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152727 septembre 2008 — La “crise” a explosé, proche de semer la panique. La puissance publique, découvrant qu’elle existe encore, a réagi, créant et confirmant ce que le professeur Roubini (pas Houdini), surnommé “Dr. Doom” parce qu’il avait prédit le désastre, qualifiait ainsi le 18 septembre: «With the nationalisation of Fannie and Freddie, comrades Bush, Paulson and Bernanke started transforming the US into the USSRA (United Socialist State Republic of America).» Puis la “crise” s’est transformée en ajoutant à ses agitations initiales l’embourbement catastrophique du monde politique washingtonien. Le 25 septembre est venue, du côté français et du côté allemand, une déclaration de guerre contre le capitalisme tel que nous le connaissons. Cela fait deux semaines depuis le début de la semaine du 15 septembre, de plus en plus observée comme le “9/11 de la finance américaniste”, qui pourrait être finalement et plus simplement le “9/11 du capitalisme”, – avant de lui trouver d’autres vertus cardinales.
Tout se passe comme si l’horreur gigantesque de cette crise avait libéré tant de rancoeurs, de colères contenues. C’est ce phénomène que nous tentions de décrire le 20 septembre sous le titre: «La crise a tué le diktat». Les barrières du conformisme ont cédé sous la violence du choc de la “crise” et déclenché un déferlement de condamnations et de mises en cause, jusqu’à la tribune de l’ONU. Il n’est de signe plus assuré que la bataille a effectivement atteint son champ le plus ouvert et son paroxysme que la réaction du croisé du “laisse-faire”, les deux éditoriaux, coup sur coup, le 26 septembre («In praise of free markets») et le 27 septembre («End of laisser faire?»), du Financial Times (FT).
Désormais, l’organe qui est par excellence la voix et l’essence du capitalisme du “laisser faire” se bat le dos au mur. Il s’est retranché sur sa dernière ligne de défense et en appelle à l’Histoire, à la Raison, à l’expérience. Il est churchillien, du Churchill de juillet 1940 qui proclamait: “il n’en reste qu’un et l’Angleterre sera celui-là”. Il est prêt à une nouvelle Bataille d’Angleterre, prêt à se battre jusqu’au dernier principe. (Paraphrasant le même Churchill du début de l’automne 1940 rendant hommage aux pilotes du Fighter Command de la RAF, Robert Reich décrit joliment, le 26 septembre, l’opération Paulson pour sauver ce qui peut encore l’être: «Never before in the history of US capitalism had so much been asked of so many for, at least in the first instance, so few.»)
Le FT, le 26 septembre: «Market freedom is not a “fundamentalist religion”. It is a mechanism, not an ideology, and one that has proved its value again and again over the past 200 years. The Financial Times is proud to defend it – even today.»
Le FT, le 27 septembre: «But that does not mean financial capitalism is itself dead or that Mr Sarkozy, dirigiste by nature, should be seen as an impartial commentator. The French state’s role in the economy was hardly waning in the run-up to the credit crunch: the country’s budget deficit is again set to bust its Maastricht limits.
»We have been here before. F. Scott Fitzgerald described the 1929 crash as “the most expensive orgy in history”. Yet, two years later, his belt pulled tight, Mr Fitzgerald felt nostalgic for the Jazz Age when people lived with the “insouciance of Grand Dukes and the morality of call girls”. It was 50 years before financial capitalism fully returned. The doctrine of laisser faire has survived worse and will again.»
Evidemment, la Grande Dépression est sous toutes les plumes. Nous y sommes, et bien au-delà, – nul n’en doute plus.
On remarquera, car c’est là aussi que nous voulons en venir, que le FT churchillien a instinctivement désigné son adversaire prvilégié, sorte d’Hitler anti-capitaliste menaçant la vertueuse Angleterre churchillienne: «Mr Sarkozy, dirigiste by nature». Le discours de Toulon, le 25 septembre, a fortement marqué les esprits, d’autant qu’il est soutenu par une attaque dans le même sens d’une puissance inouïe par l’Allemand (l’Allemande en l’occurrence et en toute outrecuidance par rapport à l’“ami américain”). Le FT retrouve le cauchemar anglais: l’union des deux puissances principales du continent; une sorte de renaissance du couple maudit Hitler-Pétain, mais, cette fois, avec l’Histoire renversée et ironique, avec l’ombre de De Gaulle réincarné en “ennemi héréditaire”, qui soutient la chose avec un ricanement d’outre-tombe, à-la-Chateaubriant. (Quoique, pas de surprise... Chacun sait que de Gaulle étant à Londres, il n’y avait de pire ennemi par instant pour Churchill, et que «the great Frenchman», comme Anthony Eden disait admirativement de lui, tenait, sur la perspective historique, les Anglo-Saxons comme pas loin d’être autant les ennemis de la France que la folie hilérienne ravageant le continent, et cette folie-là promise à périr rapidement au contraire de l'autre.)
