BHO et le pouvoir, “une énigme, enrobée de mystère ...”

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BHO et le pouvoir, “une énigme, enrobée de mystère ...”

... Ce que nous voulons dire par ce “Obama et le pouvoir” en rappelant la fameuse phrase de Churchill aux traductions innombrables à propos du pouvoir soviétique (choisissons “une énigme, enrobée de mystère, cachée dans un secret”), c'est l’hypothèse qu’il faut différencier le président US de son entourage, et de la politique indigne des USA, qui est justement le fruit de cet entourage. Le complément de cette hypothèse est la suggestion qu’Obama voudrait peut-être se libérer de ces entraves, notamment pour pouvoir traiter d’une façon constructive et civilisée avec Vladimir Poutine, contre l’avis de la plupart de ses conseillers, – dont certains, finalement, suivent une politique complètement indépendante du président, c’est-à-dire complètement hors de son contrôle.

• C’est l’avis en général de Robert Parry, de ConsortiumNews. Sur son site, Parry ne ménage pas des attaques contre les tenants de la politique-Système, neocons et R2P, et il n’est pas le dernier à dénoncer furieusement la politique ukrainienne des USA, et en général la politique ukrainienne du bloc BAO. Il document parfaitement la vérité de la situation en Ukraine, constitue une des sources les plus précises et les plus incisives sur les extraordinaires distorsions de la presse-Système US, particulièrement le New York Times. Parry fait vraiment un travail magnifique dans le sens de la mise à nu des impostures diverses et autres manœuvres du bloc BAO dans cette crise ukrainiennes... Mais il a gardé une secrète tendresse pour Obama, qu’il a toujours considéré comme intrinsèquement hostile à la politique-Système héritée de GW Bush et directement inspirée par le Système. Il croit qu’Obama tente, désespérément, depuis des années, de parvenir à une politique d’entente avec Poutine. (On sait qu’il y a eu des indications précises dans ce sens [voir le 27 mars 2012] mais on comprend également, considérant ce qui a suivi ou plutôt ce qui n’a pas suivi, qu’elles relèvent de l’anecdotique.) Dans son article du 8 mai 2014, Parry développe la thèse qu’il y a malgré tout une secrète entente entre Obama et Poutine, et que cette entente s’exprime notamment par la dernière initiative de Poutine, le “gambit-Poutine”... Ainsi Parry explique-t-il la partie que se jouerait actuellement, après le “gambit-Poutine”, avec Washington violemment opposé au président russe, y compris dans cette instance, et Obama secrètement sollicité, et ouvert à cela, d’y répondre d’une façon ou l’autre.

«Official Washington’s shock and disbelief at Russian President Vladimir Putin’s calming words about Ukraine reveal more about the widening chasm between real-world nuances and the U.S. political/media elite’s hysteria than any dramatic shift in course by Putin.

»I’m told that what Putin is doing – in urging ethnic Russians in east Ukraine to put off a referendum on possible secession and agreeing to pull Russian troops back from the border – is part of a behind-the-scenes initiative coordinated with President Barack Obama to prevent the Ukraine crisis from spinning further out of control. On the American side, this also appears to be the latest example of Obama’s extraordinary way of conducting foreign policy, often at odds with his own State Department bureaucracy and relying on White House insiders and CIA analysts to counter the belligerence often exhibited by Obama’s two secretaries of state, Hillary Clinton and John Kerry. [...]

»The demonization of Putin in the U.S. news media was so total that virtually anything could be said or written about him and anyone who objected to the “group think” was immediately dismissed as a “Putin apologist” or a conveyor of “Russian propaganda.” Because of this endless vilification, Official Washington couldn’t see straight when it came to what Putin actually wanted. Amid the waves of U.S. propaganda, the State Department and the mainstream U.S. media promoted wild speculation about Putin planning to seize large sections of Ukraine and even reach into Moldova, if not the Baltic states. [...]

»But Putin’s conciliatory words appear to have another audience, as a signal to Obama that – despite all the acrimony over Ukraine – Russia is willing again to play its helpful role in reducing tensions in the Middle East and possibly elsewhere. If so, it is now up to Obama to decide what to do about his fractured foreign policy apparatus, now that he has seen additional evidence about the risk of having a State Department operating outside presidential control.»

