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10624 juillet 2009 — Bonne fête, America, certes. Pour autant, il y a bien des signes montrant que la fête est un peu poussive, et que l’on cherche, parfois d’une façon épuisante, de nouvelles lumières. Obama lui-même commence à sentir le poids des lendemains de fête. Il entre dans son sixième mois de pouvoir et l’on a pu voir des esquisses de tentative de nouvelles initiatives, autant que des coups d’arrêt. L’affaire iranienne est un de ces coups d’arrêt, où Obama porte une part non négligeable de responsabilité pour n’avoir su persévérer dans une voie prometteuse.
Cette fois, s’ouvre un nouveau chapitre dans le domaine du “faisons nos comptes”, après tel ou tel terme de la présidence. Il s’agit du sommet de Moscou et des relations russo-américaines, avec le slogan de février dernier de “relance de la coopération” (“reset the button”). Les “signaux”, comme on dit, sont fort contrastés.
Les Russes sont plutôt de bonne composition, qui font annoncer que les résultats des négociations nucléaires pour un nouveau traité de réduction sont “meilleurs que ce qu’on pouvait espérer” au début de ces négociations. (Selon AFP, relayant Novosti, le 1er juillet 2009: «Talks on a new US-Russian nuclear disarmament treaty are going better than initially expected, a top Russian diplomat told the RIA-Novosti news agency on Wednesday. “The degree of progress is beyond the expectations that existed when we started,” Deputy Foreign Minister Sergei Ryabkov was quoted as saying.)
…Et puis non, pas vraiment, les choses ne sont pas si idylliques. Voici d’autres échos, moins favorables, cette fois du journal Kommersant, relayé par Novosti le 3 juillet 2009:
«Les présidents russe et américain, Dmitri Medvedev et Barack Obama, envisagent de signer lundi un accord-cadre, qui constituera le fondement d'un nouveau traité sur la réduction et la limitation des armements stratégiques offensifs, rapporte ce vendredi le quotidien Kommersant. Ce document devrait être le principal résultat du sommet. Moscou et Washington ne sont cependant toujours pas d'accord sur le niveau de réduction des charges nucléaires et des vecteurs. Si ces contradictions ne sont pas éliminées d'ici le 6 juillet, les négociations se solderont par un texte général ne comportant aucune obligation.»
Un autre élément de trouble et d’incertitude pour ce sommet est la décision prise par Obama d’accorder une interview à un journal d’opposition russe. La chose est présentée, ce 4 juillet 2009 par le Guardian, comme l’habituelle démarche occidentaliste, dite “idéaliste” pour mettre de jolies couleurs sur la chose, d’interférences dans les affaires intérieures de la Russie, avec la recette désormais classique “droits de l’homme-démocratie”. A cet élément de trouble s’ajoute un élément d’une intéressante ambiguïté lorsqu’on sait que le journal est en partie la propriété de Gorbatchev, et qu’on apprend qu'Obama rencontrera Gorbatchev à l'occasion de l'interview, – ce qui est, dans ce cas, un élément effectivement intéressant.
«Barack Obama is to give an interview to the Russian opposition newspaper Novaya Gazeta before his trip to Moscow on Monday, in the clearest sign yet that his administration will take an unexpectedly tough approach in its dealings with the Kremlin. Obama will talk to the editor-in-chief, Dmitry Muratov, and meet the former Soviet leader Mikhail Gorbachev, who co-owns the paper.
»Novaya Gazeta is famous for its critical reporting of the Russian government. Its special correspondent Anna Politkovskaya is one of four reporters from the paper to have been murdered. A critic of the prime minister, Vladimir Putin, she was shot dead in Moscow in October 2006. Formally, Obama is following in the footsteps of Russia's president, Dmitry Medvedev, who granted Novaya an interview in April. This week the paper published its own investigation into the origins of last summer's war between Russia and Georgia. The Kremlin blamed Georgia's pro-US leader, Mikheil Saakashvili. According to Novaya, however, the Kremlin planned its invasion of Georgia long in advance, sending columns of tanks.
