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896Une nouvelle intéressante sur le “front” iranien, la déclaration de l’ambassadeur des Emirats Arabes Unis aux USA, lors d'un séminaire à Aspen, dans le Colorado ; l'ambassadeur recommandant fermement d’envisager l’option d’une attaque militaire contre l’Iran pour empêcher ce pays de se doter d’une arme nucléaire. On trouve notamment ces déclarations dans le Washington Times de ce 6 juillet 2010 et une reprise de ces déclarations sur Novosti, ce 7 juillet 2010.
Successivement, Yousef al-Otaiba a estimé que son pays ne pouvait envisager de vivre avec un Iran nucléaire («The United States may be able to live with it. We can't.») ; qu’une attaque, si elle avait lieu, provoquerait de graves remous à court terme mais se révèlerait payante à long terme ; que si une telle attaque n’avait pas lieu, les pays de la région se détourneraient des USA pour se rapprocher de l’Iran, qui deviendrait la puissance dominante de la région, et qu’il y aurait une course à l’armement nucléaire dans la région (ceci compatible avec cela ?).
@PAYANT Devant ces déclarations, les faucons triomphent (notamment John Bolton, présent dans la salle), et BHL va pouvoir faire un autre édito sur Huffington.post, après celui du 6 juillet 2010 du même site, en very good American English, où il applaudissait de façon prémonitoire les EAU pour appliquer avec fermeté les sanctions de l’ONU contre l’Iran. Mais la déclaration de l’ambassadeur des Emirats complique la situation bien plus qu’elle ne l’éclaircit.
Comme le disait un des auditeurs de l’intervention de Yousef al-Otaiba, ce qui est le plus surprenant c’est qu’elle soit publique ; puisque, ajoutait-il, de nombreux diplomates arabes modérés et amis des USA pressent les USA d’envisager une action militaire contre l’Iran, mais en privé seulement. Cette intervention publique est bien autre chose. Elle n’apporte aucun élément sur la question des buts de l’Iran, ni de son intention ou pas de devenir un pays militairement nucléaire, mais porte essentiellement sur le paroxysme de l’enjeu auquel on parvient, notamment dans les rapports entre les USA et ses pays amis au Moyen-Orient, concernant l’attitude à avoir à l’encontre de l’Iran. Yousef al-Otaiba accepte complètement, d’une façon implicite mais fortement marquée, la thèse des maximalistes selon laquelle l’Iran veut faire une arme nucléaire. C’est accepter et crédibiliser d’une façon internationale la thèse maximaliste du bloc occidentaliste-américaniste, alors que ce “bloc” vit souvent dans l’ambiguïté à cet égard. Les rapports des services de renseignement US ont défilé depuis 5 ans pour nous assurer que l’Iran aurait la bombe l’année suivante ou bien qu’il ne faisait rien pour l’avoir et qu’il n’y avait aucune raison de croire qu’il l’aurait avant longtemps (voir les National Intelligence Estimates des services de renseignement US de décembre 2007). Il y eut presque une mutinerie au sein de l’U.S. Navy, avec un discret appui de Gates, lorsque des bruits d’attaque du côté des durs de l’administration Bush se firent un peu trop précis, – et cette situation n’est nullement apaisée.
C’est justement de ce point de vue que l’intervention de l’ambassadeur des UAU complique la situation. Elle n’intervient pas à un moment où les USA, plutôt solitaires mais décidés à affirmer leur puissance, rêvant d’en découdre avec les moyens de le faire, comme en 2003, chercheraient des appuis au moins dialectiques et diplomatiques pour justifier une attaque ; elle intervient au moment où, comme d’habitude depuis 2004-2005, et surtout vis-à-vis de l’Iran, Washington est fortement divisé, et les principaux centres de sécurité nationale (le Pentagone, le NSC) fort peu empressés de lancer une attaque contre l’Iran. Certes, un rapport récent de la CIA, apporté comme gâterie par BHO au sommet du G20, annonce que l’Iran a les moyens d’avoir au moins deux bombes dans deux ans et cela a beaucoup impressionné les foules dirigeantes du monde civilisé. (Même en acceptant ces révélations, “avoir les moyens” signifie-t-il qu’on va les faire ? “Oui”, dit l’un ou l’autre transfuge iranien que la CIA a récupérés, via des réseaux plus ou moins marqués par les Israéliens et les neocons ; “non”, disent ceux qui ont l’habitude des révélations contradictoires de l'Agence depuis des décennies, à commencer par les armes de destruction massives de Saddam promises à GW Bush par son directeur d'alors, George Tenet, avant l’attaque de mars 2003, notamment à partir de révélations de transfuges irakiens obligeamment fournis par les neocons. De même et parallèlement pour les trouvailles bienvenues de l'IAEA à charge de l’Iran, comme nous le montre Gareth Porter, ce même 7 juillet 2010 sur Atimes.com.)
