A l’affiche : “Folies-bouffes américanistes”

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A l’affiche : “Folies-bouffes américanistes”

Il y a de ces temps où l’effondrement d’une puissance, la sombre perspective d’une dissolution de ce qui commandait auparavant la crainte ou le respect, se traduisent en un instant, et au moins pour un instant, par le soubresaut d’une sorte d’esprit d’autodérision, d’irresponsabilité, de ridicule affiché presque comme une vertu qui serait celle de la dissolution des mœurs civiques et de la psychologie. Jacques Bainville saisit bien cela lorsqu’il décrit la France de l’immédiat avant-1870, plongée dans les “folies Offenbach”, elle-même (la France) symbolisée par le succès qu’on fit à La Grande Duchesse de Gerolstein (voir le 8 décembre 2011).

«A Paris, c'est le triomphe de ‘La Grande Duchesse de Gerolstein’, et cela compte plus que Sadowa et les exhortations des autres Européens. Bainville écrit avec une subtile ironie chargée de dérision, et, tout au fond, d'un mépris complet : “La France, en 1866, a crié : ‘bon débarras’ à ce vieux particularisme allemand rossé par la Prusse; nous paierions cher pour le ressusciter aujourd'hui [N.B. : écrit en 1924], et nous saluerions avec plaisir sa renaissance. Mais il avait paru plaisant que ces vestiges d'un autre âge eussent été balayés si énergiquement par le Prussien, champion des ‘idées modernes’. Deux hommes d'esprit saisiront ce comique, et ‘La Grande Duchesse de Gerolstein’ eut un grand succès de rire. Le général Boum, le baron Grog, l'électeur de Steis-Stein-Steis, tout ce que Bismarck venait de mettre en déroute chanta et dansa, pour le grand amusement de Paris et des provinces, sur la scène des Variétés. Sadowa devenait un opéra-bouffe, tandis que déjà Bismarck avait signé des conventions militaires secrètes avec les États du Sud, battus mais subjugués. La Grande Duchesse de Gerolstein, c'était la circulaire de Lavalette mise en musique par Offenbach. Elle eut beaucoup plus de succès que les nouvelles prophéties de Thiers...” (Thiers, in illo tempore sensible à la fascination prussienne contre l'alliance autrichienne, revenu sur terre en 1866 pour dénoncer l'irrésistible marche prussienne...)»

L’analogie est dans l’esprit de la situation, certes, et nullement dans la description de la situation elle-même, qui est secondaire dans ce cas. Aujourd’hui, il s’agit des USA et voici Harlan Ullman, une de nos références attitrées, se montrant depuis quelques années, c’est selon, crépusculaire ou bien gravement préoccupé d’une façon documenté, de l’évolution politique, particulièrement de celle de son pays bien entendu. (Voir le 28 août 2013 et le 26 octobre 2013.) Cette fois, ce 6 novembre 2013 dans sa chronique régulière sur UPI, on le lit accablé, ricanant et méprisant, absolument désabusé devant ce qu’il nomme «The American Follies». On comprend donc, après notre introduction, que l’expression a plus à voir avec “les folies” (dont le lointain ancêtre serait effectivement ces “folies Offenbach”, qui avaient toute leur place sur la scène parisienne, mais moins sur la scène politique du monde) qu’avec “la folie” prise dans le plus pur terme psychiatriques, – même si l'un n'empêche pas l'autre, certes ; c’est-à-dire exprimant effectivement l’absence de raison, mais plus dans le sens du comportement déraisonnable et dérisoire, ridicule, insensé encore plus par inadvertance et irresponsabilité qu’à cause d’une pathologie profonde qui vous ferait prendre le cas au sérieux.

«It was neither inevitable nor predictable that the United States could become a global laughingstock either so quickly or near universally. The incredible ineptness, heavy handedness and indeed incompetence of its government have made the United States into a prime-time piata. Folly isn't too strong a descriptor.

