Assange fait la paix avec le Guardian

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En un sens, Cablegate et WikiLeaks apportent autant de bouleversements dans le monde de l’information que dans celui de la diplomatie. On veut parler de ce que Ray McGovern désigne comme le “Quatrième Pouvoir” (la presse classique, dite “officielle” ou Pravda, selon l’estime qu’on lui porte) et le “Cinquième Pouvoir” (l’information et le reste sur Internet, avec l’affaire Cablegate/WikiLeaks), le quatrième étant en train de la céder au cinquième...

Un exemple typique de cette évolution se trouve dans les rapports entre Julian Assange et la presse classique londonienne, et, précisément, entre Assange et le Guardian. On a vu, hier 23 décembre 2010, la tension qui est née entre Assange et la presse londonienne, y compris, semblait-il, avec le Guardian, qui était son plus fidèle soutien. Aujourd’hui, une interview largement mise en évidence de Julian Assange (voir notre Ouverture libre de ce 24 décembre 2010) semble indiquer un changement (un réchauffement) dans les relations Assange-Guardian. Le Guardian rapporte les critiques acerbes d’Assange à propos de l’interview que lui a fait “subir” la BBC il y trois jours.

«Since moving to Ellingham Hall, a Georgian country house and organic farm owned by his friend and supporter Vaughan Smith, Assange has given numerous media interviews. But he said he was fed up with the press and described an interview with BBC Radio 4's Today programme – in which John Humphrys grilled him on how many people he had slept with – as “awful”.»

Notre commentaire

@PAYANT La position de la “presse officielle” ou “presse-Pravda” (appellation plus radicale) vis-à-vis d’Assange est complexe et ambiguë. Divers facteurs jouent un rôle important dans cette position. Le facteur idéologique avec les pressions des autorités du Système y a évidemment sa place mais il serait sommaire de réduire le problème à cette seule dimension. Il y a également un facteur de défense corporartiste qui ne date pas d’aujourd’hui, qui est en plein développement depuis la guerre du Kosovo et, surtout, depuis l’attaque du 11 septembre 2001. Le fait que les théories sur 9/11 concernant un complot interne ou un “complot mixte” (les autorités US au courant du projet de l’attaque et laissant faire,voire la favorisant) aient essentiellement été diffusées sur Internet joue un rôle important dans l’attitude générale de la presse officielle condamnant, parfois d’une façon absolument abrupte et infondée, toutes ces théories sans même en examiner les arguments. (Pour avoir une bonne idée des diverses thèses en présence, on se reportera à deux textes que nous avons publiés en leur temps, l’un le 27 décembre 2005, l’autre une interview du docvteur Daniele Ganser le même 27 décembre 2005.)

Mais WikiLeaks avec ses fuites massives, puis Cablegate avec la troisième livraison de fuites massives, ont introduit un élément nouveau. On a déjà mentionné ce facteur de l’information exclusive, incontestable, que constituent des câbles ou des compte-rendus officiels, cet aspect impliquant un élément important du point de vue de la concurrence, avec la nécessité de la présence de la “presse officielle/Pravda” dans un événement de communication aussi massif et aussi journalistiquement valorisant que les opérations WikiLeaks. Les arguments les plus stupides contre Cablegate l’ont été de la part de journaux frustrés de n’être pas sur la liste de ceux qui reçoivent en priorité les informations WikiLeaks, comme The Independent émettant ce jugement d’une rare sottise, le 19 décembre 2010, pour observer que seules trois informations révélées par WikiLeaks tombent dans la catégorie des “révélations” importantes : «Few of the reports fall into the first category, and of those that do perhaps only three are important. The rulers of Saudi Arabia, Bahrain and UAE repeatedly urged the US to attack Iran to stop it developing nuclear weapons; the Saudis also offered to supply an Arab army to fight Hezbollah in the Lebanon; and the Chinese leadership expressed its impatience with the North Korean regime. Each of these requires a recalibration of our understanding of geopolitics, although whether the world is a safer place as a result will not be clear for some time.» Emettre un tel jugement, et laisser tout le reste du matériel WikiLeaks de côté comme d’un intérêt secondaire relève d’une stupéfiante incompréhension de la réalité de notre monde, – la chose ne mérite vraiment aucune discussion avec des “professionnels” de cet acabit, – ou bien, ou bien, cela comme marque d’une jalousie notablement hypocrite, du fait qu’Assange ait préféré le Guardian à l’Independent comme relais de ses fuites au Royaume-Uni.

…Pour autant, tout n’a pas été comme sur des roulettes pour Assange et le Guardian. On l’a vu, il y a eu des accrochages, surtout lorsqu’on est entré dans la question de l’affaire des “viols” (?) en Suède, où divers relais du féminisme exacerbé ont joué à fond contre Assange. La phrase de Noami Klein est à cet égard très significative de l’utilisation que le Système fait des mouvements postmodernistes “sociétaux” et de libération diverse des mœurs pour ses entreprises de conquête extérieure (Klein : «Rape is being used in the Assange prosecution in the same way that women's freedom was used to invade Afghanistan»). Pourtant, avec l’interview citée ici, on en revient aux affaires sérieuses concernant Assange, qui est la vindicte US contre le co-fondateur de WikiLeaks. Aussitôt, le Guardian retrouve une position plus conforme à celle qu’il eut jusqu’à ces derniers temps vis-à-vis d’Assange et de WikiLeaks/Cablegate. De ce point de vue, ces organes les plus avancés de la “presse officielle” restent liés à WikiLeaks par la situation et l’enjeu idéologique qui reprennent le dessus.

Il y a une belle bagarre en cours entre le Quatrième Pouvoir qui se débat dans les affres de sa délégitimation qui le coince dans l’alternative d’apparaître comme valet du système ou de choisir pour tenter de s’en dégager de devenir un auxiliaire de facto du Cinquième Pouvoir qui fournit un flot d’informations subversives impressionnant, et ce Cinquième Pouvoir (Internet essentiellement) qui s’affirme de plus en plus et ne cesse de s’imposer comme première source de référence du public. Dans cette bataille, le sort d’Assange, – mise à part la dimension personnelle du cas, – joue un rôle symbolique d’une extrême importance, d’autant que la vindicte du Système (les entreprises US contre lui) ne cesse de grandir cette stature de symbole dans cette bataille fondamentale. Quels que soit sa volonté et ses intérêts, la “presse officielle”, ou “presse-Pravda”, est entraînée, si elle veut survivre, dans le système antiSystème formé autour de Cablegate. Si elle ne suit pas, elle achèvera son processus de délégitimation et finira au rayon des accessoires sans réelle importance ni influence.


Mis en ligne le 24 décembre 2010 à 13H00

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