A la recherche du sens perdu

Faits et commentaires

   Forum

Il y a 6 commentaires associés à cet article. Vous pouvez les consulter et réagir à votre tour.

   Imprimer

 1971

A la recherche du sens perdu

27 août 2014 – Nous prenons ici deux exemples récents d’articles de personnalités qu’on peut situer comme “hors-Système” si l’on veut, ou “dissidents” du Système, ou éventuellement “antiSystème”, etc., sans que ces qualifications engagent pour ce cas le moindre jugement qualitatif et partisan. (Nous les définirions d’une façon générale comme “indépendants” pour “indépendants de l’influence du Système” même s’ils en subissent l’un ou l’autre effet à telle ou telle occasion.) Nous parlons, à leur propos, d’un état de fait qui implique que ces personnalités refusent, pour des raisons qui leur sont propres, les voies habituelles sous contrôle du Système, c’est-à-dire de la presse-Système pour faire court en restant dans notre domaine. Leur travail implique donc leurs propres sources et l’abondance du réseau internet, où l’on trouve les rassemblements antiSystème les plus conséquents, où l’information est traitée de la manière critique qui convient, et parfois, dirions-nous, “insurrectionnelle”. Il s’agit d’un type de commentateurs qui peut prétendre avoir accès à toutes les sources qui leur sont nécessaires, et avoir une vision très large et très libre des événements du monde. On doit attendre d’eux, selon la tradition “Système versus antiSystème”, qu’ils offrent une interprétation fournie, dégagée des chaînes du Système, une interprétation libérée des contraintes de la hiérarchie des servitudes qui prétend régler la marche de l’histoire, libérée de la narrative officielle.

... La nouveauté dans ce cas, qui justifie notre analyse, est que, pour donner une interprétation acceptable du comportement de l’adversaire, il commence à apparaître nécessaire à certains de ces commentateurs d’avoir recours, à un moment ou l’autre, d’une façon plus ou moins appuyée, à ce que nous nommons une “référence” extrahumaine. Il s’agit de quelque chose qui est en-dehors des activités, des actes et des milieux humains, notamment ceux qui dirigent les affaires du monde et sont donc leur cible principale. On observera qu’il s’agit d’une sorte de progression dans la méthodologie de l’explication : ces commentateurs, même si l’un ou l’autre ne les rejettent pas, dépassent les thèses et théories complotistes qui, jusqu’alors, constituaient le fond de l’explication du Mystère. Théories et thèses complotistes sont encore plus ou moins sollicitées, mais elles ne suffisent plus. Nous citons les deux exemples et poursuivons après leur présentation, en ayant à l’esprit qu’il s’agit justement d’“exemples”, c’est-à-dire d’une évolution qui correspond à notre avis à une tendance générale à laquelle conduisent la perception de la psychologie et, au-delà, la méthodologie.

• Pascal Roussel est un commentateur économique, travaillant effectivement dans le domaine de la finance, qui publie des analyses critiques de ce domaine élargie à toutes les occurrences de la crise générale de notre époque. Le “style” de ses commentaires reste évidemment très concret, très réaliste et factuel, éventuellement polémique, comme c’est le standard de la critique économique aujourd’hui. Il publie, le 21 août 2014, sur le site Les-crises.fr, un texte d’analyse générale sous le titre  : «L’opinion publique est dominée par un égrégore»

«On peut se demander si, en Europe et aux Etats-Unis, le monde politique et les grands media qui couvrent les questions financières ou géopolitiques ne sont pas collectivement sous l’influence malfaisante d’un égrégore? La position atlantiste poussant alors les autres pays à se radicaliser. [...] L’égrégore est si puissant que rien ne semble pouvoir arrêter l’escalade, il a désigné la Russie comme l’ennemi à abattre et il veut l’accélération du désordre mondial. [...] Ce qui rend l’égrégore encore plus dangereux, c’est qu’il se développe alors que le système financier mondial n’a jamais été aussi fragile...»

