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135624 juillet 2010 — L’explosion le 15 juillet d’une voiture piégée à Ciudad Juarez, la ville dont le gouvernement mexicain a laissé le “contrôle” aux affrontements des cartels de la drogue, marque peut-être, sans doute, un tournant dans l’affrontement en cours au Mexique. Si c’est le cas, nous passons à la perspective, – à laquelle nous sommes attentifs d’une façon très insistante, – d’une situation de guerre type G4G. Cette hypothèse est comparée, dans une analyse de Reuters du 23 juillet 2010 (voir aussi Ouverture libre du 24 juillet 2010), soit au cas colombien de plusieurs décennies du siècle dernier, soit aux cas irakien et afghan.
@PAYANT Il nous paraît difficile de donner une évaluation opérationnelle précise du premier emploi d’une voiture piégée par les cartels de la drogue, pour tracer des perspectives du “conflit” en cours dans le Nord du Mexique, – c’est-à-dire, sur la frontière US du Mexique, élément bien entendu fondamental. Mais aujourd’hui, il importe en toutes choses de tenir compte, comme d’une donnée d’une extrême importance, du facteur de la communication. L’écho médiatique de cet attentat, l’interprétation qu’on en tire aussitôt constituent un apport fondamental pour l’évaluation de l’évolution opérationnelle. C’est-à-dire qu’on peut admettre que cet attentat, qui a été perpétré également avec à l’esprit l’écho de communication qu’il provoquerait, semblerait effectivement indiquer une volonté des auteurs d’élargie, sinon de changer les conditions de l’affrontement vers une phase qui l’apparenterait à un conflit type G4G.
La confusion de la situation au Mexique est extrême. On ne peut parler d’une “simple” guerre opposant des organisations criminelles et les autorités, centrée autour de la seule question de la drogue. L’affrontement tend à prendre des aspects “sociaux”, en raison de l’impopularité du régime Calderon et de la corruption et de la brutalité des forces gouvernementales fédérales. Il existe aussi bien des cas où la population est moins hostile aux cartels qu’aux forces fédérales, et des cas où les forces légales provinciales sont en bien aussi mauvais termes avec les forces fédérales qu’avec les cartels.
Enfin, la question de la drogue n’est pas perçue comme un problème de dévastation sociale fondamental puisque plus de 80% de la drogue s’en va aux USA. Une partie de la population est économiquement intéressée au trafic, dont on voit qu’il a rapporté plus en 2009 (entre $25 et $40 milliards, plus proche des $40 milliards) que les exportations de pétrole. La drogue n’est pas un facteur criminel seul, ou un facteur criminel et géopolitique, mais également un facteur social et économique dont il n’est pas assuré qu’il soit nécessairement défavorable aux cartels.
…En d’autres mots, nous ne sommes plus très loin de la politique. Le Mexique n’est plus nécessairement un “Etat failli” (“failed State”) ou un “narco-Etat” (“narco-State”), même s’il est l’un et l’autre. Il est peut-être un Etat en cours de préparation pour des changements politiques majeurs. On voit très difficilement :
• Comment Calderon pourrait être réélu “normalement” dans une telle situation, alors que les présidentielles sont pour 2012.
• Comment la question de ces présidentielles pourraient ne pas interférer dans la guerre des cartels d’ici 2012, avec l’interrogation à propos de ce que ces cartels pourraient faire d’ici là, vis-à-vis du processus politique.
• Comment l’opposition politique et sociale, très forte contre Calderon, pourrait ne pas s’organiser contre lui en fonction du facteur de la guerre de la drogue et de la puissance des cartels.
Les questions les moins ordinaires viennent alors à l’esprit : quel rôle politique peuvent jouer les cartels dans les 24 mois qui viennent, vis-à-vis de l’élection présidentielle, alors que l’opposition au régime Calderon s’est durcie et que certains cartels jouent une “carte sociale” en profitant de la brutalité des forces fédérales ? Peut-il y avoir une sorte d’“alliance objective” entre les cartels et l’opposition de gauche, ou l’opposition populiste contre Calderon ? Peut-il y avoir des risques de partition, à partir d’une situation au Nord quasiment sous contrôle des cartels, et d’autre part des provinces au Sud qui peuvent retrouver le goût d’une guérilla active contre le régime Calderon ?… En d’autres termes, cette question symbolique : l’explosion de la voiture piégée n’est-elle pas l’ouverture officieuse et tonitruante d’une campagne électorale 2012 qui peut conduire le Mexique vers des voies inconnues ou inattendues ?