»There has been a wide-ranging debate inside Obama's administration on how to engage with Russia, after the disastrous Bush years. By last autumn relations between Moscow and Washington had sunk to their lowest since the 1980s. Foreign policy realists argue that in order to “reset” relations with Moscow, and secure Russia's support for US priorities like Iran and Afghanistan, Obama should soft-pedal his support for human rights. Idealists want a vigorous, values-based engagement with the Kremlin.»
Il y a des explications et des analyses plus générales sur le sommet, plus techniques aussi, en rapport avec les enjeux spécifiques, qui sont en général sceptiques. Nous citerons celle de M K Bhadrakumar, sur Atimes.com ce 4 juillet 2009, qui fait un tableau sceptique de la rencontre. Il emploie tout de même l’expression d’“heure de vérité” pour Obama, ce qui n’est pas faux. Cette idée introduit une dimension plus importante, à notre sens, qui est la dimension psychologique.
Par ailleurs, dans notre Bloc-Notes de ce 4 juillet 2009, nous citons des déclarations de Barack Obama concernant les dirigeants russes, et particulièrement Vladimir Poutine.
«It’s important that even as we move forward with President Medvedev, Putin understands that the old Cold War approach to US-Russian relations is outdated; that it’s time to move forward in a different direction… […] I think Medvedev understands that. I think Putin has one foot in the old ways of doing business and one foot in the new, and to the extent that we can provide him and the Russian people a clear sense that the US is not seeking an antagonistic relationship but wants co-operation on nuclear non-proliferation, fighting terrorism, energy issues, that we’ll end up having a stronger partner overall.»
Nous plaçons ces déclarations en complet contraste avec celle du priofesseur Stephen F. Cohen, un des meilleurs spécialistes US de la Russie. Pour Cohen, la “vieille pensée”, celle qui est héritée de la Guerre froide, règne non pas à Moscou, avec un pied sur deux de Poutine, mais à Washington, – partout à Washington, disons pieds et mains à la fois. Répétons ici un “extrait de l’extrait” de l’interview de Cohen repris par ailleurs dans notre Bloc-Notes.
«In the United States, one might ask, what are the major stumbling blocks to changing American policy? I would argue that the major stumbling block is what I would call the “old thinking” that has formed since the end of the Soviet Union. The notion that Russia is a defeated power, it’s not a legitimate great power with equal rights to the Untied States, that Russia should make concessions while the Untied States doesn’t have to, that the United States can go back on its promises because Russia is imperialistic and evil. That is old thinking: only Moscow is to blame. We need new thinking, which at a minimum would say that both sides are to blame.
»Where is this new thinking going to come from? Probably not from the people President Obama has appointed to his foreign policy team. Every one of them is either a founder of old thinking, or a defender of it. […] So there are no new thinkers in Obama’s foreign policy okruzhenie. There is enormous support in the United States for the old thinking. It’s the majority view. The American media, the political class, the American bureaucracy – they all support it. Therefore, all hope rides with Obama himself, who is not tied to these old policies. He has to become a heretic and break with orthodoxy. Now you and I might say that it’s impossible, but there is a precedent. Just over twenty years ago, out of the Soviet orthodoxy, the much more rigid Communist Party nomenklatura, came a heretic, Mikhail Sergeyevich Gorbachev…»
Ainsi en revenons-nous toujours à cette question, qui dominera également le sommet, de la personnalité et du comportement de BHO. Saurait-il être l’“hérétique” que réclame Stephen F. Cohen, manifestant la “nouvelle pensée” que Gorbatchev avait manifestée en 1985, contre la “vieille pensée” régnant encore plus à Washington qu’à Moscou? Question posée… Réponse loin, vraiment loin d’être évidente.
Pourquoi un “moment de vérité”? Les appréciations peuvent varier. Il est vrai que BHO est au sixième mois de se présidence, qu’il a suffisamment fait pour qu’on voit se dessiner le personnage, – à la fois, très habile pour se glisser dans les normes du système, à la fois potentiellement porteur de révolte contre le système. Il y a certainement un enjeu politique important à Moscou, pour lui, mais également, et plus important sans nul doute, un enjeu personnel touchant la marque de sa politique autant que sa psychologie.
