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846On dira que cela fait plusieurs semaines, voire quelques mois que la machine-Morsi a des ratés. L’Égypte est dans un état de grande agitation et, surtout (pour les observateurs extérieurs), un état économique peu enviable. Les “pays-frères” du Golfe, qui ne cessent de prendre leurs distances avec le pouvoir en place en Égypte et qui ne cessent de donner des leçons d’économie triomphante au reste du monde, estiment que le pays est au bord de la banqueroute et qu’il lui reste quatre à six mois avant l’effondrement. (On objectera que la notion d’“effondrement”, dans ces temps étranges, a pris un sens élastique. Objection retenue : aussi ces prévisions sont-elles à prendre plus comme l’indication d’un climat que comme une projection précise d’événements qui le seraient autant.)`
Quoi qu’il en soit, désordre politique et social, et catastrophisme économique font beaucoup pour activer un courant de réflexion désormais très actif, – sinon à propos de l’après-Morsi ou de l’après-Frères Musulmans, au moins selon l’idée classique du “en cas de malheur”. Les experts du bloc BAO affectionnent cette sorte de passe-temps très professionnel, – et d’ailleurs, ils en ont bien le droit : la réussite sans précédent des susdits pays du bloc BAO, conseillés par eux selon les normes suggérées avec une insistance irrésistible par le Système, ne laisse de nous faire céder à la tentation de les écouter religieusement.
On a une indication de ce courant actuel type-“l'Égypte-Morsi m’inquiète” dans le texte de David P. Goldman, plus connu sous son pseudonyme de Spengler sur Atimes.com, et par sa façon extrêmement musclée de régler tous les problèmes en quelques paragraphes effectivement spenglériens. Cette fois, Goldman écrit sous son vrai nom, dans la revue du Jewish Institute for National Security Affairs, le 15 février 2013, pour nous signaler la chose (le climat, l’état d’esprit, etc.)… Il nous explique que, pendant que nous vaquons à nos occupations banales (situation à Washington, situation en Europe, crise iranienne, politique russe, crise d'effondrement du Système, “proximité du Mal”, etc.), les experts, eux, ont identifié effectivement le point d’ébullition central.
«The possibility of state failure in Egypt is now widely discussed in the foreign policy community. Largely ignored by major media for most of the past two years, Egypt's economic crisis now commands the attention of foreign policy analysts. In a JINSA Analysis published January 30, “Failure IS an Option in Egypt,” I argued that the structural deficiencies of Egypt's economy are so deep and intractable that state failure may not be avoidable…»
Ayant posé cela, Goldman poursuit en constatant que, par ailleurs, nul ne voit d’autre voie que celle de continuer à soutenir ce régime égyptien dont il vient de nous avertir que son échec est désormais une “option” des plus sérieuses : «The consensus view is that the international community has no choice but to circle the wagons around the Morsi government and double down its bet on the Muslim Brotherhood…» D’où il poursuit en détaillant longuement ce que devraient faire les États-Unis, puissance paraît-il concernée au premier chef dans cette évolution, selon des mesures qui portent toutes en elles-mêmes des contradictions qui, à force de s’accumuler, conduisent au constat de l’insolubilité du problème, – chose qui est par ailleurs actée sous la forme d’un cercle vicieux du type Théorème de Pythagore (“il faut que je t’aide pour que tu ne te rapproche pas de la probabilité irrésistible de ton effondrement mais plus je t’aide plus tu te rapproches de la probabilité irrésistible de ton effondrement”, etc.). (Certaines de ces mesures relèvent par ailleurs, pour un expert de si haute réputation, d’un infantilisme de type casqué et botté qui a quelque chose de magique pour ce qui est d'estimer la valeur de ces perles rares des élites du Système, – lorsque, par exemple, Goldman-Spengler énonce son septième commandement aux USA : «7. The United States should warn Iran and its allies in the strongest possible terms not to fish in Egypt's troubled waters…»)… D’où, pour ce qui est de définir la position générale des USA, voici :
«The United States finds itself in the worst of all possible worlds, that is, backing the Muslim Brotherhood government unequivocally in public while privately urging it to adopt austerity measures which ensure its inability to govern. The international community will not provide some $60 to $70 billion over the next three years to keep Egypt afloat. The International Monetary Fund's attempt to whittle down Egypt's financing requirements to a manageable amount places an impossible political burden on the Morsi government. U.S. policy thus contributes to state failure while identifying American policy with this state failure. America has become part of the vicious circle, and runs the risk of being identified as the cause of the vicious circle…»
…Pourtant dans le cours de cette litanie de positions recommandées de soutien à l’équipe désormais réputée perdante de Morsi, pour mieux la soutenir en sachant que ce soutien produit l’effet inverse, on trouve quelques suggestions plus audacieuses consistant à recommander d’établir des liens plus étroits avec les militaires. (Les USA n’en ont-ils pas de ces liens déjà “si étroits” ? Peut-on faire des liens “plus étroits” de liens qui sont déjà “si étroits” ? Qu’importe et passons…) Le propos, lorsqu’il va dans cette voie, nous invite effectivement à nous tourner vers les militaires égyptiens pour nous informer de leur état d’esprit. On découvre alors que, si ce n’est leur état d’esprit, il existe dans tous les cas nombre de rumeurs qui laissent entendre des choses nouvelles à propos des militaires et de ce que serait leur état d’esprit.