…A propos, 2012, année fameuse entre toutes, outre d’être l’année de l’élection présidentielle mexicaine et celle du calendrier maya, évidemment cher aux Mexicains, est aussi l’année de l’élection présidentielle US. Cela promet, avec la possibilité de voir s'ajouter, au possible désordre mexicain de l'élection, celui du désordre par paralysie de l'année électorale présidentielle aux USA. C’est une transition toute trouvée pour aborder le deuxième volet de l’événement mexicain, lequel est déjà ressenti aux USA, par les acteurs anonymes sur le terrain, comme on le lit dans l’analyse Reuters, – citant un fonctionnaire US du dispositif de surveillance de la frontière, parlant de l’attentat à la voiture piégée : «It's a loud knock at our door. Can you imagine if a device like that blew up (near a border crossing)? It would shut down the port, the commerce.»
Bien entendu, et mises à part toutes les autres considérations envisagées ci-dessus, une guerre de la drogue mexicaine dégénérant en conflit de basse intensité type G4G, ressemblant plus à l’Irak et à l’Afghanistan qu’à la Colombie, est un cauchemar US. Un tel conflit n’aurait rien à voir avec les exemples cités, même s’il leur ressemblait, simplement parce qu’il se développerait sur la frontière des USA. La possibilité de cette perspective coïncide, – mais est-ce une coïncidence ? – avec la première phase légale du conflit entre le gouvernement fédéral et l’Etat d’Arizona. Un juge fédéral doit se prononcer sur la plainte de l’administration Obama la semaine prochaine, avant le 31 juillet, jour d’entrée en application de la loi anti-immigration de l’Etat de l’Arizona que l’administration veut bloquer. On a déjà signalé les conditions d’aggravation de cette affaire, dont on comprend combien elles sont liées avec une possible aggravation de la guerre de la drogue sur la frontière mexicaine. En attendant, Washington déploie paresseusement quelques centaines de gardes nationaux sur les frontières mexicaines de trois Etats dont l’Arizona…
Il est difficile de penser à une illustration plus forte du concept très washingtonien “the system is broken” que cette affaire des troubles mexicains, avec les implications directes sur la frontière US et à l’intérieur d’un certain nombre d’Etats de cette frontière, voire plus au nord dans les Etats-Unis. Au début 2009, lors de l’installation de l’administration Obama, une alarme sérieuse s'était faite jour chez les stratèges du Pentagone. Dès ces premières semaines de la présidence Obama, on vit une activité bouillonnante de Washington vers le Mexique : Obama lui-même, Hillary Clinton, l’inévitable Pentagone, avec même des bruits d’expéditions guerrières si cela s’avérait nécessaire.
Que s’est-il passé depuis de ce côté ? Rien de fondamental, aucune mobilisation particulière, aucune stratégie, aucune politique spécifique. L’affaire s’est dissoute, dans les préoccupations politiciennes washingtoniennes, dans les chamailleries pour savoir qui exercerait les prérogatives ici et là, entre le Pentagone, le Homeland Security Department et les diverses agences. Plus d’une année s’est écoulée et, effectivement, les déploiements supplémentaires n’atteignent pas 2.000 hommes, dont la moitié pour l’infrastructure, la logistique, les communications, etc. On a annoncé avec fanfares et trompettes l’emploi de drones pour repérer les illégaux, les trafiquants, ou éventuellement les cactus aventureux, parce que l’emploi des drones rassure les angoisses comptables de Lockheed Martin, de Northrop Grumman, de Boeing et de quelques autres.
