“Qui a peur du grand méchant loup ?“

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Premier point à noter : le sévère avertissement, très officiel, des USA au Royaume-Uni pour ses réductions de dépenses de défense. Hillary Clinton et Gates l’ont dit officiellement, dans une allusion directe au Royaume-Uni. Clinton parlait en réponse à une question de la BBC sur les réductions de dépenses de défense en Europe, avec une mention explicite et appuyée au Royaume-Uni. Le Guardian du 14 octobre 2010 expose aussi la réaction de la porte-parole du Premier ministre britannique, qui fait montre d’une impudence remarquable en applaudissant Clinton, et en disant implicitement : “elle parle pour les autres pays de l’OTAN en disant qu’il faut que ces pays remplissent leur devoir vis-à-vis de l’OTAN, et le Royaume-Uni n’est pas concerné puisqu’il fait et fera toujours son devoir, c’est bien connu…” («Hillary Clinton was talking about defence cuts across Europe and specifically in the context of Nato. She is absolutely right when she says that each country has to be able to make its appropriate contribution to common defence in Nato and Britain will always do that.»)

Dans un tout autre contexte, on notera un texte de William Pfaff (sur son site, le 12 octobre 2010). Les deux premiers paragraphes nous intéressent :

«The most striking phenomenon at the discussions taking place at the New Policy Forum held here last weekend, under the sponsorship of Moscow’s Gorbachev Forum and the Bulgarian Slavyani Foundation, was that the great American Long War on global terror and violent extremism was not once mentioned. No one seemed to think it worth attention, although the present national outlook for the United States was alluded to, usually in pessimistic terms.

»Since the conference participation was East-Central European and Eurasian, as well as West European-British-American, this seemed an interesting comment on how little interested others are in Washington’s present military and geo-strategic preoccupations.»

Notre commentaire

@PAYANT Il s’agit d’exemples d’une attitude générale, nullement d’exceptions. On pourrait y ajouter, dans un autre champ, et pour noter combien cette situation n’est pas spécifique à l’Europe, l’interprétation de Juan Cole (voir Ouverture libre du 14 octobre 2010) analysant la visite d’Ahmadinejad au Liban de cette façon  : «The first visit of a president of the Islamic Republic to Beirut signals that neither the U.S. nor Israel is hegemonic in the région…»

Ces diverses interventions et observations documentent le fossé qui va en s’approfondissant entre les USA et le reste du monde pour ce qui concerne le domaine essentiel des questions de sécurité (puissance militaire, hégémonie, agression militaire, etc.). L’extraordinaire disparité entre le discours officiel et les comportements plus naturels, ainsi que les faits eux-mêmes, dissimulent ce phénomène, et surtout son ampleur. L’obsession américaniste pour les questions de sécurité, et surtout avec cette tarte à la crème de la guerre contre la terreur, brouille effectivement, dans une mesure d’une extrême ampleur, la réalité des relations internationales. (Elle-même, cette obsession de la direction politique US, entretient un dysfonctionnement politicien et de corruption de la direction politique, qui est le plus souvent en complet déphasage avec la population US beaucoup plus préoccupée des problèmes économiques et du chômage.)

Cette obsession de la direction américaniste est aisément explicable. Elle répond à une attitude psychologique, voire pathologique, de refus du déclin américaniste dans les affaires du monde. La direction américaniste se raccroche à la puissance militaire et à ses adjuvants politico-militaire, où elle estime posséder une supériorité incontestable, pour conserver à toute force ce qu’elle croit être une position hégémonique dans le monde ; son discours et ses diverses prétentions sont à mesure de cette pathologie : excessifs, infondés et en général complètement irréalistes. Pour cette raison fondamentale, toute sa politique est fondée sur ce domaine de la force, qu’elle tente d’imposer à ses partenaires. L’évolution très rapide de la crise générale, qui discrédite de plus en plus les moyens de force, la puissance militaire, l’interventionnisme, etc., dans l’activité des relations internationales, éloigne de plus en plus les autres directions de celle de Washington, et l’on observe cette distance de façon frappante dans des occasions comme celle que rapporte William Pfaff.

D’une certaine façon, il y a une situation où deux mondes existent, sans vraiment cohabiter, sans dialoguer, sans se comprendre, sans guère de liens sur l’essentiel qui est l’analyse de la situation générale, – tout cela en se disant si proches (notamment entre Europe et USA) qu’on croirait à des frères jumeaux. Il y a d’un côté la direction US, qui développe une analyse en fonction des moyens (militaires) qui lui restent, de son obsession hégémonique, de sa pathologie de la sécurité et de la force, des pressions constantes des centres de pouvoir et du complexe militaro-industriel, et de l’autre l’analyse prédominante dans les autres directions politiques qui admet l’importance grandissante de problèmes et des crises structurelles de civilisation, de l’économie à l’environnement, des structures sociales à la raréfaction des ressources naturelles, de l’affaiblissement des structures politiques au désordre qui l’accompagne et ainsi de suite. La direction US continue à avoir une conception confrontationnelle de la situation générale et des relations internationales, la fameuse “politique de l’idéologie et de l’instinct” de la période Bush qui s’est révélée comme la posture naturelle des USA, alors que les autres pays sont de plus en plus sollicités par une recherche de politiques de coordination ou de coopération face à des problèmes communs qui ne cessent d’être plus pressants.

Le résultat paradoxal mais logique de cette évolution est que, derrière les discours de façade qui réaffirment constamment les diverses allégeances et par conséquent le caractère évidemment incontestable, voire éternel, de l’hégémonie US, l’idée même de cette hégémonie US s’étiole à une vitesse beaucoup plus grande qu’elle ne le ferait s’il existait une direction solide et capable de contrôler le processus. Bien entendu, le tout est accentuée par deux choses : d'une part, l'inefficacité grandissante, confinant à la paralysie, des forces militaires US ; d'autre part, la perception que la direction politique US perd son équilibre et le jugement global qui lui permettait d’asseoir cette hégémonie sur une forte assise politique. A ce point, bien entendu, on rejoint la situation politique intérieure US dont le chaos, l’instabilité, l’impuissance et la paralysie rendent encore plus pathétiques les prétentions hégémoniques.

Il n’y a strictement aucune amélioration à attendre de cette évolution, bien au contraire. Du fait que le pouvoir à Washington est aujourd’hui la résultante de l’affrontement des intérêts de forces, ou de centres de pouvoir divergents, l’argument de l’hégémonie qui est manipulé par les uns et les autres pour leurs propres intérêts continuera à être utilisé, sinon de plus en plus, et à inspirer la politique générale. La disparité signalée plus haut ne fera que s’accentuer et il est intéressant de voir comment elle s’exprimera, un jour ou l’autre, à ciel ouvert, – d’une façon explosive ou par simple effacement de l’acteur (la direction politique washingtonienne) surjouant un rôle dépassé et grotesque.


Mis en ligne le 15 octobre 2010 à 11H26