d’un véritable maître du domaine : “Ne parlez pas du capitalisme”, “Ne parlez pas des bonus”, “Montrez de la sympathie pour les contestataires au nom des 99%”, et ainsi de suite pour les platitudes décisives du “stratège”. ThinkProgress.org, commentant cette intervention, met en évidence son importance pour les adversaires d’Occupy, avec la personnalité et la réputation de ce Luntz, et sa signification du point de vue d’Occupy…
«Frank Luntz is no minor pollster. He is considered to be one of the top political communications experts in the world, having provided consulting to many of the world’s top corporations, politicians, and special interest groups. That Luntz is admitting the impact of Occupy Wall Street and the 99 Percent and telling closed-door meetings of Republicans that it frightens him is a huge victory for the movement.»
Les deux interventions mentionnées se complètent bien, parce qu’elles s’appuient autant sur un enchaînement des circonstances que sur une évolution de la situation de la psychologie. L’enchaînement des circonstances est évident : la campagne présidentielle, qui a d’ores et déjà commencé, va prendre un tour officiel et spectaculaire dès le 3 janvier 2012 avec la primaire de l’Iowa. Dès cet événement, l’aspect dramatique de cette campagne va être mis en évidence par la bataille entre les candidats républicains et, essentiellement, ce qu’il va advenir de Ron Paul, – le candidat atypique, qui a, qu’il le veuille ou non, une vocation absolument antiSystème qui rencontre le même fond antiSystème dOccupy (et même, sans aucun doute, de Tea Party). Or, Ron Paul serait bien placé pour cette primaire ; on l’a même vu en deuxième position dans un sondage de la presse-Système, qui fait pourtant tout pour orienter ces sondages contre lui ; cela, avec les signes qu’on trouve dans les résultats parcellaires, puisqu’il a remporté jeudi par 43% des voix contre 23% à Perry un straw poll organisé dans le Tea Party de l’Iowa. Une victoire de Ron Paul dans l’Iowa serait un formidable détonateur des organisations de contestation, qui transcenderait évidemment les fausses oppositions gauche-droite et, par exemple, unirait dans une même détermination Tea Party et Occupy. Même un classement de Ron Paul qui ne serait pas la première place mais qui le mettrait dans le groupe de tête dans cette primaire aurait un effet d’impulsion.
En d’autres termes, la prospective stratégique de Boyansky est peut-être d’ores et déjà à nos portes, et il ne serait alors pas nécessaire d’attendre l’été pour voir Occupy reparaître ; il s’agirait même d’un simple enchaînement à partir d’une base d’activisme restée solide avec les occupations de lieux publics, un enchaînement passant au niveau supérieur de l’activisme contre le processus du pouvoir politique du Système. (Ron Paul deviendrait alors quasi officiellement ce qu’il est puissamment d’une façon potentielle, l’icône et l’étendard d’une telle dynamique, quelles que soient ses intentions et sa politique).
Psychologiquement, la situation est également intéressante et plutôt explosive. Les mots de Frank Luntz («I'm so scared of this anti-Wall Street effort. I'm frightened to death») sont impressionnants de puissance pour décrire l’état d’esprit des adversaires d’Occupy ou, plus précisément, des fameux “1%”. On sent qu’il y a, dans cet exposé, la marque d’une véritable panique qui a saisi l’oligarchie financière (et, au-delà, la direction politique et l’establishment) devant ce qui est perçu comme une révolte populaire. Inconsciemment et involontairement, cet état de la psychologie de ce groupe placé au cœur du Système a toutes les chances d’alimenter Occupy par les réactions incontrôlées du groupe, par ses réflexes, par sa peur elle-même. Le commentaire de ThinkProgress.org est évident, dans le fait que l’effet d’Occupy ait engendré cette frayeur panique constitue une incontestable victoire des contestataires… Tout cela montre que l’oligarchie-Système des “1%” est dans une situation psychologique inconsciente de crainte d’une révolte, qui est presque une attente de cette révolte, voire une sorte d’incitation à la révolte, comme ces obsessions qui finissent par créer l’objet supposé, voir imaginé de l'obsession. Il y a ainsi un rapport étrange, de l’ordre du complément de courants supérieurs se nourrissant des psychologies collectives et les nourrissant elles-mêmes, pour installer cette situation. En dépit de l'importance d'Occupy qui peut paraître quantitativement faible, de sa forme qui peut apparaître incohérente, – mais aussi, peut-être à cause de cela, –les circonstances et les tensions psychologiques devraient finir par créer en quelque sorte de toutes pièces une situation insurrectionnelle. Justement, les caractères insaisissables du mouvement, ou les caractères dérisoires du point de vue quantitatif, sont des occurrences qui, au lieu de limiter le mouvement, ouvrent ses perspectives dans la perception qu’en a l’oligarchie-Système dès lors qu’il se confirme qu’elle vit avec l’obsession de l’insurrection populaire.
Mis en ligne le 3 décembre 2011 à 10H45