Que s’est-il passé depuis de l'autre côté ? Une aggravation vertigineuse de la situation, avec les victimes qui s’empilent par centaines, la région du Nord, dont Ciudad Juarez, en quasi dissidence, des empiètement de plus en plus audacieux des cartels de la drogue dans différents Etats US, et, enfin, les derniers échos dont on rend compte ici. La passivité US, c’est-à-dire du centre fédéral, devant ces développements, tient du prodige. Finalement, l’administration ne s’est réveillée que lorsque la loi de l’Etat de l’Arizona a été adoptée, et non pas sur le fait même de cette loi et de ses connexions constitutionnelles antagonistes ou pas, mais bien lorsque les groupes de pression washingtonien ont commencé à parler d’une loi “raciste”. Le système, à cet égard, et plus particulièrement cette administration US qui devait nous libérer du carcan de l’obsession du racisme grâce à l’élection d’un président africain-américain, est totalement prisonnier de sa narrative humanitaire et morale où la grande saga du racisme tient la première place sinon la place exclusive comme menace d’anéantissement de la civilisation.
Certes, la loi de l’Etat de l’Arizona est ce qu’elle est, et peut-être doit-on la soupçonner de noirs desseins ou d’une rédaction un peu abrupte, mais le contraste entre ce problème et ce qui est en jeu par ailleurs entre cet Etat et Washington, et sur la frontière sud des USA en fonction de ce qui se passe au Mexique, est absolument confondant. L’intelligence des directions du système américaniste et occidentaliste, par ailleurs fort brillante, semble absolument cloisonnée entre autant de lieux communs et de stéréotypes qui sont appréciés selon des réflexes pavloviens précieusement conservés en l’état. Jusqu’ici, personne parmi les vastes communautés de stratèges de Washington, ne semble avoir fait une connexion entre l’affaire de l’Etat de l’Arizona et la situation mexicaine ; quant à l’alarme du printemps 2009, elle semble totalement oubliée, comme si, effectivement, la frontière mexicaine s’était fondue dans une situation d’idyllique stabilité. Même la question de l’immigration illégale, sur laquelle Obama voudrait imprimer sa marque brillante, est traitée d’une façon complètement cloisonnée, comme si elle n’avait aucun rapport avec la frontière mexicaine et la situation qui y règne, bien que ce soit par cette frontière-là que se fasse l’immigration en question.
…Car le danger, bien entendu, se trouve en Afghanistan. (Ou bien au Soudan, ou bien en Iran, voire en Russie puisqu’on déploie des Patriot en Pologne.) La déstructuration du pouvoir américaniste en autant de crises qu’il affronte, selon les circonstances, semble priver son appréciation de toute connexion possible entre ces crises, y compris les plus évidentes. Le psychocentrisme washingtonien, qui est servi par un ethnocentrisme qui sépare, non seulement les USA du reste du monde, mais Washington du reste des USA et de leurs frontières, semble constituer désormais un obstacle insurmontable dans l’identification des crises, de leurs connexions et de la graduation de leur importance. Cette puissance, qui ne peut se débarrasser de la pathologie de se penser comme hégémonique, et d’une hégémonie qui n’est véritablement opérationnelle que dans les zones les plus éloignées possibles, semble impuissante à se figurer l’existence de proximités dangereuses. La “conscience réduite” qui engendre le “trouble caractériel” marquant la psychologie washingtonienne aujourd’hui semble concerner également l’espace du monde, la diversité de ses distances et de ses caractères.
C’est donc un phénomène fascinant de voir se développer cette crise mexicaine sur la frontière sud des USA, et l’inactivité de Washington à cet égard, après les débuts tonitruants du printemps 2009. Encore un point à garder à l’esprit, celui-là, comme nous le rappelons en permanence, avec la caractéristique fondamentale de lier d’une façon très serrée des crises extérieures et des crises intérieures, – et un rendez-vous, 2012, où des événements imprévus peuvent secouer la situation mexicaine et la situation sur la frontière avec l'élection présidentielle, où les USA seront plus que jamais paralysés par leur propre élection présidentielle. La frontière mexicaine est le ventre mou du colosse qui se décompose, par où le désordre du monde pénètre avec un dynamisme roboratif.
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