Les clichés historiques se bousculent. Ce n’est certes que de l’imagerie, de l’approximation dérisoire, mais cela rend compte justement de ce phénomène classique des moments paroxystiques. Les masques tombent et chacun retrouve sa nature profonde, si fortement contrainte par une époque marquée par les chaînes d’un conformisme comme nous n’en connaissons aucun précédent dans l’Histoire, fût-ce du temps de l’Eglise triomphante du Moyen-Âge, fût-ce du temps des “Lumières” grosses de la Révolution et éclairant tous les salons du monde, fût-ce du temps de l’hypocrisie bourgeoise régnante et disséquée par Flaubert, fût-ce du temps de la vulgate marxiste tenant le haut du pavé. Le “9/11 de la finance” est moins dans le sens de la finance ou du capitalisme mis en cause, bien que cela soit le cas, que dans le sens de la mise en cause de la chape du conformisme qui nous écrase depuis le 9/11 premier du nom; 9/11 pour 9/11, le second agit comme un contre-feu, pour libérer la psychologie de ces contraintes terrifiantes qu’on croyait définitivement verrouillées par le premier.
Il est évident que le discours de Sarkozy a touché un nerf capital, dans tous les cas au FT, et déclenché une fureur épouvantable quoique dissimulée dans ses excès, parce qu’on sait se tenir. Le Financial Times a toujours entretenu vis-à-vis du président français, salué presque unanimement comme l’architecte de la transformation de l’irrédentisme français selon les canons du laisser faire, cette suspicion dont il ne peut se débarrasser à l’encontre de tout ce qui est français. On peut penser aujourd’hui qu’il avait vu juste. C’est moins Sarkozy qui a réagi le 25 septembre, que l’irrédentisme français, «dirigiste by nature». C’est bien un affrontement de nature.
Il n’est pas assuré que Sarko ait été heureux, dans l’instant, du bouleversement auquel l’Histoire le contraint. (Il n’est pas assuré non plus qu’il en ait été conscient, – somme toute, nous préférons cette appréciation, et de loin, parce qu’elle sonne tellement plus vrai.) Le chevalier blanc qui allait transformer la France en un fleuron néolibéral s’est mué en chevalier tout aussi blanc déchaînant l’affirmation contre-offensive de la fureur française, dirigiste, colbertiste, contre ceux qui ont installé le plus formidable foutoir que l’Histoire ait jamais pu mettre en scène. “I told you so”, comme ils ont tous dit, à-la-française, à la tribune des Nations Unies transformée en tribunal du capitalisme et de l’américanisme. Qu’importe, on connaît la mécanique sarkozienne. La cause importe moins que l’énergie qu’elle permet de déployer; la pensée n’est jamais qu’un faire valoir de l’action. Puisque l’Histoire a tranché, Sarko s’aligne. Puis il fonce. Il y mettra autant de rage qu’il en mit à proclamer le changement dans le sens néolibéral.
Il faut reconnaître à ce discours du 25 septembre, qui n’est pas sublime dans la forme, qui n’a rien de Chateaubriant, qu’il ratisse large comme on dit. Ce n’est pas la moindre de ses vertus et là aussi le masque tombe. Le discours trace, au travers de tel et tel passages, un lien direct entre la dénonciation du capitalisme (qui n’est pas la dénonciation du capitalisme puisque le capitalisme actuel, US, est désigné comme une aberration du capitalisme et qu’on reste “capitaliste-vertueux”) et la crise climatique. La force de l’évidence et les contraintes de l’Histoire, dont Sarko est à cette occasion un bon serviteur “maistrien”, conduisent effectivement à tracer ce lien entre la dénonciation du système dont on nous dit qu’il «était une idée folle» (l’emploi de l’imparfait est intéressant, et aussi le terme pathologique) et l’avertissement pressant à propos de la crise climatique. Il faut être aveugle pour ne pas distinguer ce qu’on n’a pas nécessairement voulu y mettre: que ce lien est directement de cause à effet et qu’ainsi la mise en cause du système est générale et substantielle, le système étant désigné comme cause centrale. Les dimensions eschatologiques de la crise systémique générale qui a acquis toute sa puissance à Wall Street sont ainsi tracées.
Dixit Sarko: «Dire la vérité aux Français, c’est leur dire que nous passons d’un monde d’abondance à un monde de rareté. C’est-à-dire d’un monde où l’on utilisait les ressources naturelles comme si elles étaient inépuisables à un monde où l’épuisement à venir des ressources naturelles sera une préoccupation de tous les jours. [...]
»La pollution et le réchauffement climatique menacent l’avenir de la planète. Chacun va devoir faire des efforts, changer de comportement pour polluer moins.
»Si l’on ne veut pas que des catastrophes écologiques débouchent sur des déplacements massifs de populations et des catastrophes humaines et politiques, si l’on veut éviter la violence qu’engendrerait fatalement le manque d’eau et de terres cultivables, alors il faut que chacun assume les conséquences de ses choix, il faut que chacun supporte les coûts de ses décisions et paye le juste prix de ce qu’il consomme.»
Sarko est-il touché par la tragédie? Peut-être, même s’il lui manque le verbe à mesure. Le discours est, dans le rythme et le détail, plus celui d’une ménagère effrayée mais consciente et résolue que celui d’un Shakespeare décrivant d’un rythme tonitruant et dans une langue débordante de substance la tragédie de l’histoire du monde. Qu’importe, puisque le monstre est identifié; d’ailleurs, il est avéré dans ces temps étranges que la ménagère a plus de bon sens à elle seule que mille traders de Lehman Brothers & compagnie, – ou ce qu’il en reste.
Bienvenu à bord, moussaillon.
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