Assoiffez la NSA dans sa forteresse de l’Utah !

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Assoiffez la NSA dans sa forteresse de l’Utah !

Ah, voici de l’original ... Et, de plus, “de l’original” qui est plein de multiples ramifications directes et indirectes aux conséquences possibles très intéressantes. Il s’agit d’un projet mis au point par des activistes anti-NSA, concernant notamment l’énorme complexe de stockage de données (metadatas ou megadatas selon l'esprit de la chose) que la NSA met en place dans l’État de l’Utah, à Bluffdale (le Utah Data Center, dont la construction a coûté $1,5 milliard et dont le fonctionnement est encore loin d’être parfait). D’autres sites de la NSA pourraient être l’objet d’une attention similaire.

Steven Nelson, de US News & World Report, décrit ainsi le plan de guerre des activistes, le 3 décembre 2013 : «The National Security Agency has an Achilles heel, according to some anti-surveillance activists. The key vulnerability, according to members of the OffNow coalition of advocacy groups: The electronic spy agency's reliance on local utilities. The activists would like to turn off the water to the NSA's $1.5 billion Utah Data Center in Bluffdale, Utah, and at other facilities around the country...»

L’intérêt du programme est qu’il n’implique nullement une action subversive, de cette sorte dont on sait la difficulté de les conduire dans nos pays où la surveillance, – puisqu’on parle de ma NSA, – est omniprésente. La voie choisie par les activistes est beaucoup plus sophistiquée et permet de procéder dans le respect de la loi, puisqu’il s’agit de convaincre des législateurs des États de l’Union concernés d’agir, selon une situation légale nommée “nullification”, identifiant un cas où une législation de l’État est adoptée pour tenter de rendre nulle une loi fédérale dans l’État en question, en raison des effets contradictoires de cette loi fédérale par rapport au cadre juridique de l’État.

«Dusting off the concept of “nullification,” which historically referred to state attempts to block federal law, the coalition plans to push state laws to prohibit local authorities from cooperating with the NSA. Draft state-level legislation called the Fourth Amendment Protection Act would – in theory – forbid local governments from providing services to federal agencies that collect electronic data from Americans without a personalized warrant.

»No Utah lawmaker has came forward to introduce the suggested legislation yet, but at least one legislator has committed to doing so, according to Mike Maharrey of the Tenth Amendment Center. He declined to identify the lawmaker before the bill is introduced. “We are still very early in the campaign, and this is in fact a multi-step, multi-year long-term strategy,” says Maharrey, whose group is part of the OffNow coalition along with the Bill of Rights Defense Committee and a handful of other groups.

»The campaign is looking beyond Utah, Maharrey adds. He says a Washington state lawmaker has also committed to introducing the legislation and says state politicians in five other states have expressed interest in doing so without committing to it.»

Cet aspect nouveau de l’opposition à la NSA, ou des réactions soulevées par la mise à nu du rôle de la NSA, fait qu’on peut commencer effectivement à parler d’un mouvement de résistance structuré contre la NSA. Avec celui qui apparaît dans le chef des activistes agissant au niveau des États de l’Union qui sont la dimension naturelle d’évolution de ces activistes, on distingue désormais trois échelons dans ce mouvement de résistance.

• Il y a bien entendu le niveau initial, l’échelon fondamental, qui est celui du système de la communication. Parti de la connexion Snowden-Greenwald-Poitras, appuyé sur le Guardian, il a pris la formidable expansion qu’on sait. Désormais cet échelon est planétaire, s’activant dans de très nombreuses directions, alimentant directement de nombreux médias et autres relais de communication. (La diffusion des révélations “classiques” du fonds Snowden, concernant les médias originaux choisis pour ces révélations, se poursuit elle aussi, avec l’ensemble édité le 4 décembre 2013 par le Washington Post sur le rythme quotidien de 5 milliards d’appels téléphoniques dans le monde contrôlés et surveillés par la NSA, effectivement chaque jour.) Le domaine est d’une richesse qui paraît sans limites : témoignant le 3 décembre devant les parlementaires britanniques et défendant avec une alacrité presque offensive le rôle de son journal, le rédacteur en chef du Guardian, Alan Rusbridger a précisé que son journal disposait de 58 000 documents Snowden et qu’il n’en avait publié que 1%. (Voir AP, le 3 décembre 2013.) Encore le Guardian n’est-il pas une première source (cette position est réservée à un Greenwald ou à une Poitras) et ne dispose-t-il pas de l’intégralité du fonds Snowden.