Il y a d’abord la thèse selon laquelle les militaires semblent surtout occuper une position d’attentisme impliquant qu’il regardent faire les choses en étant assurés, au fond d’eux-mêmes, que le régime qui les a privés de nombre de leurs prérogatives est en train de s’effondrer, et qu’il sera alors dans la nature des choses que l’on fasse appel à l’armée, – car quelle autre force pourra prétendre restaurer l’ordre et la discipline dans l’Égypte plongée dans le chaos, selon les prédictions prévues ? Cela s’appelle la doctrine Live and Let Die, aboutissant à la doctrine Skyfall, tout cela selon l’inspiration de James Bond… Cela rythme la très longue analyse de Mona El-Kouedi , le 18 février 2013 dans Al Ahram (version anglaise)
«…While the presidency struggles to survive, the military watches the Muslim Brotherhood’s decline with amusement. General El-Sisi, a religiously pious military leader deeply respected within the officer corps, has tailored the military’s strategy towards President Morsi and the Brotherhood. Such a strategy is perfectly manifested in Sir Paul McCartney’s James Bond song ‘Live and Let Die’. […]
»While General El-Sisi’s winning ‘live and let die’ card seems successful in keeping the military theoretically out of the political struggle while exposing the decline of the Muslim Brotherhood, the general did warn about a ‘Skyfall.’ In a recent statement by the defence minister, considered the strongest since his appointment, he warned that the political struggle between the various political forces might lead to the ”collapse of the Egyptian state.”
»It seems that General El-Sisi is actually warning the Muslim Brotherhood against using the damaging card of 'die and let die’. As the relations between the Muslim Brothers and the military are turning into a zero-sum game, the Brotherhood can never play with El-Sisi’s ‘live and let die’ card, for Egypt may survive the perishing of the Brotherhood, but not of the military…»
• De là à franchir le pas ultime, il n’y a évidemment qu’un pas. Il est effectivement franchi au gré de rumeurs qui commencent à circuler, qui font état d’un coup de force de l’armée, sous une forme ou l’autre. Ainsi, le BBC Monitoring Middle East reprenait, le 20 février, une information du site Al Fajr, installé à Londres et mettant en ligne en langue arabe, et site spécialisé dans, disons, les “nouvelles sensationnelles”. Le site est placée sous la direction d’un opposant réputé des Frères Musulmans, son rédacteur-en-chef Adil Hamudah ; quant à l’“information”, elle nous amène bien au-delà des supputations spenglériennes.
«Private Al-Fajr news website quoted “international intelligence reports published in London” as saying that there are indications that the Egyptian army will take over power again in Egypt soon. The website, […] said that all indications and givens “reassure the imminent re-transfer of power to the Egyptian army” which has been ruling Egypt from 1952 to 2011 when President Mubarak was ousted. “There are monitored moves and efforts inside the military establishment for a coup that ousts the current regime and drives the Muslim Brotherhood away from power,” the website quoted reports as saying.
»It further said that such a coup will be welcomed worldwide. “Decision-making circles worldwide see that the army will restore calm and stability in Egypt after two years of instability,” it said. “World countries will recognize the army’s power if it is temporary and paves the way to the rule of a retired general who enjoys military’s support as was the case with former presidents: Jamal Abd-al-Nasir, Anwar al-Sadat and Muhammad Husni Mubarak,” it also said.»
• Une autre source, tout aussi douteuse puisque venue d’un quotidien koweitien fameux pour ses “reportages” et autres “analyses”, “révélations”, etc., de type désinformation/mésinformation. Il s’agit de Al-Rai al-Am qui nous fait, le 22 février, rapport d’une source militaire égyptienne.
«An Egyptian official military source said that his country is threatened with the breaking out of a revolution very soon. This will not only be a revolution against the Authority but also “a revolution of the hungry ones” in light of the continued nonexistence of dialogue between the political forces on the one hand and the ruling Authority on the other. […] The source further said that the armed forces are well-aware of that and that they have always tried to maintain the utmost level of cohesion in order to prevent the chaotic seekers in Egypt from carrying out their plans… He added: “The armed forces will never allow for any disastrous outcomes that might lead to the division or dismantlement of Egypt. The forces are keeping a keen eye on the internal Egyptian front and will interfere when the red lines are crossed or if the conflict between the ruling Authority and the political forces cause a civil war between the people.” He added: “The armed forces were and will never side except by the will of the people…”»
Tout cela, on le voit, relève disons de l’“information flottante”, ou “information volante”, du type dont il est bien difficile de distinguer la part de véracité et la part de montage. Aussi ne nous intéresse-t-il en aucune façon de spéculer dans ce sens, – la vertu d’inconnaissance joue à plein à cet égard. Ce que nous relevons par contre, c’est la simultanéité de ces nouvelles, allant dans le même sens, de la part de personnages venus d’horizons divers mais manifestement sensibles aux mêmes tendances, lesquelles sont activées selon des préoccupations générales dont la source est indéniablement dans des cercles divers, semi-officiels et autres, tous connectés aux centres non moins divers qui se veulent ou se disent influents dans la détermination de la politique du bloc BAO. Tout cela est complexe mais simple… La conclusion qu’on en tirera à ce point, en fonction de tous ces éléments et des considérables facteurs de pondération à prendre en compte, est de deux ordres.
