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17367 juillet 2011 (ou 8 juillet 2009 ?) — …Effectivement, il y a deux ans, le 8 juillet 2009, le Guardian publiait son premier article de révélation sur l’extraordinaire réseau d’actions illégales de journalistes des journaux du groupe Murdoch (News Group et News International) en Grande-Bretagne, notamment du journal, dit “tabloïd” du dimanche, le News of The World (NoTW). Ces actions concernent des “écoutes” (une image) de portables privés, portant notamment sur la lecture des messages reçus par le portable.
Alan Rusbridger, rédacteur en chef du Guardian, se remémore (ce 7 juillet 2011) avec un certain délice ce premier article de Nick Davies, le silence des autres et les chèques de Murdoch qui suivirent…
«Nick's first story on the full extent of the phone-hacking scandal was published almost exactly two years ago – on 8 July 2009. It was – or should have been – explosive. It reported that a major global media company – News International – had paid out £1m secretly to settle legal cases which revealed criminality within their business.
»Instead of going back to parliament or the regulator to admit that they had been misled, the company's chairman, James Murdoch, signed a large cheque to stop the truth coming out.
»With any non-media company this revelation would have led to blanket coverage, calls for resignations, immediate action by the regulator etc. Instead there was a kind of ghostly silence.»
Que s’est-il passé ? Les articles ont succédé aux articles, sans résultats tangibles, des enquêtes aux enquêtes, sans mesures spectaculaires, d’autres chèques ajoutés à d’autres chèques, avec des résultats sonnants et trébuchants… Peu à peu, pourtant, le mur de silence et d’inattention s’est fendillé, fissuré, etc. Puis, soudain, tout s’effondre ; ces derniers jours, soudain, l’ouragan s’est déchaîné ... «Scroll forward two years and the full truth of what was going on at the News of the World is dramatically being stripped bare. Some kind of mental dam has been broken. MPs, journalists, regulators and police are speaking confidently again as they should. The palpably intimidating spectre of an apparently untouchable media player has been burst.»
Pourquoi, exactement, cela est-il devenu une affaire énorme, qui, soudain, menace un des dictateurs du système médiatique, et donc du système de la communication de notre contre-civilisation, de la substance de notre contre-civilisation, Rupert Murdoch lui-même ? Les dernières révélations donnent une explication conjoncturelle, avec la mise en évidence de l’implication comme victimes des manoeuvres et des falsifications des journalistes d’une petite fille assassinée, de victimes de l’attaque terroriste de juillet 2005, de proches de soldats tués au combat ; leurs messages ont été espionnés, pillés, voire falsifiés pour obtenir des effets sensationnels, par les journalistes de Murdoch… L’émotion les étouffe aussitôt, comme le rapporte CNN.News, dans un résumé de toute l’affaire, le 6 juin 2011… (Reuters donne également, le 6 juillet 2011, une excellente synthèse de l'affaire, remontant jusqu'à 2000.)
«The story was only propelled onto the front pages in July when police revealed that News of the World possibly hacked into the voicemail of a murdered schoolgirl, Milly Dowler, and victims of the London bombings. The allegation stunned media watchers. “Outside of the political elite in Britain, this story has had little traction until now,” said Roy Greenslade, a former editor of the Daily Mirror and an assistant editor of the Sun, a sister paper of News of The World. “The allegations about the hacking of Milly Dowler's phone have the potential to change that. This is a step change: before we had hacking of celebrities and politicians, but here we have the interference of a murder inquiry involving a 13-year-old girl.”»
Hier 6 juillet, ce fut un déchaînement aux Communes. Ce 7 juillet 2011, Steve Richards, de The Independent, écrit : «Yesterday's exchanges in the Commons were ones I thought I would never witness. They are of historic importance. Senior elected politicians dared to challenge the powerful Murdoch empire and there was an air of catharsis as they did so.»