Puis, sa conclusion, après avoir passé en revue plusieurs événements catastrophiques : «Devant ce catalogue des horreurs, il me semble évident que nous avons tout à perdre à laisser l’égrégore grandir jusqu’à nous mener à une confrontation armée avec la Russie. Il est clair que toutes les techniques modernes de manipulation de l’opinion (stratégie du choc, social learning, fabrication du consentement, tittytainment, mind control, virtualisme, reality-building, management négatif, etc) sont pleinement à l’œuvre pour nourrir cet égrégore et nous mener progressivement vers le chaos. Pour autant je ne prône pas une révolution violente mais plutôt la nécessité de s’informer, de ne pas céder à la facilité du conformisme et de ne pas avoir peur de prendre position.

»Mon but n’est pas de faire peur, ni de déprimer les lecteurs mais de les prévenir. Pour ma part je suis convaincu que de nombreuses bonnes opportunités surviendront une fois que le système sera remis à plat.»

• Le deuxième exemple est celui d’Israël Shamir, le 22 août 2014, sur le site UNZ.com dans un texte consacré à la crise ukrainienne, à l’affrontement entre les USA et la Russie, etc. Shamir est un personnage original, au parcours disons coloré et fortement polémique, avec l’habitude d’une plume extrêmement critique, acerbe, qui ne craint surtout pas de faire appel à des notions complotistes sans s’en faire le prisonnier, mais en restant lui aussi sur le terrain du réalisme rationnel. Comme Roussel, il ne s’agit nullement d’un commentateur habituellement tenté par les paraboles spirituelles ou métaphysique... On trouve ce passage, à partir d’une idée qui pourrait tenir de la parabole ironique mais qui est finalement développée, dans ces deux paragraphes, avec un certain sérieux, où il apparaît que la supériorité des USA sur la Russie, – car il y a supériorité, – réside justement dans ce fait que les USA sont “la Machine” (Matrix, pour ainsi dire ?) et la Russie l’humanité dans sa dimension humaine. (Le “Satan” qui termine l’extrait renvoie à une très courte séquence DVD montrant un tir d’essai d’un missile ICBM russe, le SS-18 Satan selon le code-OTAN, – R-36 ou P-36 pour les forces armées russes. Le Satan est le plus puissant ICBM jamais produit, dans les années 1970, avec une capacité d’emport de dix têtes nucléaires à guidage autonome, dites MIRV... On comprend la signification symbolique de cette “illustration”, complétant parfaitement l’interprétation Machine/Matrix.)

«This is not only the US vs Russia, but Machine vs Man, as well. In plotting its foreign policy, the US increasingly relies upon the computer-driven game theory using its formidable data resources, while Russians prefer manual human control. Modern super-computers and surveillance techniques give the US an edge over Russia’s decision-making. Increasingly, President Obama appears to be a perfect cyborg of right appearance who says the right things in the right time and right place, but whose actions bear no relation to the words. I wouldn’t be amazed if in a length of time we shall learn that Obama has been the first humanoid robot in the helm of power. And if he is human, he is truly wonderful actor at pretending he is a robot. Even his wife Michelle and girls seem to be well-chosen movie props rather than live partner and children.

»Putin is undoubtedly human and manly. One may dislike him, and a lot of people do, but there is no doubt about his belonging to human race. This makes the chicken game less predictable than the US leadership considers. After Saddam Hussein and Qaddafi’s horrible executions, much can be said in favour of an all-out nuclear war in comparison with defeat and surrender. And the young Russian generation does not share their fathers’ fear of war, and they do not mind to try some of better toys their country has. Satan, anyone?»

On observera que ces deux textes n’ont pas directement à voir avec la question éventuellement métaphysique de l’existence de quelque chose d’organique et d’organisé, hors du contrôle humain, de tendance maléfique, qui dominerait manifestement les collectivités politiques actives et les élites dans un certain nombre de pays (ces pays que nous désignons en général comme bloc BAO). Simplement, d’une façon elliptique ou symbolique, mais sous une forme et dans un contexte qui tendent de plus en plus à donner du sérieux à cette représentation, une telle hypothèse est utilisée sans explications spécifique, comme une sorte de deus ex machina d’une situation dont ne parvient plus à dénouer les fils pour les rassembler d’une façon cohérente...

