Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
177723 septembre 2009 — Nous avons observé hier, 22 septembre 2009, les effets d’une situation intérieure US de plus en plus chaotique sur la politique extérieure. Nous notions que nous avions déjà observé l’un ou l’autre élément de ce désordre intérieur (le 17 août 2009, le 8 septembre 2009 et le 19 septembre 2009). Nous mentionnions également comme facteur fondamental de ce désordre le mouvement de protestation dit Tea Party. C’est à ce dernier phénomène que nous nous attachons aujourd’hui, parce qu’il nous semble particulièrement important et déterminant, et mériter une tentative d’analyse spécifique.
Nous avons parlé à deux reprises du mouvement du Tea Party, une fois (le 16 avril 2009), à propos d’une déclaration du gouverneur du Texas, à la première chaîne de manifestations transnationale du mouvement (le 15 avril), concernant l’hypothèse de la sécession de son Etat; une seconde fois, lorsque Robert Reich signalait (le 19 août 2009) la manifestation nationale Tea Party du 12 septembre et proposait d’en organiser une, pour les progressistes, le 13 septembre. Finalement, Reich abandonna son idée devant l’absence de réponse et d’organisation des groupes progressistes.
La manifestation du 12 septembre 2009 à Washington D.C. a été un succès considérable. Les estimations de la foule rassemblée ont varié de manière assez radicale, sinon fantaisiste, sans savoir d’ailleurs dans quel sens. Elles allèrent de “plusieurs dizaines de milliers de personnes” à “plus d’un million de personnes” selon certains républicains. (Une source officieuse européenne, neutre en l’occurrence, observait: «Democratic sources downplay the number to approximately 70,000, while Republicans round the number up to 1.2 million which would have been about forty thousand more than the Obama Inauguration Day crowd and is not at all borne out by the facts.») Dans tous les cas, le succès de la manifestation fut remarquable et lui valut même un article dans le New York Times, d’habitude très discret sur ce genre d’événement qui pourrait faire croire que le désordre existe aux USA.
Le rapport qui en fut fait (NYT, le 13 septembre 2009) est mi-figue mi-raisin, insistant sur les aspects agressifs anti-Obama, mais observant également des attitudes plus générales…. « A sea of protesters filled the west lawn of the Capitol and spilled onto the National Mall on Saturday in the largest rally against President Obama since he took office, a culmination of a summer-long season of protests that began with opposition to a health care overhaul and grew into a broader dissatisfaction with government. […]
»Dick Armey, a former House Republican leader whose group Freedomworks helped organize the protest, stood before the crowd and led the rallying cries in nearly the same spot where Mr. Obama took his oath of office eight months ago. “He pledged a commitment of fidelity to the United States Constitution,” Mr. Armey said, suggesting that Mr. Obama was in violation of what the founding fathers intended the size and scope of the government to be. […]
»The atmosphere was rowdy at times, with signs and images casting Mr. Obama in a demeaning light. One sign called him the “parasite in chief.” Others likened him to Hitler. Several people held up preprinted signs saying, “Bury Obama Care with Kennedy,” a reference to the Massachusetts senator whose body passed by the Capitol two weeks earlier to be memorialized. Other signs did not focus on Mr. Obama, but rather on the government at large, promoting gun rights, tallying the national deficit and deploring illegal immigrants living in the United States.»
Les observations d’un commentateur d’un blog plutôt consacré aux problèmes financiers nous semblent intéressantes et rendre compte de la réalité de cet événement. Le commentateur de “TheDebtofNation” écrivait le 13 septembre 2009:
«I strive to be apolitical. I have discovered that the best course of action is to often stay neutral in order to avoid granting a perception of bias towards one side or another. Of course, I am not always successful and have in the past showed my leanings. In presenting this latest news here, I am merely making an observation.
»Tens of thousands rallied against Obama this weekend in a move that left many politicians and political observers stunned. This is not a left wing-vs-right wing debate either - the discontent is manifest in everything from health care to unemployment to higher taxes, hostility towards bankers, and of course… dollar destruction.
»Courageous speakers like Ron Paul and former GAO Comptroller David Walker have been banging their gavels on fiscal indebtedness for decades now. Only now has the public begun to listen.
»Another noteworthy pt – this is no longer the typical reporting of anonymous internet bloggers (which have also proven to be timely sources if a bit rusticly partisan in their presentation) but has now hit the mainstream. None other than the venerable New York Times has covered the issue. Of course, longtime readers of the blogosphere have been well aware of these problems for quite some time already. But for the mainstream to address it. . . . well, that indicates that certain issues are picking up pace.»
Pourquoi parler, aujourd’hui 23 septembre, d’un événement vieux de onze jours, alors que toute l’information à son propos était disponible dès le 13 septembre? Simplement parce que nous l’avons raté et qu’il s’avère, à la lumière des commentaires qu’on peut recueillir et des réflexions que ces commentaires suscitent dans notre chef, qu’il pourrait s’agir d’un événement important, et plus encore, de la manifestation d’une importante évolution. Mais, certes, au-delà de la manifestation du 12 septembre, c’est du mouvement Tea Party que nous parlons – et, là encore plus, que nous avons raté jusqu’ici.