Le même Richards poursuit cet article en mettant en évidence ce qui pourrait être un fait fondamental de cet énorme scandale imprévu. Comme BAE au niveau des armements et des forces industrielles diverses (système du technologisme) et évidemment corruptrices, on doit observer que le groupe Murdoch , après élimination de divers candidats de son domaine, celui de l’influence la plus grossière du public dans son sens le plus large et le plus bas qu’on puisse imaginer (système de la communication), exerce, ou exerçait, une fantastique influence, également corruptrice, sur le monde politique londonien, – ce qui laisse à penser combien ce monde-là, aussi, atteint à des niveaux de bassesse considérables. Par conséquent, oui, cette mise en cause formidable du pouvoir de Murdoch suspend soudain au-dessus des têtes de l’un des groupes politiques dirigeants favoris du Système, une épée de Damoclès qui se nomme, – désordre, dispersion des influences, fracture des groupes et des politiques conformes au Système, – bref, désordre, désordre, désordre… Lorsqu’on découvre ce que chacun sait tout bas mais n’osait dire tout haut, que la direction politique britannique est (était) absolument manipulée par le magicien Murdoch.
Ainsi Richards parle-t-il de la chute de la maison Murdoch, au niveau de l’essence même de son existence, qui est l’influence, en des termes qui pourraient convenir pour faire un commentaire exalté sur le “printemps arabe”…
«The tyrants lose their swagger and those that lived in fear dare to speak out. The dynamics of the News International saga are similar to the ones that shape the fall of dictatorial regimes, except in this case it is some mighty media executives who are suddenly fearful and the politicians who are liberated… […]
»Until the revelations of recent days, Messrs Cameron and Miliband were wary of speaking out. Currently Cameron has the support of every single newspaper in the News International stable. Miliband ached for more sympathetic coverage and feared an onslaught on the scale that helped to destroy Neil Kinnock. Now they are almost free to condemn the ethics of those they feared. For the first time during Prime Minister's Questions, Miliband could display authentic anger without fear of retribution from News International.
»One of his private objectives when he became leader was at some point to challenge the debased media culture in Britain. Suddenly his objective becomes public and he will not be torn apart by The Sun this morning or the News of the World on Sunday. It is impossible to overestimate the degree to which, until this week, Murdoch's newspapers were stifling the voice of another scared party leader.
»In supporting a full public inquiry, Cameron also went much further than he has done, even if he could not quite sever all ties with a company that has delivered overwhelming support and some friends. For a prime minister to signal distance when he is receiving supportive coverage is as significant as Miliband's more strident onslaught.
»The novelty of this transformed choreography takes the breath away. Senior figures in both the bigger parties are used to paying homage. As a BBC political correspondent, I was the only journalist who travelled with Tony Blair in July 1995 for his famous meeting with Rupert Murdoch at a conference in Australia. The investment of political and physical energy was staggering. Murdoch issued an invitation at relatively short notice to Blair, a summons that could not be ignored. Blair, Alastair Campbell and Anji Hunter dropped all plans, flew for 24 hours, taking sleeping pills to manage the jet lag, attended the conference and returned in time for Prime Minister's Questions.
»There was no formal deal between the future prime minister and the mighty media emperor during that fleeting round-the-world trip, but I was certain by the end of it that at the very least The Sun would be neutral and Murdoch could relax about future media ownership laws. Subsequently Campbell's deputy in No 10, Lance Price, described Murdoch as the third most powerful figure in the Labour government after Blair and Gordon Brown. Murdoch's editors were the equivalent of powerful apparatchiks in a dictatorship.»
C’est-à-dire que Murdoch a dominé les élites politiques britanniques, pour, notamment, encourager leurs orientations vers la politique qu’on qualifierait d’interventionniste humanitariste, ou bien de néo-colonialiste, etc. De même, à Washington, où Murdoch règne en maître, ou “régnait”, puisque, là aussi, ses groupes qui assuraient le rôle de courroies de transmission de son influence ne cessent de perdre du terrain : si les néoconservateurs ont pu vivre et répandre leur influence depuis le début des années 1990, notamment avec l’hebdomadaire The Weekly Standard et l’
D’une certaine façon, son succès capitaliste, sa puissance d’influence construite sur l’argent de ses profits capitalistes, semblaient conférer à Murdoch une sorte de légitimité qui serait celle de la démocratie rénovée, retapée, réadaptée aux normes clinquantes de l’époque, une légitimité presque souveraine, même si c’est à la sauce postmoderniste. Nous hésitons à peine sur l’emploi de ces mots qui semble d’habitude si étranger à une telle bassesse, à l’interférence clownesque à force d’impudence de l’argent, – nous hésitons à peine parce que, depuis les années 1989 et à toute vapeur après la chute de l’URSS et du communisme, s’est bâtie une sorte de légende à l’effluve assez forte pour subvertir absolument ce qu’il nous restait de psychologie non encore gagnée par la désintégration déstructurante de la course de notre contre-civilisation vers son abîme.