Comme nous percevons les deux textes, pris comme exemples d’une tendance qui se développe et qui, à notre sens et en raison de la forme de développement de la situation, ne cessera de se développer, il s’agit de la nécessité quasi structurelle d’une sorte de référence et nullement d’une explication ou d’un argument. Lorsque nous disons “référence”, cela signifie du point de vue du symbole et de l’image d’une structure, quelque chose comme un tuteur pour un arbre, un argument objectif péremptoire qui écarte toute contestation possible dans le prétoire, une colonne vertébrale (comme Theodore Roosevelt parlant du président McKinley qui n’en avait pas), ou un caractère (voir le 19 août 2014) donnant toute sa rectitude au propos. Les auteurs jugent nécessaire d’introduire cette “référence” pour structurer le texte, dans le sens de lui donner la chose qui, à leur avis, lui permettra de tenir, y compris dans le sens spatial du mot (“tenir droit”, comme le tuteur pour le jeune arbre)...

L’on comprend que ce dont nous débattons ici n’est en aucun cas la thèse de l’ou l’autre texte, le sens de l’un ou l’autre, etc. (tout cela, sans intérêt pour nous, non par désapprobation ou indifférence mais parce que notre sujet est tout autre). Il n’y a là qu’un constat : il est de plus en plus nécessaire, pour des auteurs dont ce n’est manifestement pas la préoccupation majeure, de suggérer l’existence de quelque chose qui serait substantivée sous la forme d’une entité donnée, pour justifier d’une façon cohérente la description d’événements et de situations d’une puissance décisive, qui sont extraordinaires dans le sens de manifestement extrahumains ; il s’agit, pour ces auteurs, simplement de pouvoir continuer à commenter de façon cohérente, et selon leurs orientations, la situation du monde. Ce n’est donc pas un argument en faveur de l’hypothèse évoquée (égrégore, Machine, etc.) mais c’est un argument en faveur de la nécessité d’un argument de cette sorte pour continuer à tenter de comprendre et d’expliquer.

Nous voulons dire que la nature même des événements du monde, leur rythme, leur orientation, leur absence de cohérence et de sens, nécessitent une référence organisatrice extraordinaire. Il ne suffit même plus d’avancer l’hypothèse de la folie (nos dirigeants sont fous, Washington est fou, etc.), il nous faut l’hypothèse de la folie provoquée et manipulée à partir d’une source maîtresse non-humaine, – pour expliquer et faire accepter l’évidence d’une «influence malfaisante» qui est le trait dominant de ces analyses. (L’argument de la folie ne suffit plus parce que la folie n’est pas mauvaise ; elle est ce qu’on veut, – incohérente, absurde, déstructurée, hallucinée, etc., – mais elle ne montre pas ce systématisme qu’on jugerait proche de la perfection, qu’on découvre aujourd’hui, dans le chef de groupes de nations, de groupes de systèmes humains, de collectivités dirigeantes, de pouvoirs collectifs, etc., produisant des actes et des politiques dans un sens absolument malfaisant, destructeur, prédateur, etc.)

Nous proposons l’hypothèse que cette nécessité d’une “référence”, – puisqu’il y a bien nécessité, selon nous, – est apparue en pleine lumière, c’est-à-dire comme impérative, essentiellement avec la crise ukrainienne, après une préparation substantielle avec la crise syrienne. Avec l’événement ukrainien, le système de la communication a pris d’une part une extension d’influence, d’autre part une diversité contradictoire et antagoniste sans aucun précédents concevables. Ce faisant, il a conduit à son terme l’exercice d’un changement de nature de la situation du monde. Littéralement, il a fractionné la perception du monde et il a conduit la situation du monde à un chaos indescriptible et incompréhensible en tant que tel. Le compte-rendu intelligible de la réalité de la crise, entre les différentes fractions, et principalement entre le Système du bloc BAO et assimilés d’une part, les forces antiSystème d’autre part, est devenu totalement impossible dans les conditions d’évolution normale. Toutes les catégories de propagande, virtualisme, production de narrative, etc., ont été pulvérisées et remplacées par l’existence chaotique de plusieurs “mondes”, et principalement d’au moins deux mondes sans aucune communication possible. (De ce point de vue, on dira que la crise syrienne a été un “banc d’essai” de ce maximalisme de communication aboutissant à la rupture totale et non dissimulée des réalités caractérisant la situation ukrainienne.)