L’intervention de Yousef al-Otaiba montre donc qu’il y en a pour prendre au sérieux, d’une façon intéressée quand on connaît les liens des EAU et de l’ambassadeur lui-même avec les USA, les évaluations US et autres les plus maximalistes des intentions immémoriales des Iraniens, – quand on crie “au loup”, on finit par vous entendre… Elle (l’intervention) semblerait combler les faucons, les Israéliens, les durs du bloc américanistes-occidentalmistes (c’est-à-dire tout le monde à certains moments, notamment dans le flux qui suit le vote des sanctions de l’ONU), – mais est-ce bien sûr, d’une façon aussi affirmée ? Rarement une attaque-surprise aurait été aussi longuement annoncée, méditée, préparée, d’une façon qui tend surtout à montrer que les autorités suprêmes qui peuvent l’envisager veulent surtout garder le contrôle de toute l’affaire, de bout en bout, pour n’être entraîné dans aucune aventure avant d’avoir tout essayé ou essayé certaines choses, ou d’avoir réglé leurs propres problèmes internes à ce propos, ou pour éventuellement utiliser cette possibilité simplement comme moyen de pression sur l’Iran (c’est l’idée centrale de l'habile président français Sarkozy). Yousef al-Otaiba, lui, ne plaisante pas. Il dit “chiche”, attaquez l’Iran, puisque vous dites que l’Iran va avoir l’arme nucléaire et que cela est quasiment évident ; si vous ne le faites pas tous les pays arabes se détourneront de vous pour s’aligner sur l’Iran («There are many countries in the region that if they lack assurance that the U.S. is willing to confront Iran, they will start running for cover with Iran. Small, rich, vulnerable countries do not want to stick their finger in the big boy's eye if they do not have the backing of the United States») ; si vous ne le faites pas, tout le monde deviendra nucléaire au Moyen-Orient (Turquie, Egypte, Syrie, Arabie, etc.)… Ouf, cela fait beaucoup et l’ambassadeur frappe fort, puisqu’il annonce tout et son contraire (si les autres pays arabes deviennent nucléaires à leur tour, cela ne s’ajuste pas vraiment avec l’idée des autres pays arabes devenant des valets de l’Iran nucléaire).
Dans tous les cas, Yousef al-Otaiba, – un homme de bonne formation américaniste comme il convient, puisque passé par Georgetown University, – nous montre à ciel ouvert au moins une chose, qui est la dépendance ou la complicité complète des pays arabes modérés de la puissance US, et, en contrepartie, leurs exigences vis-à-vis de cette puissance – et, en cas de défausse du Grand Leader globalisé, leur aptitude annoncée à envisager très vite de retourner leur veste selon la direction du vent. Ce qui est, finalement, conduire, dans le scénario le plus dramatique, à la question finale : les USA sont-ils encore à la hauteur de la réputation d’“hyperpuissance” militaire qu’ils se sont forgée ?
L’affaire iranienne se complique à merveille. Elle n’est plus seulement un test pour la direction iranienne d’avoir à se conformer aux injonctions de l’Ouest, ni un test pour Israël d’exercer son influence avec fruits sur les USA, mais éventuellement un test pour la résolution des USA à conduire leur leadership en cours d’effondrement, avec leur force militaire, – par ailleurs, ces forces militaires bien occupées ailleurs. Accessoirement, elle devient également un test pour la cohorte des suiveurs, notamment européens, engagés dans cette aventure parce qu’il faut bien suivre, que le système de la communication joue à plein dans ce sens. Nous, nous méditons toujours ces paroles intéressantes du dirigeant des néo-sécessionnistes du Vermont, Thomas Naylor, qui est désormais une de nos citations favorites : «There are three or four possible scenarios that will bring down the empire. One possibility is a war with Iran…»
Mis en ligne le 7 juillet 2010 à 16H40