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1115La revue – comme l’on parle d’une revue de music-hall ou de la revue des Folies-Bergères – continue dans l’affaire des anti-missiles et de l’Ukraine, avec la question d’un radar qui pourrait servir au futur réseau anti-missiles remplaçant le défunt BMDE. Il y a eu les déclarations d’Alexander Vershbow, du Pentagone, suivies de la visite euphorique d’Hillary Clinton à Moscou, avec des déclarations allant dans le sens contraire, ou bien différent, de celles de Vershbow. Maintenant, il y a de nouvelles déclarations qui pourraient sembler contredire en partie (ou bien aller dans un sens différent) celles de la visite de Clinton, qui semblaient contredire celles de Vershbow. Donc, suivez-nous si vous le pouvez: on affirme, puis on paraît démentir sans le dire expressément, puis on paraît réaffirmer sans le dire expressément.
Tout cela se passe autour de Washington, de la Maison-Blanche, du département d’Etat et du Pentagone; accessoirement avec l’Ukraine en “vedette américaine”, puisque le ministre ukrainien des affaires étrangères affirmait le 9 octobre : «Le déploiement de l'ABM sur le territoire ukrainien serait à mon avis illégitime, voire anticonstitutionnel», et que son ambassadeur à Washington affirmait ce qui suit, hier, qui est repris par Novosti le 15 octobre 2009
«L'éventuelle utilisation des radars ukrainiens dans l'intérêt du bouclier antimissile US est en cours d'étude, a annoncé jeudi lors d'un point de presse à Kiev l'ambassadeur ukrainien aux Etats-Unis, Oleg Chamchour. […] “Cette question [de l'utilisation des radars ukrainiens] est au stade du débat préalable”, a indiqué le diplomate cité par l'agence ukrainienne UNIAN. De l'avis de l'ambassadeur, la possibilité de l'engagement de l'Ukraine dans ces processus est parfaitement naturelle et constructive, étant donné le rapprochement constaté entre les Etats-Unis et la Russie sur la question du bouclier antimissile.»
Les Russes ont aussitôt réagi, à la vitesse de l’éclair, comme l’indique Novosti toujours, le 15 octobre 2009 également. La revue des Folies-Bergères est également une partie de tennis, service-volée, où les Russes ne sont pas les derniers à réagir avec vivacité…
«La Russie est préoccupée par les contacts des Etats-Unis avec des pays non membres de l'OTAN dans le cadre de la révision de leurs projets de déploiement d'éléments du bouclier antimissile (ABM) en Europe, a déclaré jeudi le vice-ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Riabkov. “Nous n'ignorons pas que, dans le cadre du renoncement auxdits projets, l'administration américaine entretient des contacts avec ses partenaires encore qu'il ne s'agisse pas uniquement des pays de l'OTAN”, a indiqué M.Riabkov, en commentant la déclaration de Kiev sur ses négociations avec Washington concernant une éventuelle utilisation de radars ukrainiens dans le cadre du programme ABM américain. “Nous suivons de près cette situation [...] qui nous préoccupe”, a noté le diplomate.»
@PAYANT Dans cet étrange tourbillon de déclarations fort peu coordonnées et très souvent contradictoires dans l’esprit et dans l’interprétation qu’on en fait, il faut d’abord se garder d’écarter l’explication la plus simple. D’une part et effectivement, l’utilisation des installations radar ukrainiennes (ex-soviétiques) peuvent très bien s’insérer dans le cadre d’un réseau russo-américain, autant contrôlé par les Russes que par les Américains, tel qu’Hillary Clinton en a prôné les vertus lors de sa visite de mardi-mercredi à Moscou, avec le soutien enthousiaste des Russes; d’autre part, on peut envisager que les Russes sur-réagissent aux nouvelles venues soit de l’Ukraine soit du Pentagone, à la fois par tactique et par une sorte de crainte obsessionnelle, dont on comprend les fondements, d’être floués par les Américains et par leurs voisins immédiats.
Cela étant dit, il reste que toute affaire, même politique et stratégique, est, aujourd’hui, une affaire de communication. En l’occurrence, cette question des anti-missiles avec l’incursion d’un domaine ukrainien inattendu n’est pas un modèle du genre, question communication. Le Pentagone, lui aussi, joue au niveau tactique et au niveau obsessionnel, un peu comme les Russes, en même temps qu’au niveau technique. Le Pentagone estime que les radars ukrainiens sont éventuellement nécessaires à un réseau anti-missiles nouvelle formule (aspect technique); il y croit d’autant plus que sa bureaucratie est, par substance pourrait-on dire, convaincue qu’il faut réunir le maximum de moyens pour opposer au réseau infranchissable à la terrifiante menace iranienne (aspect obsessionnel); il insiste d’autant plus sur l’affaire ukrainienne que cela lui permet, estime-t-il, de se placer un peu plus dans ce pays, pour affirmer sa position contre la Russie qui reste sur la liste des ennemis potentiels type-Guerre froide (aspect tactique, avec un zeste conséquent d'obsessionnel). On pourrait ajouter l’hypothèque ukrainienne où l’on sait que règne un pouvoir au moins bicéphale (un président nettement anti-russe et unr première ministre inclinée à un arrangement avec la Russie) et qu’on ignore qui dépend précisément de qui (allusion aux ministre des affaires étrangères et à l’ambassadeur de l’Ukraine à Washington).
Le problème reste pour l’instant, pour l’essentiel, du côté US. La difficulté de cette affaire des anti-missiles est qu’elle mélange l’aspect politique et l’aspect technique. L’aspect politique affiche clairement, de ce côté US, une volonté d’entente manifeste avec la Russie. C’est peut-être la seule certitude que l’on puisse avancer, du côté des USA où réside l'essentiel du problème. Mais il s’agit d’une volonté de la direction politique (Obama et Clinton en l’occurrence), qui n’implique pas nécessairement, du moins avec la rigueur qu’il faudrait, les autres centres de pouvoir. L’aspect technique permet au Pentagone de glisser régulièrement des obstacles divers qui ravivent la méfiance russe et rendent plus difficile l’évolution politique. On dirait, sans grande originalité, que ce serait à la direction de l’administration Obama de faire le ménage chez elle, et l’on ajouterait, sans plus d’originalité, que ce n’est pas demain la veille qu’elle y parviendra. Plus que jamais, un mot caractérise la situation washingtonienne, et nous dirons, avec politesse, que c’est le mot “désordre”.
Surtout, l’on doit observer combien l’information se confirme être d’abord une question absolument et complètement relative, nécessitant une enquête permanente pour distinguer la réalité. (Voir notre Note d’analyse du 9 octobre 2009.) Nous devons faire intervenir des facteurs extérieurs aux seules déclarations, analyses, etc., des centres de pouvoir impliqués, auxquels il est a priori nécessaire de n’accorder aucune confiance. Nous devons juger des informations qu’on nous dispense en faisant appel à l’expérience, au bon sens et à l’intuition, et en restant désormais convaincu que plus aucune référence ferme n’existe en cette matière.
Mis en ligne le 16 octobre 2009 à 12H10
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