Certes, il ne s’agit pas ici de rechercher la vérité de la situation de la crise ukrainienne. C’est le travail de chacun, individuellement et en toute responsabilité selon le point de vue choisi. Nous avons fait notre choix qui s’appuie sur la nécessité absolue d’une position antiSystème et rien, jusqu’ici, ne nous l’a fait regretter. Ce qui nous intéresse essentiellement, c’est ce phénomène extraordinaire d’une telle rupture (plusieurs “mondes”, deux “mondes”, etc.) et, pour notre compte qui est du côté de l’antiSystème, ce phénomène non moins extraordinaire de la formation d’un “monde officiel”, d’une vérité-Système si totalement, si parfaitement, si absolument étrangère à la vérité de la situation. (Bien entendu, le cas ukrainien est comme une “partie émergée de l’iceberg” constituant la situation générale. On retrouve désormais le même schéma, même si en moins marqué, dans la perception de tous les événements, de toutes les situations, etc. L’intérêt de la crise ukrainienne est d’être un banc d’essai sans aucune dissimulation.) Cette véritable absence d’une réalité permettant d’accéder à une vérité de situation est assumée avec une puissance inimaginable, sans la moindre remise en cause, sans aucun regard critique sur cet engagement, sans la nécessité du moindre regard critique sur cet engagement.

• Plus encore, cette absence du réel est assurée par un refus du réel non contrôlé par le Système, presque en toute conscience, comme ces journalistes US, – tous les correspondants US à Moscou sauf celui de Bloomberg, – qui ont refusé d’aller rencontrer les centaines de soldats ukrainiens déserteurs, passés en Russie. (Voir le 17 août 2014, et aussi une très longue interview de Maria Zakharova, adjointe au chef du service Presse du ministère des affaires étrangères russe et héroïne stupéfaite de l’aventure, côté russe, le 12 août 2014, sur Radio-VR.)

«“Except for Bloomberg there were no journalists representing US media!!! An opportunity to meet with the Ukrainian military servicemen, who crossed into the Russian territory, was declined by representatives of leading US media,” she said. “They were CNN, The New York Times, The Washington Post, The Christian Science Monitor.” “What are these journalists base their materials upon if they decline talking to firsthand sources?” Zakharova said. “The funniest episode was with Reuters journalist, who registered, left for the airport, but changed his mind half way there and did not fly.” “Russia is being criticized for little interaction with western media and it is allegedly the reason for Russia’s media blackout,” she said. “But the fact is that we speak and they either refuse to listen or they are prohibited from listening.”»

• La même Zakharova, dans l’interview signalé, d’un très grand intérêt, caractérise également l’attitude des dirigeants US, – les délégations du département d’État et le secrétaire d’État lui-même lors de rencontres avec leurs correspondants russes, – alignant des affirmations péremptoires sans le moindre intérêt pour les faits, les preuves, les signes objectifs, sans même se donner la peine de présenter des éléments fabriqués, des narrative, etc. ; l’affirmation elle-même sert de référence objective, en étant directement transmutée en cela, sans s’encombrer de concepts tel que “vérité de situation”... Dans le même élan, Zakharova nous confie que, dans ce contexte extraordinairement fluide, la partie russe, en vérité, ignore absolument qui dirige aux USA pour cette question ukrainienne, et sans doute pour le reste, et même sans savoir si c’est BHO lui-même, – et l’on doit alors garder cela à l’esprit lorsque nous nous référons à l’explication, chez d’autres, d’un d’égrégore ou d’un Matrix quelconque. (On remarquera sur quel ton Zakharova expédie l’hypothèse d’un Obama comme producteur de la politique ukrainienne des USA ; et l’on gardera à l’esprit sa position, impliquant que ce qu’elle avance représente un avis partagé par son ministre Lavrov, et par conséquent par la direction russe.)

Maria Zakharova : «And what we are facing right now is a situation when the American official governmental structures, not only the State Department, but the White House and others, are making a statement about something, judging Russia or Russia's position on something – without any sort of evidence. It is like making a political statement without any proof. The journalist should simply trust these governmental structures. But we, on the Russian side, during our negotiations with the American partners, each time we are asking them – please, provide us something to prove the point you're making. If you tell the world community that Russia is supplying troops, Russia is doing this or that, please, show us any sort of evidence. It could be photos, it could be videos, it could be tapes. They say – no, go and look through the social networks, it is all presented there...» [...]

