Après le “printemps arabe”, un “automne américain” ?

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Hier, 7 juin 2011, a été publiquement lancée (sur Internet) une campagne de mobilisation pour organiser, à partir du 6 octobre 2011 (dixième anniversaire de l’attaque US contre l’Afghanistan), l’équivalent à Washington D.C. de la “révolution égyptienne”, place Tahrir, au Caire. Le projet est similaire : installer sur Freedom Plaza, à Washington D.C., un campement massif de protestation semblable à ce qui fut fait au Caire, en février-avril de cette année.

L’appel est notamment lancé sur CommonDreams.org, le 7 juin 2011, sous le titre : «History Is Knocking: Stop the Machine! Create a New World!» Le texte est très long et explique les raisons fondamentales de l’action, qui sont évidentes, qui renvoient au blocage général de notre civilisation, et notamment à la responsabilité des élites dans cette situation. Une des cibles principales se trouve dans tous les établissements, institutions, centres de pouvoir, qui représentent le système officiel de corruption de la direction américaniste (lobbying, corporate power, etc.). Dans le texte, on trouve les précisions sur les débuts de l’action, dans quatre mois

«October 6 is the 10th anniversary of the Afghanistan invasion, and the beginning of the new federal budget year—an austerity budget for everything except for war and the corporate security state. On this day, we are calling for sustained and nonviolent mass resistance in Washington, D.C. The action, Stop the Machine! Create a New World!, portends an American Tahrir Square at Freedom Plaza between the White House and Congress, a block away from the National Press Club and a few blocks from the Chamber of Commerce and K Street, the stomping ground of corporate lobbyists.»

L’organisation est déjà assez avancée et semble être très ambitieuse. Un site conernant cette action a d’ores et déjà été créé, qu’on peut consulter, qui s’intitule très simplement October2011.org. La déclaration d’intention de cette action qui se veut à caractère, disons “semi-révolutionnaire”, ou “révolutionnaire postmoderniste”, se trouve sur ce site, sous forme de serment…

«I will be there – “I pledge that if any U.S. troops, contractors, or mercenaries remain in Afghanistan on Thursday, October 6, 2011, as that criminal occupation goes into its 11th year, I will commit to being in Freedom Plaza in Washington, D.C., with others on that day with the intention of making it our Tahrir Square, Cairo, our Madison, Wisconsin, where we will nonviolently resist the corporate machine until our resources are invested in human needs and environmental protection instead of war and exploitation. We can do this together. We will be the beginning ...”»

Les divers accès permettent de détailler les très nombreux noms de personnalités activistes ayant déjà signé et adhéré à l’appel. (Nous avons reconnu parmi elles deux auteurs cités à plusieurs reprises sur dedefensa.org, Chris Hedges, de Truthdig.com et Ray S. McGovern, ancien officier de la CIA devenu “dissident”.) Divers sites et organisations sont également impliqués. Certains liens conduisent d’ailleurs à la découverte d’autres projets d’action, comme le site Veterans For Peace, qui soutient l’organisation de la “Democracy Convention”, les 24-28 août à Madison, dans le Wisconsin. Madison est un lieu désormais fameux de la contestation US depuis l’épisode de février 2011, lui-même déjà psychologiquement lié aux événements du Caire et du “printemps arabe”…

Les sceptiques diront que ce n’est pas la première fois qu’un mouvement de contestations est lancé aux USA durant la période actuelle (depuis 9/11). Le passé ne les dément pas. D’autre part, il existe des circonstances qui ont un poids considérables, des échéances d’un poids non moins considérable, une psychologie d’une considérable importance, qui ont toutes évolué, et sans doute d’une façon radicale depuis 2007-2009. (Entre la victoire démocrate de novembre 2007, la crise de 2008, l’élection de Barak Obama et la déception qui a suivi auprès des démocrates et “progressistes” US.) C’est pourquoi nous nous arrêtons à ce projet qui est assimilé à l’ambition de lancer un “automne américain”, comme il y a, en cours, un “printemps arabe”.