Sa politique intérieure, notamment la lutte contre la crise, est déjà suffisamment marquée pour qu’on sache qu’elle est énergique, menée à un rythme élevée, voire enlevée; mais qu’elle est en même temps complètement faussaire, qu’elle n’a imposé aucun orientation décisive de résolution de la crise mais qu’elle a au contraire orienté la crise dans le domaine des illusions qui préparent des surprises mauvaises et bruyantes, tout cela sans avoir rien touché du système. Obama arrive à Moscou alors que l’on sait que la crise continue et, sans doute s’aggrave… (Le Wall Street Journal, peu suspect d’en rajouter, commente le 2 juillet les derniers chiffres du chômage aux USA: «[this figure is] above a discontinued and even broader measure that hit 15 percent in late 1982, when the official unemployment rate was 10.8 percent. […] …comparisons to the Great Depression (when 25 percent of Americans were out of work) may not look so wild, even if overall economic activity is holding up better.»)
La politique extérieure d’Obama est aussi à un tournant. Après avoir lancé plusieurs initiatives chargées d’un potentiel novateur incontestable (Israël, l’Iran, la Russie justement), il s’est heurté à sa première crise conceptuelle, – dans le sens où les événements d’Iran ont mis à l’épreuve la méthode qu’il avait choisie. L’on sait, depuis la fin juin, qu’il a reculé après avoir bien résisté et qu’il se trouve désormais prisonnier de ce recul… Mais, plus encore, se pose la question de savoir si cette politique novatrice était d’une substance nouvelle, ou bien une tentative simplement tactique. Le sommet de Moscou sera, à cet égard, une indication importante et cela justifie alors l’image de “moment de vérité”.
Les interventions d’Obama portant des jugements sur l’état d’esprit des dirigeants russes, sacrifiant à la tradition occidentaliste de saluer l’opposition, etc., montrent que son approche reste marquée des préjugés arrogants de l’Occident vis-à-vis de ses interlocuteurs qu’il importe évidemment d’éduquer. Lorsqu’on a comme argument le formidable effondrement du système qu’ont illustré ces dix derniers mois de crise, la démarche ne manque pas de sel. La rencontre avec Gorbatchev ne manquera pas non plus de sel, surtout si l’ancien Premier secrétaire du parti communiste de l’URSS lui explique ce qu’il écrivait récemment: «I feel Americans need their own change – a perestroika, not like the one in my country, but an American perestroika…» Ce serait une occurrence ironique si le président US, croyant avec cette rencontre faire un geste type “droits de l’homme-démocratie”, critique du pouvoir en place, était conduit à entendre une tirade tranchante sur l’état pathétique où se trouve le système de l’américanisme, avec la recommandation de se forger le plus vite possible une “nouvelle pensée” dont l’effet objectif serait d’attaquer le système jusqu’à tenter de le détruire.
Bref, c’est surtout l’esprit de la rencontre qu’on jugera, – à moins d’une surprise majeure lors des entretiens du sommet, possibilité à laisser ouverte, qui serait considérée si elle avait lieu, – et qui, bien entendu, deviendrait un élément majeur pour évaluer cet état d’esprit. Du point de vue où nous avons observé l’événement, il est évident que la rencontre de Moscou est presque plus importante, – non, sans aucun doute, elle est plus importante pour l’avenir d’Obama, vis-à-vis de ses ambitions, vis-à-vis de ses capacités, vis-à-vis de sa lucidité, c’est- à-dire vis-à-vis de sa position au sein du système de l’américanisme que pour les relations russo-américaines. La rencontre de Moscou doit nous donner des indications précises pour déterminer si, en vérité, Obama pourrait être l’“hérétique” du système que Stephen F. Cohen estime, ou espère qu’il pourrait être. La rencontre de Moscou doit nous aider à distinguer si Obama est différent de ceux qui l’ont précédé, s’il a une vision précise et réaliste, sinon audacieuse et courageuse, de la réalité épouvantable du système qui l’a placé à sa tête.
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