• Il y a le nouveau institutionnel de ce que nous nommerions “le centre”, c’est-à-dire Washington D.C. et le Congrès. Le projet de loi du député Jim Sensenbrenner (voir notamment le 23 novembre 2013), dit Liberty Act, progresse bien et rassemble désormais 102 “parrains” officiels, à balance précise illustrant un aspect parfaitement bipartisan, – 51 députés républicains, 51 députés démocrates. Le Speaker de la Chambre, le républicain Boehner, mandarin de l’establishment par excellence, voudrait empêcher un vote sur cette proposition de loi mais il apparaît de moins en moins probable qu’il y parvienne devant les pressions qui s’exercent dans le sens d’un vote. Dans le cas d’un vote effectif de la Chambre, le Liberty Act a toutes les chances d’être adopté, et aussi toutes les chances d’être bloqué par un veto d’Obama. («At the federal level, the USA Freedom Act sponsored by Rep. Jim Sensenbrenner, R-Wis., and Sen. Patrick Leahy, D-Vt., would significantly curtail the most controversial NSA practices made public in June by whistle-blower Edward Snowden. Despite appearing poised to pass the House of Representatives, the bill has little chance of becoming law because of opposition from President Barack Obama, who supports the NSA's phone and Internet surveillance programs.») L’expression “toutes les chances” pour l’adoption du Liberty Act et le veto d’Obama illustre ironiquement l’ambiguïté des circonstances. Un tel vote majoritaire, bloqué d’une façon discrétionnaire par un président discrédité dans cette affaire, constituerait un acte majeur de résistance contre la NSA à très fort effet de communication. Nous dirions même que le cas serait plus intéressant avec le veto, dans la mesure du sens polémique et du sens de l'expansion qui seraient imprimés. L’événement accentuerait radicalement le malaise institutionnel et, notamment, pourrait renforcer et activer le nouveau domaine de la résistance, le troisième échelon...

• Maintenant il s’agit d’un nouvel échelon de résistance activiste, au niveau de l’État, dans les conditions qu’on a vues. (Quelques indices avaient déjà signalé cette tendance [voir le 1er novembre 2013].) Une volonté de réforme radicale de la NSA (Chambre des Représentants) bloquée à Washington entraînerait un surcroît d’activisme dans le chef de cette résistance nouvelle qui se fait jour au niveau des États. Sans préjuger des conditions spécifiques de cette résistance (durée pour qu’elle s’exprime dans une législature, degré d’extension à divers États, etc.), il faut surtout observer qu’elle fait entrer la crise Snowden/NSA dans un domaine politique nouveau, qui est le domaine politique explosif de l’opposition entre “le centre” et les États aux USA. C’est un domaine extraordinairement sensible dans la situation politique polarisée actuelle et un domaine de prédilection de la potentialité d’un affrontement aux très graves conséquences déstructurantes et dissolvantes pour les USA. Les tensions centrifuges entre “le centre” et les États ne sont jamais plus dangereuses et potentiellement rupturielles qu’au niveau de la sécurité nationale, dont “le centre” estime impérativement avoir l’exclusivité de la direction et du contrôle. Les activités de la NSA font évidemment partie de ce domaine ; des entraves directes à son fonctionnement, ou simplement des menaces d’entrave à son fonctionnement constituerait un cas très grave d’affrontement, – sans doute le plus grave qu’on puisse imaginer, – et déclencherait une dynamique de crise centrifuge ouverte des États par rapport au “centre”. On sait que nous estimons qu’il s’agit là, – la cohésion interne des USA, – de la crise potentielle la plus grave pour la stabilité du Système, et d’une dynamique crisique qui peut susciter une accélération décisive de la crise d’effondrement du Système.

