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128716 février 2009 — Nous revenons sur le nouveau rapport annuel du renseignement US, que nous avons déjà évoqué à deux reprises. Il y a l’aspect impliqué par le changement de menace, plus précisément le fait que le terrorisme n’apparaisse plus comme la première menace pour la première fois depuis l’attaque 9/11; il y a l’aspect du contenu même de cette menace de la crise globale, tel qu’il a été exposé par l’amiral Blair, Director of National Intelligence.
D’une certaine façon, nous allons observer un troisième aspect qui est la confrontation des deux déjà traités. Il s’agit de l’accueil qui a été fait par des esprits complètement dépendant de la “psychologie 9/11” à une évaluation qui évacue brutalement cette époque, pour aborder l’époque de la crise systémique globale. Pour ces esprits, les déclarations de l’amiral Dennis Blair constitueraient un événement semblable à l’abandon forcé de l’empire du virtualisme pour entrer de plain-pied dans l’univers de la réalité.
Un passage du texte de WSWS.org du 14 février que nous citions le même jour présente des scènes vécues qui introduisent notre propos.
«Blair's emphasis on the global capitalist crisis as the overriding national security concern for American imperialism seemed to leave some of the Senate intelligence panel's members taken aback. They have been accustomed over the last seven years to having all US national security issues subsumed in the “global war on terrorism,” a propaganda catch-all used to justify US aggression abroad while papering over the immense contradictions underlying Washington's global position.
»The committee's Republican vice chairman, Senator Christopher Bond of Missouri, expressed his concern that Blair was making the “conditions in the country” and the global economic crisis “the primary focus of the intelligence community.” Blair responded that he was “trying to act as your intelligence officer today, telling you what I thought the Senate ought to be caring about.” It sounded like a rebuke and a warning to the senators that it is high time to ditch the ideological baggage of the past several years and confront the real and growing threat to capitalist rule posed by the crisis and the resulting radicalization of the masses in country after country.
»It may have been lost on some those sitting at the dais in the Senate hearing room, but when Blair referred to a return to the conditions of “violent extremism” of the 1920s and 1930s, he was warning that American and word capitalism once again faces the specter of a revolutionary challenge by the working class.»
L’effet est incontestablement un très grand désarroi, notamment, sans doute, chez les élus (républicains) les plus attachés à la politique Bush complètement plongée dans la “menace” terroriste accouchée par 9/11, et nourrie par elle. Evidemment, il pourrait y avoir l’interprétation d’une grande part de comédie dans ces réactions, interprétation dans le chef de ceux qui observent le monde comme une pièce essentiellement manipulée dont ils peuvent à loisir changer les règles d’interprétation, pour convenir à la passion qui colore leur jugement sur les événements politique. Ce n’est pas notre cas, ici et par ailleurs, et la passion serait pour nous plutôt un moteur pour la recherche de la signification de la réalité, et nullement un ingrédient pour orienter cette recherche. A ce point et dans les conditions où ces réactions nous sont exposées, il nous paraît extrêmement logique, sinon la nature même dans le contexte qu’on connaît, qu’elles aient eu lieu sans aucune manigance, spontanément, parce qu’effectivement Washington a vécu immergé dans cette “psychologie 9/11”, elle-même évidemment toute entière influencée par le virtualisme. De ce point de vue, l’exposé de l’amiral Blair a constitué un événement extraordinaire et inattendu, et il a de quoi secouer gravement tant de certitudes confortées par huit années si chargées en récits, analyses, confidences et déclarations confortant cette psychologie.
(De notre point de vue et concernant la première appréciation que nous donnions du rapport présenté par l’amiral Blair, où nous disions que c’est une évidence que la Grande Crise d’origine financière est devenue le premier événement de notre époque, la première préoccupation, la première menace, la première force déstructurante d’un système qui le mérite bien, etc., il nous semblait également évident que la chose serait reconnue aisément. Elle le sera effectivement, mais les effets psychologiques de cette reconnaissance seront considérables; nous n’avions pas imaginé des réactions telles que celles qui sont décrites ci-dessus; en mentionnant le conformisme du système, nous n’imaginions pas qu’il pourrait imprégner à ce point les psychologies.)
Il est évidemment plus rassurant, en un sens, de voir dans la principale menace qui pèse sur vous l’effet d’une machination humaine, que cette machination soit imaginaire ou non, réalisée effectivement ou pas. Ainsi se trouve-t-on en “pays de connaissance”. C’est sans doute le deuxième sens, peu sollicité, de la très, très fameuse remarque que fit le russe Gregoryi Arbatov, directeur de l’Institut du Canada et des Etats-Unis de Moscou, et conseiller de Gorbatchev, en mai 1988, à un journaliste de Newsweek, pour le sommet Reagan-Gorbatchev à Moscou; Arbatov parlant au journaliste, comme s’il s’adressait aux Etats-Unis en général: «Nous allons vous faire une chose terrible, nous allons vous priver d’Ennemi.»