»A seemingly long time ago and despite extended spikes of anti-Americanism, the United States was the undisputed leader of the Free World. Perhaps the end of the Soviet Union and the evaporation of the meaning of the so-called Free World made it inevitable that the United States would descend from position of super or indispensible power (as a former secretary of state labeled the country) to at best first among equals. But it wasn't foreseeable the descent would be so great.

»Yes, during the 1950s and the anti-communist pogrom notably led by the venomous U.S. Sen. “Tail Gunner” Joe McCarthy. R-Wis., and throughout the Vietnamese War a decade and a half later, the United States rightly deserved many slings and arrows directed against it. But ridicule and derision never fired anti-American sentiments that persisted around the world until today. And, at times, being an American is painful especially when the greater good and larger potential the United States possesses to lead the world remain dormant and wasted.

»How did we get here? ... [...]

»Thus, when Barack Obama took office on Jan. 20, 2009, the new president had an unprecedented opportunity to lead the United States back to top-tier status. Not only did the president, along with Republicans and fellow Democrats, fail. The failure is far worse than international derision of U.S. incompetence. The last few months of U.S. politics were textbook cases of how to destroy any semblance of competence and confidence both at home and abroad.

»The United States' credibility and leadership are on the line.

»It takes more than the shutdown of government and failure to pass a budget to sink a village or in this case a country. The staggering incompetence in rolling out the Affordable Health Care Act is mind numbing. The president's outright untruthful statement about not losing existing health insurance policies is actionable. And the firestorm over allegations of National Security Agency surveillance of tens of millions of Europeans along with at least three dozen heads of state must sweep the equivalent of international academy awards for derelict performance by leading and supporting actors.

»The back-of-the-hand treatment given to the United States by the Saudis with direct criticism of Obama's policy toward Syria and the region (and turning down a U.N. Security Council seat) along with Israeli Prime Minister Binyamin Netanyahu's condescension toward the president are further insults to the United States' already tattered reputation. For international observers, the main question is this only the first act of even greater folly yet to come.

»Sadly, neither solution nor explanation of the United States' new role as international laughing stock comes to mind. If Obama could lead, as many critics fear he cannot, what can he do? Stay tuned as the American follies continue...»

Décidément, Ullman est un excellent observateur de l’évolution des USA. D’une façon générale, dans la presse US et bien entendu dans la presse antiSystème US, la chronique générale de cet effondrement US dans le ridicule et la dérision ne cesse d’être chaque jour documenté. Le ton, aujourd’hui, est bien différent de celui des années 2003-2008 de critique contre la politique bushiste, effectivement devenu celui de la dérision sans espoir... Voyez la dernière chronique de TomDispatch.com (le site de Tom Engelhardt) sur la dissolution accélérée de la position et de l’influence US au Moyen-Orient, observée par Bob Dreyfuss le 5 novembre 2013 ; ou celle qui précède, du 3 novembre 2013, de Peter Van Buren, consacrée à l’«America’s Top Diplomat [...] Lost in Space», savoir le pauvre John Kerry, infatigable mais épuisé globe-trotter transformé en plombier pour tenter de réparer les innombrables fuites de l’influence US dans le monde... (Antiwar.com vous le montre, ce 6 novembre 2013, essayant de convaincre ses interlocuteurs que la crise de la NSA n’est rien, «...and insisting that [the allies] should simply trust President Obama to get things right»)

Cette description de la dérision des restes de la puissance américaniste, anticipée par William Pfaff dans un texte de 1992 («To Finish In A Burlesque Of An Empire [voir le 23 novembre 2003]), se retrouve également dans les détails à la fois rocambolesque et sordides, et dans tous les cas extraordinaires, qui font une “chronique de l’effondrement” des USA étendus à leurs colonies (nous n’en étions, le 8 juillet 2003, qu’à la Chronique de l’ébranlement). Nous en citons trois, complètement d’actualité, qui documentent effectivement des événements extraordinaires par rapport à ce que fut la puissance du système de l’américanisme ; même s’il est question toujours de puissance, c’est d’une puissance invertie, “les folies de la puissance en cours d’effondrement”, dont nous parlons.