Maria Zakharova : «...What we are facing with Ukraine? The American society (I'm not talking about those who came to the US from Ukraine and live there, I'm talking about the American society in general), they are not involved in that. They have no idea about where Donetsk is, where Lugansk is, what is the common history of Russia-Ukraine... [...] It is also true about the American officials who are making statements on the crisis and have no idea that we actually had Kievan Rus as the mother of the whole Russian and Ukrainian culture. That we have millions of people, who have relatives on both sides of the border, not only close to the border, but across the whole of the country. [...]

»... I mean, the US people don't have an idea about this. And even John Kerry, that was at our negotiations probably in Paris or somewhere else, and mind you – it was not the beginning, it wasn't December or January, it was probably February or even March, he told Mr. Lavrov in the middle of the crisis (!) – “I read a lot about Russia-Ukraine common history, now I understand this better”. This wording, this statement, he should... I'm sorry for saying “he should do”, of course, I'm not in a position to advise him, but it was better if he could have said this in November or even in October, before sending Mrs. Nuland to Kiev. Just to understand the whole idea of this situation. But not in the middle of it.

Radio VR : «But that actually has not resulted in the revise of his stance on the Ukrainian crisis, quite unfortunately.»

Maria Zakharova : «Actually, what about my own opinion – I don't have any strong understanding who is leading this Ukrainian campaign in the US. Whose these ideas are?»

Radio VR : «Mr. Kerry does not look convinced enough?»

Maria Zakharova : «I think he looks pretty much convinced, but I don't think that he is the first person to come to the major decisions on Ukraine.»

Radio VR : «And definitely it is not Barack Obama, is it?»

Maria Zakharova : «I have no idea. I would be happy to understand who the producer of this campaign is. The person, the structure or who are these people, who are creating all this nightmare not only for Ukraine, but for Russia as well.»

Ces exemples, ces extraits d’une interview du plus grand intérêt, nous donnent à observer une situation extrêmement spécifique, où ce que nous jugeons être l’indifférence pour une réalité objective constituée par certains faits et éléments matériels n’est nullement opérationnalisé d’une façon agressive, manœuvrière, habile, etc. Ce refus n’est opérationnalisé en rien parce qu’il n’est pas vécu comme tel. Il n’est pas vécu parce qu’elle (“la réalité objective de certains faits...”) n’existe pas pour eux ; ils sont directement installés dans un ensemble global produit par eux-mêmes, dont une partie est labellisée “réalité objective de certains faits”. De même, la “vérité de la situation”, conçue par nous comme incitation à la détermination de la vérité en un moment donné et en des circonstances données, s’inscrit sans la moindre difficulté comme correspondante nécessaire de leur engagement. On fera alors l’hypothèse, comme font nos auteurs cités, que cet engagement est le produit d’une influence extérieure, “maléfique”, dont ceux qui la subissent n’ont aucune conscience.

Le bouleversement affecte évidemment et prioritairement les politiques, essentiellement du bloc BAO, qui, étant conçues à partir de fondements de communication si complètement faussés, produisent des orientations et des actes complètement ineptes, absurdes, contre-productifs, etc., et que tout esprit de résistance a le devoir de percevoir et de juger comme complètement ineptes, absurdes, contre-productifs, etc. Le phénomène général s’est révélé, à l’occasion de la crise ukrainienne, si colossal, si fondamental, que plus aucune explication humaine, y compris les thèses et théories complotistes les plus élaborées, ne parvient à nous satisfaire (nous autres, commentateurs antiSystème, conscients de cette catastrophique dichotomie). C’est alors, effectivement, que, – pour ne pas sombrer dans l’incohérence et dans la démence d’une part, pour ne pas capituler d’autre part, – l’esprit, le plus rationnellement du monde, c’est-à-dire par nécessité rationnelle, envisage une explication hors du cadre humain. Il l’exprime plus ou moins ouvertement, plus ou moins ironiquement, plus ou moins gravement, etc.