Arbatov voulait dire que ce “quelque chose de terrible”, c’est de laisser les USA sans Ennemi, – ainsi va la première interprétation de la phrase, la plus communément retenue. Mais la remarque allait plus loin en un sens, elle doit être interprétée plus avant et plus en profondeur; on est conduit à définir l’Ennemi comme l’“Ennemi humain”, ce qui est le cas (l’“Ennemi” qui disparaît, c’est l’URSS, effectivement humaine, identifié comme telle, etc.); il s’agit alors de comprendre la phrase de cette façon: “nous allons vous priver” de l’Ennemi humain identifié, chargé du mal, comploteur, subversif, présentant le côté sombre de l’humanité telle que l’américanisme se le représente, – et, ainsi, ce côté sombre ayant été évacué de l’américanisme puisqu’identifié à l’Ennemi en question et effectivement “en fonction”. On comprend évidemment que cet “Ennemi humain identifié” était le communisme comme, treize ans plus tard, après 9/11, il était devenu le terrorisme. A ce point, inutile de s’arrêter aux aspects grotesques pour la raison, impliqués par le fait que cet “Ennemi humain” (le terrorisme, la terreur) est une catégorie politique indéfinie, sans frontière ni époque particulière; après tout, cette pensée, celle qui se cherche un “Ennemi humain” pour pouvoir se trouver un sens, cette pensée elle-même est grotesque… Effectivement, et cela situe l’importance de la chose, une telle pensée qui n’a plus d’“Ennemi humain” se retrouve totalement privée de sens.
Ce qu’offre l’amiral Blair est complètement, affreusement différent. L’Ennemi, “la menace”, n’est plus humaine mais systémique, un processus, un mécanisme devenu mauvais, un enchaînement d’événements catastrophiques qui, dans le meilleur des cas, pourrait être perçu comme étant sans responsable humain, – ce qui est déjà terrible pour l’américanisme, cette absence d'identification humaine du mal. Si l’on insiste tout de même pour une identification humaine, on passe au pire des cas, – et l’on comprend que “le pire” est toujours possible, sinon nettement probable dans ce cas, – , qui est ceci que le responsable est l’américanisme lui-même puisque c’est l’effondrement de ce système de l’américanisme, à cause de ses vices et de ses tares, qui fait naître la menace la plus mortelle contre l’Amérique. Il s’agirait alors de l’hypothèse affreuse d’un comportement suicidaire “passif”, mais plutôt dans le sens mécaniste qu’animal. Si, comme font nombre d’hagiographes de l’américanisme, on attribue des vertus humaines au système, ou bien si le système est l’émanation de l’humain qui l’a créé, avec évidemment et essentiellement, et même exclusivement, les inévitables vertus de l’humanité que porte l’américanisme, le constat d’un mécanisme né de l’américanisme et observé comme objectivement suicidaire devient par définition source grondante et affreuse d’une déstabilisation, voire d’une déstructuration psychologique catastrophique.
La “psychologie 9/11” est une pathologie. L’architecture stratégique qui a prévalu dans l’“époque 9/11” (à peu près jusqu’en septembre 2008) est une imposture. Que tout cela soit mis en pièces par la Grande Crise, que cette crise soit prise en compte par l’évaluation des services de renseignement US, voilà d’excellentes nouvelles parce qu’il s’agit d’événements déstructurants qui attaquent de cette façon, en les déstructurant, les combines psychologiques et stratégiques destinées à dissimuler les réalités monstrueuses du système. (Les services de renseignement jouent effectivement souvent ce rôle, involontaire mais efficace, de révélateur des tares du système. Faits cocus à l’occasion de la guerre en Irak, ils ont appris à réagir. La NIE 2007 sur le nucléaire iranien fut la plus fameuse et la plus sérieuse de ces réactions. Il y a, ainsi, dans ce système lancé dans un processus de désordre et de déstructuration complète, des positions et des actions, venues de tel ou tel centre d’intérêt, objectivement vertueuses selon notre point de vue. Il n’y a plus aucune unité dans ce système, la logique de la déstructuration en cours l’emporte désormais sur sa dynamique de puissance qui forçait les énergies à se regrouper derrière des consignes générales.)
Le retour à la réalité de la “psychologie 9/11” de l’époque dont on célèbre actuellement l’enterrement se fait ainsi dans un mode eschatologique. La Grande Crise issue du système engendre tant d’effets secondaires et variables, qu’elle apparaît évidemment et s'impose à une très grande vitesse hors de tout contrôle humain. Ainsi peut-elle s’inscrire dans le domaine de l’eschatologie, c’est-à-dire le domaine où l’être humain n’a plus le contrôle des choses. Par ce biais, la Grande Crise fera, et fait sans doute d’ores et déjà aisément le lien avec les autres facteurs eschatologiques qui nous menacent, tel que la crise climatique notamment et fondamentalement. Ce cheminement, par ailleurs infiniment plus rapide que tout ce qu’on pouvait imaginer, entraîne inéluctablement la mise en cause radicale du système américaniste, qui porte ainsi la responsabilité supplémentaire d’être le détonateur de ces autres crises.
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