• Le premier est que l’inquiétude du bloc BAO devant le développement des événements en Égypte reflète essentiellement une impuissance complète à influer sur ces événements d’une façon favorable aux intérêts du bloc BAO. (On tiendra compte du fait qu’il est fort possible que le bloc BAO, lorsqu’il est sorti du contexte de ses narrative hollywoodiennes, ne sache pas précisément quels sont ses intérêts en la circonstance, quelles formes ils ont, quelles situations les favoriseraient et ainsi de suite. Il est également fort possible, car on ne le sort pas si aisément de ses narrative, qu’il ignore, le bloc BAO, sa propre ignorance de ce que sont ses intérêts.) Il y a, depuis février 2011 (départ de Moubarak) et les diverses évolutions du bloc BAO (des USA) aboutissant finalement à un soutien de Morsi/des Frères Musulmans qui relève simplement de l’acquiescement devant le fait accompli, une accumulation de démonstrations actant de cette impuissance qui conduit simplement à accepter les événements et à les suivre pour ne pas perdre le contact, – attitude passive caractéristique, saupoudrée de diverses campagnes massives du type désinformation-mésinformation (au choix) suggérant qu’il y a derrière tout cela des manœuvres secrètes et efficaces du bloc BAO pour conduire les événements. Entre le complot finement mené pour mettre les Frères Musulmans au pouvoir en prétendant les contrôler et la politique du type “j’embrasse (avec retenue) celui que je ne peux étouffer”, le choix est ouvert. Nous avons fait le nôtre, qu’on devine aisément dans notre commentaire.
• Le retour à la case départ, si affectionné par le bloc BAO en état de crise chronique, ce sont les bruits divers sur la position des militaires, voire les intentions des militaires entre le putsch assez soft et le “don de leurs personnes” pour sauver la nation en en prenant le contrôle. Cela revient à revenir, eh oui, à la formule des militaires prenant le pouvoir en 1952-54 et accouchant de la lignée Sadate-Moubarak ; cela revient à en revenir à Moubarak, liquidé en 2011, notamment avec l’aide non négligeable des “tuteurs” US lâchant leur marionnette favorite. Alors, on irait vers l’espérance d’une politique du type nouveau “trois petits tours et puis s’en revient”, assortie bien entendu de “conseils” appuyés d’hyper-libéraliser les lambeaux de l’économie égyptienne (cela semblait déjà être fait avec Moubarak) avec une politique rigoureuse d’austérité ; effectivement, on n’abandonne surtout pas une politique générale dont on relève chaque jour les fruits catastrophiques au sein du bloc BAO, et catastrophiques d’une façon générale pour le Système lui-même. L’originalité et la cohérence de la suggestion ne sont pas écrasantes, non plus que la capacité du bloc BAO d’intégrer les nouveautés après n’avoir rien compris ni rien retenu des enseignements des événements… Quant à attendre qu’une telle issue se développe sans trop d’anicroches, dans la bouilloire en ébullition qu’est devenue l’Égypte, sans réellement savoir ce que sont devenus et ce que pensent aujourd’hui les militaires, en tablant sur l’agrément soulagé et la coopération enthousiaste de “la rue égyptienne”, etc., tout cela relève de la même attitude, dite intellectuelle pour faire très court. En d’autres mots, la narrative se poursuit en mode-turbo.
L’une des thèses les plus courantes des grandes explications de manipulation, sous forme “complotiste” notamment, du mouvement dit du “printemps arabe” par le bloc BAO a été, pour le cas central de l’Egypte, que les Frères Musulmans, Morsi en tête, étaient “sponsorisée” et manipulés par le bloc BAO (USA regnante pour le cas, certes), avec le dynamique Qatar en flanc-garde. Les circonstances actuelles, qui sont d’ailleurs toujours du domaine de la narrative, montrent au moins les inépuisables réserves de narration des variation des structures manipulatrices et complotistes du bloc BAO. C’est bien pour la théorie, c’est plus douteux pour la pratique. A force de tourner en rond, que ce soit «to circle the wagons around the Morsi government» ou de liquider Morsi pour en revenir à pseudo-Moubarak, toujours dans le cadre de la narrative-Système dont Diogène cherche en vain les effets sur la vérité du monde, on finira par croire, simplement pour éviter le vertige des manèges un peu trop incontrôlés, qu’il y a dans l’évolution actuelle certaines choses qui sont incontrôlables et un effet sur la situation du monde qui ressemble au désordre.
Mis en ligne le 27 février 2013 à 06H23