…Ou bien, est-ce que l’importance et la signification de ce mouvement ne se découvrent-elles que peu à peu? De ce point de vue, il faut constater que la bipolarisation extrême et artificielle, le virtualisme, le phénomène de la communication jouent un rôle complexe dans l’identification des choses importantes. D’autre part, il est aussi avéré que, dans cette époque où la réalité est un phénomène si complexe à réaliser, autant qu’à former en un sens, la signification même de ce que l’on observe en fait de mouvements collectifs notamment prend forme dans la réalisation même de la chose – et, dans ce cas, les mêmes éléments qui semblent empêcher l’identification (“bipolarisation extrême et artificielle, le virtualisme, le phénomène de la communication”), au contraire contribuent parallèlement à créer l’identité de la chose – du coup, ceci expliquant cela. Ce serait l’hypothèse selon laquelle Tea Party devient peu à peu ce qu’il pourrait être éventuellement de fondamental, en existant simplement, et en se développant.
De ce point de vue, il est manifeste que les obsessions idéologiques ont joué un rôle important dans le réductionnisme de ce mouvement, dans la dissimulation de son importance éventuelle, le réduisant aux excès de la droite radicale, au racisme supposé (toute critique du président Obama implique-t-elle du racisme parce que le président Obama est africain-américain? Joli domaine pour le procès d’intention). Les libéraux-progressistes, même lorsqu’ils critiquent Obama, gardent les réflexes du symbolisme qu’ils ont perçu, même inconsciemment, dans l’élection d’Obama: président noir, société multiculturelle, fin du racisme, accomplissement de la modernité, et ainsi de suite… Mais Obama dirige les forces qui dévastent stupidement l’Afghanistan et considère que cette guerre typique de la politique belliciste US doit se poursuivre et même être accentuée; il préside à un renflouement de Wall Street qui représente un acte scandaleux sans guère de précédent dans force et dans sa dimension cynique et immorale, voire amorale; et ainsi de suite… Et si, plutôt que voir dans le Tea Party le diable habituel qui ne supporte pas un président noir, l’observation nécessaire était de se dire: si Obama était le réformiste radical qu’on en a fait, ou qu’on espérait qu’il serait, et qu’on espère (de plus en plus faiblement) qu’il se décidera à être un jour, sa place ne serait-elle pas à la tête de Tea Party?
Il est incontestable qu’il y a dans le mouvement Tea Party des aspects anti-système extrêmement intéressants. La présence, rapportée dans l’article du NYT, d’un Dick Armey, vieux routier libertarien de tendance assez proche de celle d’un Ron Paul, qui fut à deux doigts de voter contre la guerre en Irak en 2002 et ne céda que par fidélité au parti républicain, qui s’opposa à la guerre du Kosovo, est un des multiples signes, au seul niveau institutionnel, qui font penser dans ce sens. Les tendances centrifuges, anti-fédérales, etc., du mouvement, laissent à penser, également dans ce sens. Si l’on veut bien ne pas trop accorder d’attention aux insultes et aux provocations racistes qui ne sont que ce qu’elles sont, et ne sont pas une politique, on constate que le réductionnisme idéologique conduit des libéraux (progressistes) à l’étrange et paradoxale situation de devenir, en protégeant la vertu du président Obama, des alliés “objectifs” du “centre” de Washington, donc de l’establishment et, au-delà, de la politique expansionniste et belliciste du système qu’ils font profession de foi de détester.
Dans ce cas, on comprend alors qu’il existe une logique objective saisissante, qui nous dépasserait, qui impliquerait elle-même une dynamique objective fondamentale. Quelles que soient les clowneries idéologiques dont on charge son appréciation, on en vient à constater, en suivant le raisonnement de notre F&C d’hier, que ce mouvement, quelles que soient ses intentions, en obtenant de plus en plus le résultat objectif du désordre déstructurant pour le système, de ce type de désordre postmoderne à la fois insaisissable et très difficilement caractérisé, accentue à mesure la paralysie de l’exécutif en lui faisant mobiliser toutes ses forces pour la bataille communicationnelle intérieure; il affaiblit le pouvoir du système, contrecarre de plus en plus la politique extérieure belliciste par la simple pression des priorités, de la psychologie et des moyens.
Le champ de cet affrontement communicationnel est également très important, avec la forte symbolique qui le caractérise. Le mouvement Tea Party, qui rappelle l’un des événements fondateurs (en 1774, à Boston) de la révolte des colonies américaines contre l’Angleterre, qui base toute sa rhétorique sur le retour aux fondements de République, qui choisit des slogans tels que “Re-declare your independence”, installe évidemment une psychologie de contestation globale du système. Cela est sans aucun doute bien plus important que toutes les interprétations idéologiques, les bataillons de parlementaires républicains et de “maccarthystes nihilistes” qui tentent d’encadrer le mouvement pour l’annexer à leur avantage. Ce mouvement a vocation à leur échapper, ne serait-ce que parce qu’il suit sa propre logique interne, dépendant de la dynamique qu’on a décrite; il semble de plus en plus constituer une termite de plus, et une termite de quelle taille, dans le bataillon de termites qui rongent les fondements du système. L’intérêt de cette bestiole-là, cette termite particulière, est, sans aucun doute, qu’elle dissimule de moins en moins cet objectif qu’elle poursuit, de l’attaque des fondements.