• Un cas sans précédent de corruption est en train de se développer aux USA, dans le chef de l’US Navy. Il s’agit d’une entreprise de corruption montée entre un certain nombre d’officiers et d’officiels de l’US Navy, avec une entreprise douteuse de gestion de ports asiatiques où les unités de l’US Navy ont l’habitude de faire escale, – tiens, justement pour montrer l’existence de la puissance US, “to show the flag”. Ce cas est particulièrement révélateur parce qu’il affecte la force militaire US la plus traditionnelle, la plus fondatrice de la puissance des USA (la formation d’une marine de guerre puissante, au contraire de l’armée de terre, est mentionnée dans la Constitution comme un des attributs fondamentaux des USA en formation). L’U.S. Navy s’est toujours distinguée des autres armes, justement par cet aspect de tradition, s’il y en eut jamais aux USA, impliquant par conséquent le service du bien général et le refus des compromissions de corruption et d’intérêt. C’est l’US Navy qui a remporté la plus grande victoire de l’histoire des USA après avoir subi sa plus terrible défaite à Pearl Harbor, – la victoire sur le Japon dans la guerre du Pacifique. Voici donc ce qu’il reste aujourd’hui de l’US Navy dans le Pacifique, sa mare nostrum impériale...

Un troisième “officiel” de l’US Navy (en plus d’un homme d’affaire de Singapour, Alex Wisidagama, appartenant à la société Glenn Defense Marine Asia Ltd., dirigée par Leonard Francis) vient d’être inculpé, annonce UPI ce 6 novembre 2013 : «A «third U.S. Navy official has been charged with taking bribes – cash, prostitutes and luxury travel – from a foreign businessman, prosecutors said Wednesday. [...] [Cmdr. Jose Luis Sanchez, 41] is charged in a complaint with accepting $100,000 in cash, along with the services of prostitutes and travel perquisites, from a foreign defense contractor in exchange for classified and internal Navy information.

«“As described in the corruption charges unsealed today, senior officials with the United States Navy abused their trusted positions as leaders in our armed forces by peddling favorable treatment – and even classified government information – for their personal benefit,” acting Assistant U.S. Attorney General Mythili Raman said. “In turn, the GDMA executives who illicitly sought information and favors from those Navy officials boasted about their unlawful access to those officials and then traded on the influence that they illegally bought.” “Day by day, this massive Navy fraud and bribery investigation continues to widen, and as the charges announced today show, we will follow the evidence wherever it takes us.”»

HuffingtonPost avait décrit, le 4 novembre 2013, le processus de cette affaire de corruption en réseau, à l’occasion de l’inculpation du capitaine de vaisseau Michael Vannak Khem Misiewicz (d’origine laotienne, Misiewicz venait de naître lorsque commença le génocide de Pol Pot au milieu des années 1970 ; il fut sauvée et adoptée par une citoyenne américaine). Les détails sont abracadabrantesques, avec par exemple le déroutements de tel ou porte-avions US d’un peu plus de 90 000 tonnes sur tel port plutôt que tel autre, où la société Glenn Defense installait des fausses structures de fausses autorités portuaires permettant d’imposer des taxes-bidons sur le séjour de ces unités, ainsi que leur ravitaillement à des prix exorbitants. Misiewicz recevait de l’argent, des visites gratuites de prostituées et même, cerise postmoderne sur le gâteau de la globalisation triomphante et multiculturelle, des billets gratuits pour des concerts de Lady Gaga (en Thaïlande, semble-t-il, – euh, it is not a joke).

«Misiewicz and Francis moved Navy vessels like chess pieces, diverting aircraft carriers, destroyers and other ships to Asian ports with lax oversight where Francis could inflate costs, according to the criminal complaint. The firm overcharged the Navy millions for fuel, food and other services it provided, and invented tariffs by using phony port authorities, the prosecution alleges. “It's pretty big when you have one person who can dictate where ships are going to go and being influenced by a contractor,” said retired Rear Adm. Terry McKnight, who has no direct knowledge of the investigation. “A lot of people are saying how could this happen?”»