…Car l’intérêt du projet, immédiat dans l’apparence, est d’abord tactique. L’organisation de l’action de cet “automne américain” imite absolument l’action, c’est-à-dire la tactique de la place Tahrir, au Caire, en février 2011. Cette tactique est devenue, pour les actions populaires de masse en milieu urbain, le fondement de la possibilité d’une contestation efficace dans l’ère postmoderniste, cette époque qui est marquée principalement par l’activité considérable du système de la communication. Quelle que soit l’inspiration de cette tactique (y compris celle qu’on attribue à Gene Sharp, largement cité à propos des événements égyptiens et à propos de qui certains émettent des réserves qui n’ont guère d’intérêt ici), l’avantage est évidemment qu’elle “fixe” la contestation sur un lieu public, sans limitation de temps, constituant par sa seule présence pacifique le cœur de sa contestation, – celle-ci effectivement répercutée par le système de la communication, si friand de sensationnel. Cette action soumet les contestataires à des risques beaucoup plus limités que des actions urbaines “offensives”, en laissant aux autorités la nécessité de l’initiative d’une action de répression quelconque pour disperser cette concentration, tout cela en plein cœur d’une vaste population urbaine et sous l’attention vigilante et agitée du système de la communication. Cette “fixation” dans un lieu public focalise inévitablement l’attention du système de la communication, tant au niveau médiatique qu’à celui des soi disant “réseaux sociaux”, ce qui agit quasi automatiquement comme une pression de renforcement de cette action.

D’autre part, les “revendications” du mouvement “Octobre 2011” sont suffisamment vagues et universelles par rapport à la période impliquée qui est celle qui nous affecte depuis 9/11, pour renforcer l’intérêt de l’initiative. Demander l’abolition du régime infâme du Système, de la corruption officiellement admise, de la dictature de la corporate machine, demander de faire cesser les activités de guerre, la destruction de l’univers et du cadre de vie dans cet univers en cours de déstructuration, tout cela implique un programme si vaste et si ouvert qu’il a peu de chance d’être satisfait par des mesures de compromis du Système, pour “récupérer” ou étouffer le mouvement. Il permet éventuellement, si le climat s’y prête, l’élargissement de la contestation vers la collectivité générale, dans des conditions de relative impunité, dans tous les cas par rapport à des actions “offensives” qui amènent aussitôt une riposte énergique des autorités.

Le point de l’universalité et de l’imprécision des revendications est sans aucun doute essentiel pour cette sorte de projet, dont le véritable but devrait être, s’il est conçu intelligemment, non pas tant d’obtenir des résultats concrets mais bien d’amorcer, d’étendre l’expression d’un mécontentement général. Selon nos conceptions, on ne doit pas placer un tel mouvement dans le sens d’un “résistance” active avec le but et l’espoir d’imposer des changements au Système, parce que le Système est, dans sa capacité de surpuissance, invincible et hermétiques selon les normes de confrontation ; on doit plutôt chercher la constitution d’un système antiSystème, dont l’effet est d’accélérer le désordre, et donc la pression déstructurante contre le Système, accélérant le propre mouvement d’autodestruction par déstructuration du Système. Selon les modalités et les buts qui sont proclamés, un tel mouvement peut, soit fermer la porte à son extension à différentes tendances, soit l’ouvrir au contraire à de nombreuses tendances pour en faire une dynamique qui serait alors et d’un même élan “multi-partisane” et non-partisane. Dans le second cas, le projet permettrait le regroupement de toutes les forces de contestation, dont la division a jusqu’ici été, aux USA particulièrement, le handicap fondamental pour empêcher l’efficacité et la puissance. Un tel mouvement, pour réussir et devenir véritablement déstructurant dans un sens antiSystème, doit bannir toutes les références aux idéologies habituelles ; rassembler la gauche progressiste qui s’est manifestée à Madison ; attirer des éléments de la droite type Tea Party, et aussi de la droite antiwar qui semble connaître une résurrection ; rassembler certains courants politiques en apparence antagonistes selon une méthodologie complètement archaïque, comme dans le cas des relations établies entre Ralph Nader et Ron Paul, accepter la proximité d’une campagne électorale comme celle de Ron Paul sans craindre les accusations de récupération, etc.

De ce point de vue, tout reste à faire et à démontrer pour ce mouvement “Octobre 2011” pris comme référence, et rien ne peut être dit d’assuré, en aucune façon. Il reste quatre mois pour faire et démontrer. On observera simplement, parce que c’est l’évidence, que “Octobre 2011” confirme, comme le reste, le désordre et le bouillonnement de la vie politique américaine et américaniste, cette fois, en se dégageant du rythme imposé par le Système, des élections et des divers débats de l’establishment qui permettent en général au Système de contrôler et de récupérer toutes les tentatives antiSystème.


Mis en ligne le 8 juin 2011 à 09H09