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9877 novembre 2008 — Les marchés servent-ils à quelque chose? Cette fois, dans tous les cas pour cette fois par l'effet politique et psychologique direct, sans aucun doute, – par la rapidité avec laquelle les réactions des marchés ramènent l’attention de l’interprétation médiatique du monde de l’élection d’Obama à la situation économique. CNN.News, parmi d’autres, nous indique cela avec cette nouvelle du jour, publiée le 6 novembre aux USA, dont les premières lignes suffisent pour notre propos, sans chercher d’autres considérations économiques:
«Japan's Nikkei Index dropped more than 6.6 percent in early trading Friday after a second dismal day in a row on Wall Street. The Dow Jones Industrial Average has lost 929 points – 9.7 percent – in two days of trading since Tuesday, as investors turned from the historic election of Barack Obama as U.S president to the gloomy economy he will inherit when he takes office in January. […] The Dow fell 4.9 percent Thursday, while the Standard & Poor's 500 index dropped 5 percent and the Nasdaq composite declined by 4.3 percent.
»“Everything is so dismal right now, It's just an endless flow of bad news and no one wants to buy,” said Dave Rovelli, managing director of U.S. equity trading at Canaccord Adams. Rovelli said that the steady stream of bad economic reports and weak corporate earnings and forecasts was taking its toll. In particular, the number of companies announcing layoffs was unnerving investors, especially ahead of Friday's big monthly jobs report. October retail sales from the nation's chain stores were mostly abysmal, with some discounters such as Wal-Mart Stores escaping the fray. The housing market collapse, credit crunch and strained labor market have all taken their toll on consumers' wallets. Even the recent retreat in oil and gas prices has not had much of a positive impact on consumer spending.»
Ce brutal “retour au réel” est un retour à une réalité tout aussi artificielle, ou plutôt tout aussi temporaire en un sens, que la réalité étrangement jubilatoire de l’élection d’Obama, – à cet égard, les hauts et les bas du marché n’ont certes guère plus de substance. Mais les pressions des forces en présence nous conduisent à proposer une hiérarchie dans ces temporalités successives. Manifestement, l’équipe Obama est fortement impressionnée par cette hiérarchie et, elle aussi, abandonne la jubilation de l’élection pour l’urgence de la crise. En un sens, elle ne peut faire autrement; en un sens, elle reconnaît que l’élection n’a rien maîtrisé, n’a rien changé, qu’elle n’est qu’un épiphénomène et qu’un “retour à la normale” s’effectue déjà en retrouvant les pressions terribles de la crise qui ont marqué l’essentiel de la campagne. Ce “retour à la normale” est aussi, selon l’expression consacrée, une sorte de “Back to the Future” en ce sens qu’il conduit à apprécier à nouveau les perspectives de crise de la situation courante après avoir ressenti l’exaltation extrême d’une victoire “historique” qui ressemble surtout à une évasion momentanée, et aussi courte qu’elle fut intense, de la réalité historique.
Les notes publiées hier sur son site The Washington Note par Steve Clemons sont particulièrement intéressantes. Clemons est un homme très bien informé du milieu politique washingtonien, un centriste réaliste dans l ‘échiquier washingtonien, suffisamment indépendant pour ne pas être partisan, avec des tendances plutôt républicaines mais qui a soutenu Obama pour ce qu’il distinguait dans son équipe de professionnalisme et de capacités de changement. Ses notes, dont nous publions un extrait, sont concentrées sur la nomination prochaine d’un secrétaire au trésor, poste-pivot avec celui de secrétaire à la défense pour indiquer la volonté, ou la capacité de changement d’une présidence Obama. Ce choix et son importance indiquent également le caractère exceptionnel de la circonstance. (Sur CNN.News encore, ce même 6 novembre, ce commentaire qui implique l’importance accordée à la situation intérieure par rapport à la politique étrangère, au moins au même niveau sinon plus haute: «“This is one of the first times that I can remember that the secretary of the treasury is going to be almost as important as the secretary of state,” said CNN senior political analyst David Gergen, who served in the Reagan and Clinton administrations.»)
Clemons cite les noms que tout le monde cite, – Lawrence Summers, inspiré par Robert Rubin, et d’autres favoris, surtout le président de la Federal Reserve de New York, Timothy Geithner. Clemons se concentre sur ces deux noms: Summers, pour marquer une continuité avec les présidences Clinton et GW Bush, Summers qui fut un de ceux qui établirent les structures et les conditions financières qui s’effondrent depuis le 15 septembre (sa nomination serait la fable de l’incendiaire appelé à diriger les pompiers pour éteindre l’incendie); Geithner, qui, selon Clemons, est le plus apte à installer une orientation nouvelle impliquant un interventionnisme public marqué («Tim Geithner who is the smartest, most unassuming financial markets technician among the lot. Geithner is probably the closest thing we have to a modern version of John Maynard Keynes.»)
On sent chez Clemons une grande appréhension, l’amorce d’un désenchantement, bien rapide dans la séquence, aussi rapide que son enthousiasme contenu né pour Obama, – décidément, les choses vont aussi vite que l’électronique pour transmettre les ordres de vente à la Bourse. D’où sa crainte déjà exprimée: la présidence Obama-I (ce qui implique que nous en sommes déjà en 2012, nous interrogeant sur un deuxième mandat Obama!) ne serait-elle qu’une resucée de ce qui a précédé, un peu de Clinton et un peu de GW, c’est-à-dire un mélange des deux réduisant Obama-I à Clinton-III + GW-III? «Will Obama's First Term Really Just be a Hybrid of Clinton III and GW Bush III?»