• Une autre occurrence sérieuse où l’on retrouve cette même façon de voir, d’une certaine façon dans tous les cas, vient du groupe Veteran Intelligence Professionals for Sanity (VIPS), regroupant un certain nombre d’anciens officiers de divers services de renseignement, et il s’agit d’une association qui réclame l’intégrité et l’indépendance, hors de toute pression politique, du travail d’analyse des services de renseignement US. Le VIPS est honorablement connu aux USA et représente sans aucun doute une force d’influence d’excellente valeur qualitative, mais malheureusement sans le poids quantitatif de la pression des groupes-Système habituels. Ces adversaires déclarés de la politique-Système ont fait parvenir au président (voir ConsortiumNews le 4 mai 2014) un mémorandum conseillant de rechercher un sommet entre Obama et Poutine pour tenter de régler diplomatiquement et raisonnablement la crise ukrainienne.

Cette initiative a été accompagnée notamment d’une interview d’un des membres du VIPS, Larry Johnson, ancien officier de la CIA puis du département d’État, par Russia Today le 7 mai 2014. L’interview est intéressante parce que Johnson revient implicitement sur la position isolée du président, au milieu de groupes de conseillers qui sont tous partisans de la politique-Système actuellement suivie en Ukraine. C’est une autre façon de traiter le même thème que celui qu’aborde Robert Parry.

Russia Today : «Have you had any response from the US president's office yet?»

Larry Johnson: «Nothing, and I think they’re going to ignore us because this has a momentum of its own in the United States as far as the policy that the Obama administration is trying to pursue. I guess I’ll call it the agitators for conflict that are rife right now within the United States, unfortunately.»

Russia Today : «You say Obama should listen to people other than the likes of John Kerry. Why is this so important?»

Larry Johnson: «[...] ...But what I see now is, we really have entered a different period of history, and instead of accepting what’s new in the world, we’ve got a lot of folks in the United States, both Republicans and Democrats, who are trying to resurrect the language and the images of the Cold War and portray Russia today as the Soviet Union bound on world domination and that’s just nonsense. So what we’re trying to see is if we can help shift the debate and get a rational discussion about it.»

Russia Today : «How likely is it that Obama will follow your advice to disavow any wish to make Ukraine a member of NATO?»

Larry Johnson: «Candidly I think it’s unlikely. Unfortunately, President Barack Obama is such a weak person right now and he’s not thinking strategically; he really doesn’t have a clear understanding of what the interests of the United States are. So he’s trying to fend off political critics.

»Now there is a very strong element in the United States which is pushing for really almost a confrontation with Russia over Ukraine and they haven’t really thought through it. When they talk about arming the dissidents or arming folks opposing Russia in the Ukraine, they don’t appreciate the possibility of the escalation that that can create. So I think what you have is a situation in which President Obama is being hit from the right and he’s sort of stumbling on the left. It’s unfortunate...»

Considérant qu’on peut prendre au sérieux l’hypothèse des deux chroniqueurs autant que du VIPS, dans les deux cas quoique sous un angle différent, on a la même énigme de ce président qui “voudrait”, “aimerait bien”, etc., mais qui reste paralysé. Parry développe dans son article les causes et les circonstances qui ont fait qu’Obama s’est ainsi enfermé lui-même dans une cuirasse de conseillers et de groupes qui refusent absolument la politique qu’il voudrait prétendument faire. Ce faisant, Parry déduit que le pouvoir est complètement fragmenté à Washington, qu’il est fait de “centres de pouvoir” que même des ministres constituent sans réel souci, ni de la moindre “solidarité gouvernementale“ (inconnue au bataillon), ni même d’une ligne politique qui devrait logiquement (espère-t-on) venir du président et que le président n’ose pas exprimer à cause justement des pressions de ces mêmes “centres de pouvoir”. Sur sa lancée, Parry en arrive à citer l’ancien secrétaire à la défense Robert Gates qui, dans son livre de mémoires Duty, expose d’une plume placide :

«[Secretary of State] Clinton and I represented the only independent ‘power center’ [in the Obama administration’s national security decision-making], not least because, for very different reasons, we were both seen as “un-fireable”...»

Et Parry poursuit : «What was remarkable about Gates’s observation is that traditionally the President of the United States is considered the only “power center” that matters on foreign policy». Il ne prend même pas la peine de préciser, et l’on en vient à exprimer un doute là-dessus, qu’Obama devrait être le véritable “centre de puissance” en matière de politique extérieure, également parce que, «for very different reasons», il est considérés comme vraiment “impossible à licencier” ... On sent bien que Parry est malheureux de devoir faire cette sorte de remarques auxquelles son honnêteté le contraint, qui aboutissent finalement à la conclusion qu’Obama est le personnage le plus absent de l’administration Obama, notamment dans ce domaine de la politique extérieure. A cet égard, Johnson complète bien, c’est-à-dire cruellement, l’analyse de Parry lors qu’il parle de la personne même d’Obama : «such a weak person right now and he’s not thinking strategically; he really doesn’t have a clear understanding of what the interests of the United States are...». Et l’on complète nous-mêmes aussi bien la réponse à la question de savoir pourquoi Obama n’est finalement pas un “centre de pouvoir” : son “absence de l’administration Obama” renvoie simplement à son inexistence...