• Un tout autre domaine, pas moins croustillant après tout, celui de Antiwar.com contre le FBI. (Voir le 22 mai 2013.) Un communiqué de l’ACLU du 6 novembre 2013 (l’ACLU représente Antiwar.com, son administrateur Eric Garris et son directeur de la rédaction Justin Raimondo dans leur plainte contre le FBI) vient de nous faire connaître le processus qui conduisit le FBI à ouvrir en 2002 un dossier et à effectuer une surveillance de Antiwar.com, sur la suspicion quasiment évidente, et d’ailleurs évidente pour tous de “terrorisme” absolument menaçant... Le Guardian reprend le dossier et l’expose dans un article du même 6 novembre 2013. Il s’avère que le FBI avait reçu un avis et une demande de protection de Garris le 12 septembre 2001 (le jour d’après...) parce que Antiwar.com avait reçu des menaces écrites d’attaque électronique. Le FBI interpréta donc cette information comme une menace d’Antiwar.com d’une attaque électronique contre le site de ce même FBI, – logique, non ? Et il semblerait même qu’il ne s’agit nullement d’une manœuvre sournoise du FBI, mais simplement d’une erreur de compréhension, d’une mauvaise lecture, d’une intrusion obsessionnelle dans la compréhension d’un écrit, etc.

«Internal documents show that the FBI’s monitoring of antiwar.com, a news and commentary website critical of US foreign policy, was sparked in significant measure by a judgment that it had threatened to “hack the FBI website” and involved a formal assessment of the “threat” the site posed to US national security.

»But antiwar.com never threatened to hack the FBI website. Heavily redacted FBI documents, obtained through the Freedom of Information Act and shared with the Guardian, show that Eric Garris, the site’s managing editor, passed along to the bureau a threat he received against his own website. Months later, the bureau characterized antiwar.com as a potential perpetrator of a cyberattack against the bureau’s website – a rudimentary error that persisted for years in an FBI file on the website. The mistake appears to have been a pillar of the FBI’s reasoning for monitoring a site that is protected by the first amendment’s free-speech guarantees.

»“The improper investigation led to Garris and Raimondo being flagged in other documents, and is based on inappropriate targeting and sloppy intelligence work the FBI relied on in its initial memo,” said Julia Mass, an attorney with the ACLU of northern California, which filed the Freedom of Information Act request, and shared the documents with the Guardian.»

• Enfin, pour terminer sur les “folies américanistes” étendues à l’“anglosphère”, c’est-à-dire incluant le Royaume-Uni, la nouvelle que la Britannique Sarah Harrison, journaliste et collaboratrice de WikiLeaks, qui a accompagné Edward Snowden depuis le 23 juin, a quitté Moscou, jugeant sans doute sa mission remplie. On se serait attendu à ce qu’elle regagne son pays, mais son avocat le lui a déconseillé, jugeant qu’elle n’y serait pas en sécurité. Le Guardian du 7 novembre 2013 signale qu’elle a rejoint d’autres “exilés” à Berlin. L’axe de l’asile politique est donc aujourd’hui Moscou-Berlin, face à l’anglosaxonisme, défenseur de la liberté.

«A statement released on the WikiLeaks website, attributed to Harrison, states that she arrived in Germany on Saturday and has been advised by her lawyers that it is “not safe to return home” to the UK. Harrison joins a growing group of journalists and activists who were involved in the publication of Snowden's files and are now living in the German capital “in effective exile”, including Laura Poitras and Jacob Applebaum. [...] “It should be fanciful to suggest that national security journalism which has the purpose of producing honest government or enforcing basic privacy rights should be called ‘terrorism’, but that is how the UK is choosing to interpret this law.”»

... Ainsi en est-il des restes de “The Burlesque of An Empire”, et ainsi soit-il.

 

Mis en ligne le 7 novembre 2013