Face à cette structuration et à cette diversification de la résistance contre la NSA, qui constitue un facteur supplémentaire de la pérennisation de la crise, les directions politiques se révèlent de plus en plus enfermées dans la nécessité de défendre les réseaux de surveillance. On parle “des directions politiques” et “des réseaux de surveillance” parce qu’on fait allusion à des déclarations du ministre de la défense australien David Johnston, se plaçant du point de vue de l’un des cinq pays de l’organisation de surveillance et d’espionnage de l’“anglosphère”, – le pacte UKUSA de 1946 entre UK et USA, élargi aux autres pays de l’“anglosphère”, Australie, Canada et Nouvelle Zélande, et ce pacte également connu sous la désignation codée, exotique et de type-sobriquet de Five Eyes (FVEY). (... Johnston parlant également en tant que ministre d’un gouvernement qui vient d’être secoué par des révélations du fonds Snowden sur les activités de surveillance et d’espionnage de l’Australie dans le cadre de FVEY.) Il s’agit de commentaires de Johnston devant des experts du renseignement et de l’industrie pour signaler que les activités de FVEY, – donc de la NSA, évidemment, – ne seront l’objet d’aucune restriction, d’aucun frein, malgré la crise Snowden/NSA et sa gravité sans cesse en augmentation. Ces remarques, faites sur le mode confidentiel, ont été révélées par le journal The West Australian (le 3 novembre 2013) à partir d’une source, et montrent par ailleurs une active coordination entre Australie et USA sur la question de la NSA, donc une coopération entre les Five Eyes de l’“anglosphère”... (Dans ces extraits, le ministre est désigné comme “sénateur Johnston”.)

«In candid comments to industry and defence experts, Senator Johnston signalled Australia and its allies would continue to siphon information from phones and the internet. He said the Government had invested too much in intelligence gathering to take a "backward step". Senator Johnston also revealed he discussed the continuing leaks with US Secretary of State John Kerry and Defence Secretary Chuck Hagel. [...]

» Senator Johnston was asked about the impact of leaks of classified material by former US National Security Agency contractor Edward Snowden. “Suffice to say it's an area that I can't get into in great detail, but I simply say assume the worst,” Senator Johnston said. “We are watching with great acuity what is happening in the space. But we must assume the worst. There is no alternative for us.”

»Senator Johnston said the intelligence sharing alliance between Australia, the US, Britain, Canada and New Zealand – known as “Five Eyes” - had achieved “quite amazing and wonderful things”. “We have invested far too much in this space to allow this event – and it could happen to any one of the members of Five Eyes – a criminal, act, someone going bad, let’s keep it in context,” he said. “We have invested far too much to even contemplate a backward step.”»

Ces déclarations montrent effectivement que l’état d’esprit des directions politiques, qui sont complètement conditionnées à cet égard par leurs interlocuteurs des agences de renseignement et de surveillance, est de ne rien céder concernant les activités de la NSA et du reste. C’est aussi face à cette détermination qu’il faut mesurer l’importance de la résistance à la NSA qu’on a détaillée ci-dessus. Cette détermination des directions politiques à ne rien changer aux activités d’espionnage et de surveillance existe depuis l’origine de la crise. Elle n’a pas réussi, ni à éliminer Snowden, ni à bloquer l’expansion formidable du fonds Snowden, ni à bloquer toute initiative de résistance, ni à empêcher une structuration sérieuse de cette résistance. Ces dynamiques antagonistes doivent donc continuer à se développer, – résistance à tout changement des directions politiques, résistance grandissantes aux activités NSA/Five Eyes, – et cela mesure par conséquent, non seulement la situation actuelle de la crise Snowden/NSA, mais l’expansion irrésistible de cette crise et les possibilités considérables d’affrontement prenant l’allure du classique Système versus antiSystème, et signalant le dynamisme de l’équation surpuissance-autodestruction du Système.


Mis en ligne le 5 décembre 2013 à 07H05