On dira que ces considérations ne sont pas exactement nouvelles. Nous avions, pour notre part et in illo tempore, jugé qu’Obama pouvait être un grand président seulement s’il acceptait d’être un “président de rupture”, un “American Gorbatchev”. Il n’a pas pu, ou bien il n’a pas voulu, ou bien encore il n’a pas imaginé qu’il lui aurait fallu vouloir et pouvoir, etc. Bien sûr, il y a, ressortie systématiquement par les cyniques, l’explication “marionnette” (de Wall Street, des neocons, du complexe militaro-industriel, de ce que l’on veut) ; c’est une explication nécessairement vrai en partie puisqu’il n’y a pas eu d’“American Gorbatchev”, puisque dans le pouvoir washingtonien dans sa phase de crise la plus aiguë, c'est-à-dire actuellement, si un président ne devient pas un “American Gorbatchev” il ne peut être qu’une marionnette. D’une certaine façon, cela devrait clore le débat, et même faire se demander pourquoi le débat a tout de même été rouvert (par Parry et le VIPS, – notamment ces derniers, les membres du VIPS, qui sont importants parce qu’ils représentent indirectement une fraction importante de la communauté du renseignement, inquiète de la présence de certains civils irresponsables et de tempérament hystérique à des postes de responsabilité).

C’est ici qu’il faut chercher une autre explication, où le poids de représentativité du VIPS a son importance. Il s’agit simplement de l’idée que le véritable problème de la crise ukrainienne se poserait finalement dans cette situation de la non-existence du président des États-Unis. Il s’agit d’en revenir à l’hypothèse déjà maintes fois évoquée que la crise ukrainienne, pour des raisons déjà maintes fois évoquées (voir notamment à partir du texte du 3 mars 2014), représente un risque formidable d’une montée de la tension-affrontement jusqu’à la possibilité d’un affrontement nucléaire. C’est évidemment à ce moment que pèsera de tout son poids cette hypothèque de l’inexistence du président, de l’absence de ce “centre de pouvoir”. C’est évidemment dans de telles conditions qu’on peut admettre que la crise ukrainienne est vraiment la porte ouverte sur toutes les aventures et sur toutes les catastrophes.

... Et encore une fois, et pour en terminer par l’aspect hypothétique le plus important, il n’est pas question de l’inéluctabilité d’un conflit nucléaire dans le cas évoqué, mais seulement du conflit nucléaire comme une possibilité parmi d’autres. Il est également question d’une autre possibilité d’une extrême importance. Si l’inexistence d’Obama se marque par tel ou tel acte, ou telle ou telle absence d’acte dans le cours de la phase de la crise ukrainienne montant aux extrêmes avec la possibilité concrétisée d’un conflit nucléaire, il est question alors d’une possibilité où sa position, sa légitimité, sa capacité à exercer la fonction de président seraient mises en question d’une façon radicale à cause de l’urgence de la situation. Une telle hypothèse pourrait alors ouvrir une crise institutionnelle gravissime aux USA, menaçant le fondement du pouvoir lui-même, avec des possibilités insurrectionnelles diverses, comme par exemple des réactions de la direction militaire qui reste la plus consciente d’une telle situation. (Ce serait pour le cas qu’on découvrirait qu’Obama n’est pas “un-fireable”.) On a rappelé encore récemment (le 5 mai 2014) qu’il y avait eu un cas proche d’une “révolte des généraux” : «La question de l’emploi du nucléaire aurait engendré une polémique gravissime où, selon Seymour Hersh en 2006, on fut proche d’une “révolte des généraux” passant par des démissions en masse au Pentagone, en 2006, lorsque l’administration GW Bush envisagea l’usage du nucléaire contre l’Iran...» Un tel cas peut se reproduire, en infiniment plus grave, parce que la Russie n’est pas l’Iran, et que la perspective n’est pas seulement l’emploi unilatéral du nucléaire.

 

Mis en ligne le 10 mai 2014 à 17H04