La conclusion de Clemons:
«I spoke to one of the world's leading, successful financiers Tuesday night who told me he prefers Summers to Geithner at Treasury. But I countered that Larry Summers will probably continue his work as one of Bob Rubin's chief acolytes – and Rubinism is one of the chief reasons that this economy has been trampling the Middle Class and labor in favor of the super-wealthy financial elite. This financier told me that Rubin and Summers are quite different in fact but few knew of the tensions between them. I told him I'd love to hear more about that as it could help me appreciate Summers more than I do now.
»I will keep an open mind, but we are beginning to see trends that if Obama does bring back Summers – and possibly keeps Gates at Defense – that he is not ready to make the first term of an Obama administration about the new great leaps forward we need. He may be crafting a hybrid of Bill Clinton and George W. Bush holdovers.
»Indeed, there is a chance that Obama I could turn out to be GW Bush III & Clinton III.»
La grande question est (ou plutôt “était”) de savoir si Obama mènera(it) les événements ou s’il sera(it) mené par eux. Nous avons déjà un début de réponse, vraiment très vite, – et ce rythme indique vers où tend la réponse. Ce rythme même est celui des événements, indication convaincante que les événements reprennent le dessus, s’ils ont jamais abdiqué à cet égard, – et les évènements, à cet égard et considérant leur importance, ne sont rien d’autre que l’Histoire. Le risque d’ores et déjà palpable est que le fantastique épisode de l’élection d’Obama, cet épisode-éclair qu’un Engelhardt lui-même considérait avec stupéfaction au matin du 5 novembre, n’apparaisse que comme un épiphénomène colossal, une incursion dans une folle ivresse virtualiste, d’une puissance inouïe et aussitôt disparue, avec une vitesse inouïe. Engelhardt lui-même, signe qu’il a compris intuitivement la chose, nous le disait à la fin de son rapport sur le “juggernaut” Obama: «It's worth keeping in mind that Barack Obama is but a man.»
D’un côté, on se dit qu’Obama ne peut faire autrement qu’aller très vite en se plongeant dans la situation tragique pour tenter d'en saisir les fils, d’autant qu’il y est impliqué depuis le 25 septembre, presque installé au commandement à côté de l’erratique GW. D’un autre côté, on se dit qu’à agir de la sorte, il ne fait rien d’autre que de se constituer lui-même prisonnier “de la situation”, des événements, de leur rythme et de leur puissance. Peut-être cette vaste intelligence qu’est Obama n’a-t-elle rien saisi de la substance de la situation, si elle semble avoir compris ses apparences techniques? La vastitude de l’intelligence instruite dans les rets du système implique-t-elle l’impuissance ou la disparition, ou la perversion de l’intuition? Obama ne sait sans doute rien de la leçon de FDR (Roosevelt) avec son élection de novembre 1932: refuser de coopérer avec Hoover (président en fonction, battu pour sa réélection) après son élection, prendre le risque inouï de continuer à voir l’Amérique s’effondrer, mais assurer pour sa prise de pouvoir de mars 1933 la possibilité d’une rupture psychologique formidable, – et la chose, cette “rupture psychologique”, marcha effectivement, avec le résultat psychologique qu’on sait…
Un autre point de vue est nécessaire. Obama peut-il faire autrement que ce qu’il fait, c’est-à-dire coopérer, s’impliquer dans un pouvoir qui est celui du système, celui de Bush et de son incompétence par conséquent? On en doute grandement. Prenons le cas de Gates. Comme l’observe Clemons, conserver Gates c’est contribuer à affirmer la pérennité du système et de la situation, donc effectivement avancer d’un pas vers une présidence Obama-I comme resucée, pour ce cas, de GW-III. D’autre part, Gates entra dans l’administration GW pour contenir les folies de GW et son travail au Pentagone le désignerait comme le mieux placé pour tenter de contenir la folie, centrale au système celle-là, du déchaînement bureaucratique de la chose.
(Il y a d’ailleurs, chez la plupart des commentateurs et des hommes politiques une ignorance de la profondeur et de l’aspect menaçant de cette crise, d’où la difficulté d’apprécier exactement l’efficacité éventuelle d’un Gates dans la position qu’il occupe; c’est une efficacité très relative, qui, pour l’instant dans tous les cas, n’a contenu en rien l’élargissement et l’approfondissement de la crise du Pentagone. Tout juste pourrait-on dire, – mais ce ne serait déjà pas si mal, – qu’un Gates serait à même d’aider Obama à identifier les réelles dimensions de la crise du Pentagone.)
On ne peut trancher dans cet imbroglio parce que c’est celui du système et qu’ils y sont tous jusqu’au cou, Obama comme les autres. Le choix entre rompre tactiquement avec le système et rester complètement dans le système n’existe plus guère. En d’autres mots et malgré les apparences, la situation de 2008 est notablement plus grave que celle de 1932, dans la mesure de la difficulté extrême de se sortir des normes du système (même pour le sauver malgré lui, comme ce fut le cas de FDR).
Bien sûr, nous ne parlons que des options offertes aux acteurs du système pour faire évoluer éventuellement une politique réformiste en un temps de crise, sans rompre complètement avec le système ni rompre le système. Nous ne parlons pas de l’“option nucléaire”, type-Gorbatchev, de rompre stratégiquement avec le système. Il s’agit d’une autre perspective, d’une perspective de substance différente, dont absolument rien ne peut permettre de distinguer la moindre annonce d’existence pour l’instant. L’absence d’option intermédiaire (la “rupture tactique” avec le système) n’en réduit pas la possibilité, nous serions même tentés de juger du contraire, – puisqu’il n’existe aucune possibilité de réduire la tension due à la crise du système, comme FDR fit en 1933. De toutes les façons, cette option extrême ne pourrait survenir, à notre sens, que d’une façon accidentelle et d’une façon inattendue, dans tous les cas d’une façon imprévisible.
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