…Il suffirait de s’arrêter à l’une ou l’autre phrase, comme à un symbole d’autant plus significatif qu’elle est souvent écrite par inadvertance, pour comprendre avec quelle impunité ces gens ont, pendant près de deux décennies, manié la corruption, l’influence grossière, l’interférence dans toutes les affaires possibles, enfin l’illégalité à ciel ouvert et sans la moindre hésitation. Par exemple, cette remarque dans l’article du Guardian du 8 juillet 2009, déjà référencé : Consultés sur la possibilité de ces interférences illégales dans des boîtes de messagerie de portables, les cadres de NoTW avaient répondu, – et nous soulignons en gras le détail qui nous intéresse :«The extent of their personal knowledge, if any, is not clear: the News of the World has always insisted that it would not break the law and would use subterfuge only if essential in the public interest.»
Ainsi est-il acté que NoTW et ses journalistes, dito Rupert Murdoch, agissent en fonction de l’intérêt public, disons du “bien public”, quasiment investis d’une fonction régalienne, qu’ils semblent être à même, eux-mêmes, d’apprécier, comment dirait-on, – souverainement ? Il n’y a pas que du mensonge ironique et du n’importe quoi mensonger dans cette remarque, mais aussi une touche d’un virtualisme assez puissant pour nous offrir une soudaine ascension de l’esprit faussaire jusqu’au sublime ; quelque part dissimulé dans l’environnement douillet de leur cortex, il y a la conviction qu’effectivement une telle puissance d’argent, une telle puissance d’activisme de communication, une telle puissance si intimement acoquinée au Système, ne peut que ressortir d’une vertu qui se nomme, en langage postmoderne, “bien public”. La référence étant l’amoncellement de profit et l’impunité de la puissance, l’investissement du pouvoir par les forces du “chaos créateur”, il va sans dire que nous aurions ainsi, émergeant du chaos et émargeant au chaos, une nouvelle définition de ce qui est le “bien public”. Amen
…D’un autre côté, l’on dira, sans crainte d’exagérer le fait, qu’il y a eu, dans l’activité de Murdoch, de son groupe de presse, du NoTW, une trajectoire bien identifiable qui conduit au jugement d’une fragilisation constante qui semble se développer parallèlement à l’accumulation incessante de puissance avec le sens de l’impunité, l’attitude impudente qui vont avec. Ceci explique cela, sans doute, cette exaspération extraordinaire de la puissance et de l’influence, accompagnée de l’accroissement géométrique, et complètement et paradoxalement imperceptible, de la fragilité. Le destin de Murdoch et de sa puissance seraient donc conformes à l’équation désormais fameuse du Système : le développement de la surpuissance accompagné, parallèlement, du développement de la fatalité de l’autodestruction.
Murdoch et sa bande semblent indestructibles, comme tant d’autres, comme le Système par conséquent. Ils représentent presque idéalement l’archétype du succès conformé aux canons du Système, le succès modelé selon les canons du Système. Ils évoluent dans un univers complètement désincarné parce que déstructuré, débarrassé de ces vieilles barbes que sont le “bien public”, la légitimité régalienne, le pouvoir politique, etc. Seules font foi de légitimité régalienne l’accumulation de puissance, de profit, d’arrogance corporate, et la réputation née de l’accumulation de moyens de la puissance. Même l’illégalité, inévitable dans le maniement de telles puissances, lorsque jouent à plein les règles de l’écrasement de la concurrence, de la recherche du monopole, de la rentabilité et du profit, même l’illégalité ne leur fait pas peur : ils ont le chèque aussi rapide que l’argument cynique de leurs armées d’avocats, et ils peuvent faire confiance à leurs armées de ministres et de parlementaires, de chefs de la police, de magistrats, etc., pour faire les enquêtes sur leur compte aussi courtes et aussi peu curieuses que possible. Tout semble donc marcher comme sur des roulettes, jusqu’au jour où un détail insidieux, sorti de la narrative qu’ils ont eux-mêmes construite, les fait trébucher gravement, et soudain ébranle l’édifice, transforme les fissures en crevasses béantes, découvrant effectivement cette fragilité.