La durée engendre la nécessité

L’important, dans cette schématisation des besoins d’explication de commentateurs qui s’en tiennent généralement à des données rationnelles selon les restrictions courantes de la raison, c’est la durée et l’amplification d’une (de) politique(s) devenue(s) incompréhensible(s), ou dans tous les cas étant entrée(s) dans le domaine de l’incompréhensibilité. Si l’on veut, l’expression fameuse de Churchill concernant la politique soviétique, dite en 1939 (“une énigme, enrobée de mystère, cachée dans un secret”) ne s’applique plus à l’orientation d’une politique normale de sécurité nationale (de l’URSS) dont l’opacité est explicable par le caractère du régime qui l’opérationnalise, mais à la cause, à l’inspiration, au producteur de cette politique dont l’inanité et l’absurdité sont démontrées par la durée et l’obstination de son absence d’orientation rationnelle. Il s’en déduit que cette politique-là n’est pas un accident, une exception, une erreur, etc., quelque chose d’une durée réduite qu’on peut laisser de côté sans explication, mais bien une construction sur la durée qui se développe sans coup férir, désormais, pourrait-on juger, sur un terme de déjà 4-5 années (depuis 2008 et la formation du “bloc BAO”), et qui constitue l’essentiel, sinon l’exclusivité de la politique opérationnalisée.

Ce facteur de la durée est un élément absolument fondamental. Il exclut l’explication facile de l’absence d’explication que la méthodologie rationnelle applique à ce qu’elle ne peut expliquer, dès lors qu’il s’agit d’événements rapides et jugés accidentels sinon aberrants, très vite terminés, et qu’on laisse sur le bord de la route avec l’habituelle formule du “on verra, on expliquera plus tard lorsque le progrès aura donné les moyens de l’expliquer”. La durée et la permanence exclusive de cette incompréhensibilité de la politique opérationnelle placent les psychologies face à une perception constamment catastrophique pour la raison. Ce n’est plus l’exception, l’accident, c’est le sort du monde en son entier, sur la durée, qui devient absurde, et donc rationnellement catastrophique. Ainsi alimentée, la raison n’a plus comme tâche de comprendre mais d’admettre qu’elle ne comprend rien et de tenter d’expliquer pourquoi elle ne comprend rien. Constamment sollicitée, pressée, admonestée pour qu’elle perçoive autre chose que l’absurdité et l’incompréhensibilité, la raison s’épuise littéralement puisqu’elle est conduite à s’acharner à rester dans le champ de la seule rationalité, qui va de restriction et de déformation de perception en incompréhension et d’incompréhension en restriction et déformation de perception. La pathologie guette la psychologie ; chez certains, de plus en plus nombreux, elle est installée et triomphante : c’est comme s’ils étaient fous (Nuland, Power, McCain, tant de journalistes et experts US, etc., pour rester dans le domaine américaniste qui est résolument devenu un établissement psychiatrique à cet égard). Effectivement, la folie, au-delà de la maniaco-dépression et bien préparée par elle, guette les élites-Système.

... Mais, constatent les commentateurs hors-Système et antiSystème, ce n’est pas une folie explicative de la politique incompréhensible et absurde que l’on observe, c’est la folie comme conséquence de cette “politique incompréhensible et absurde”. Rien n’est expliqué (par la folie), bien au contraire tout demande de façon de plus en plus pressante une explication (de la chose qui provoque la folie). Ainsi s’ajoute logiquement le constat que “les fous” (les élites-Système) ne sont pas les concepteurs de ces politiques absurdes parce qu’ils ne peuvent être les concepteurs conscients de la cause de leur folie, et qu’ils sont par conséquent encore plus des victimes, à cause de la faiblesse de leur psychologie ouverte aux “influences maléfiques”, que des coupables ; ainsi en vient-on, sans vraiment concevoir la chose, à les considérer comme des outils de quelque chose d’autre, nécessairement quelque chose d’extrahumain, qui les manipule à son gré grâce à l’influence dispensée.