…Dans ce cas, on le comprend, comment ne pas s’exclamer sur ces invraisemblables fautes de “goût” qui les font soumettre au même traitement de l’espionnage médiatique qu’un ministre ou qu’un parlementaire, une petite fille assassinée, les victimes d’attentats terroristes, les proches des soldats morts dans la “guerre contre la Terreur” (tout cela, objet des révélations de ces derniers jours). Ce sont eux, Murdoch et sa bande, qui ont construit cette narrative de la Terreur, qu’ils ont complètement immergée dans un océan de sentimentalisme, et ils se font prendre dans une démarche qui fait bon marché de ce sentimentalisme, qui met en cause ce fondement complètement nécessaire de l’univers stéréotype qu’ils ont construit. Cette faute de “goût” est aussi leur perte du sens des réalités, fussent-elles, ces réalités, celles du virtualisme sur lequel repose leur action ; et même, encore plus, dès lors que cette construction virtualiste a l’importance et la puissance qu’on sait, pour justifier et magnifier toute la politique dont Rupert Murdoch est l’inspirateur, la mesure nécessaire est bien entendu que ses règles soient respectées. En traitant avec un si complet sans-gêne des héros de l’aventure virtualiste, Murdoch et sa bande ont montré leur extrême fragilité qui réside dans leur inconscience des enjeux et leur inconsistance de caractère.
Par ailleurs, et ceci participant largement, et peut-être décisivement, à l’explication de cela, cette fragilité est parfaitement dans l’air du temps. Partout, les constructions virtualistes mises en place depuis le 11 septembre 2001 se fissurent et se désagrègent de l’intérieur. On dirait que toutes ces entreprises de désagrégation des structures en place, qui se sont installées dans la plus complète impunité dans ces espaces conquis par le pourrissement, sont aujourd’hui elles-mêmes victimes d’une désagrégation semblable. La dynamique enclenchée pour miner la puissance d’influence de Murdoch et de sa bande est justement comparée à la dynamique en cours dans les pays arabes, qui ne cesse d’accentuer le désordre au sein d’une organisation qui s’insérait si parfaitement dans la dynamique de puissance du Système, jusqu’à “libérer” paradoxalement ceux qui furent ses créatures, et qui n’assurèrent leur puissance qu’en se conformant au diktat de cette puissance : «The tyrants lose their swagger and those that lived in fear dare to speak out. The dynamics of the News International saga are similar to the ones that shape the fall of dictatorial regimes, except in this case it is some mighty media executives who are suddenly fearful and the politicians who are liberated…»
Il n’est surtout pas temps de parler de morale, de justice et ainsi de suite, et d’attendre qu’un bon coup de torchon du côté de Murdoch va nous ramener aux lendemains qui chantent… Ces mots, – morale, justice, – n’ont plus cours, ils n’ont aucun sens, s’ils en eurent jamais d’ailleurs, – tant on peut les soupçonner d’avoir joué complaisamment le jeu du Système, comme autant de faux nez et de vrais masques. Murdoch et sa bande ont entamé le processus de la Chute, qui n’implique nullement la banqueroute, la faillite, mais plutôt la perte de la respectabilité-Système, dans un univers-Système qui fonctionne en complet accord conformiste avec cette respectabilité. L’aventure en trajectoire de chute en plein développement de Murdoch et de sa bande nous dit que le Système fonctionne donc plus que jamais sur la voie de son autodestruction. Dans telle affaire (DSK), il parvient à discréditer, en un seul souffle, tous les acteurs et partenaires qui renvoient tous au Système, – DSK, les adversaires de DSK, les amis de DSK. C’est un peu le même cas dans cette affaire “Murdoch et sa bande”. La monstruosité de l’empire Murdoch est mise à jour, et son influence d’autant plus discréditée, en même temps que sont discrédités la classe politique britannique, qui a vécu de ses prébendes, l’establishment anglo-saxon, qui s’est appuyé sur ses moyens de communication et d’influence pour construire la narrative sur la guerre contre la Terreur, et ainsi de suite… Les règlements de compte sans fin à l’intérieur du Système se poursuivent, et, avec eux, la déconstruction de la chose.