C’est alors, sous la pression de la durée et parce que la crise ukrainienne est à la fois une crise fondamentale dans la rupture générale de notre monde, et une crise paroxystique de ce caractère d’incompréhensibilité, que la raison elle-même, chez certains commentateurs indépendants pour commencer, en vient à utiliser l’hypothèse de l’intervention extrahumaine désignant le facteur métahistorique de l’influence de forces extérieures, – ce que nous désignerions comme “intervention haute”. L’explication s’appliquera d’abord à ces facteurs de l’absurdité et de l’incompréhensibilité des productions du Système ; et, alors, ceci justifiant l’expression dans sa dimension “haute”, l’“intervention haute” désigne une force extérieure d’une puissance formidable mais qui, en forçant à l’absurde et à l’incompréhensible, intervient comme irrésistible accélérateur du facteur “autodestruction” dans l’équation surpuissance-autodestruction... Etcetera, etcetera : nous entrons dans des domaines de spéculations connues de nos lecteurs, tant nous sommes accoutumés de nous y aventurer. (On trouve dans la rubrique Glossaire.dde et dans diverses autres lignes de références dont celles de La Grâce de l’Histoire tout le matériel nécessaire pour suivre nos réflexions ...) Nous avons en effet fait le choix de cette hypothèse et, pour nous, une référence à un égrégore ou à toute autre forme de référence maléfique et extrahumaine ne pose aucun problème intellectuel.

Mais ce qui nous intéresse ici c’est la naissance et le développement du problème que va poser à d’autres, puis peut-être à la réflexion collective en général, l’apparition d’une certaine nécessité d’envisager de telles hypothèses. (On comprend bien alors l’importance que nous accordons à la durée de ces conditions d’absurdité et d’absence de sens de la politique générale depuis quelques années : la persistance d’une pression intellectuelle pour explorer cette sorte d’hypothèses.) En effet, dès lors qu’apparaît le besoin intellectuel d’une référence extrahumaine dans le raisonnement rationnel, il est évident que va très vite se poser un problème fondamental pour la raison qui produit ce raisonnement. D’abord assumée comme une méthodologie de nécessité, la démarche devient très rapidement une question absolument centrale, fondamentale, absolument bouleversante. Du “tout se passe comme si” (“... comme s’il existait une influence extérieure maléfique, un égrégore”, etc.), on est aussitôt précipité dans l’interrogation ontologique, justement parce que la durée du phénomène observé ne permet pas d’y échapper ; le “tout se passe comme si”, qui est une affirmation de convenance, devient un “mais que se passe-t-il ?”, qui est une question fondamentale sur l’ontologie de l’hypothèse méthodologique.

Résumons-nous pour conclure. Une sorte de phénomène d’une “influence maléfique” portant sur les affaires du monde, notamment par l’intermédiaire des élites-Système “sous influence”, nous semble de plus en plus devenir un constat autant qu’une évidence. L’hypothèse adjointe qu’une catégorie d’humains est responsable de ce phénomène nous paraît de plus en plus marginale, insoutenable, inacceptable et impossible. Enfin, le constat d’une “influence maléfique”, impliquant une intentionnalité morale, marginalise considérablement, si elle ne la supprime pas, l’hypothèse d’une influence extrahumaine à partir de quelque chose qui serait produit par seul et simple effet mécanique. (L’hypothèse d’un système mécanique, diamétralement opposée à notre emploi du mot “Système” avec majuscule. Notre conception du Système est l’application opérationnelle du phénomène du “déchaînement de la Matière”, qui ne peut en aucun cas se réduire à un processus mécanique ou matérialiste, et qui constitue une manifestation extrême du Mal.)

La nécessité intellectuelle de tirer des conséquences de ces divers constats nous paraît alors inévitable, à plus ou moins longue échéance selon la formule consacrée, – mais très vite selon nous, car les événements vont très vite et ils ne souffrent pas d’attendre une explication satisfaisante pour la cohérence des choses. Il s’agit bien entendu d’une réflexion à la fois extraordinaire et effrayante, et il s’agit d’un débat qui ne peut faire l’économie d’hypothèses dépassant évidemment les seules conceptions rationnelles habituellement et actuellement considérées. Il va sans dire que, selon nos conceptions, nous ne considérons nullement cette sorte de problème vertigineux comme du seul domaine de la foi religieuse et de la religion elle-même, même si certains y apporteraient évidemment une réponse qui y fait référence. Il s’agit d’une question rationnelle qui est posée au sapiens aujourd’hui, par la force même d’une situation qui ne cesse d’être extraordinaire selon les références auxquelles nous sommes habitués. Elle doit être envisagée sans incantation rituelle, sans illumination trop voyante, sans limites conceptuelles, sans interdit doctrinal, sans dénonciation conformiste, etc., mais simplement dans le cours d’une réflexion normale, logique, – rationnelle justement... Comme l’on dit, il va falloir y réfléchir.