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164220 juin 2009 — La situation iranienne est-elle ce que certains (le vice-président Biden alors qu’il faisait campagne avec Obama) annonçaient comme l’inévitable test d’une crise de politique extérieure que les adversaires des USA réservent à tout nouveau président US jeune et inexpérimenté? Mais quels adversaires, précisément? Sans aucun doute, Biden ne songeait pas à l’Iran, et à la situation iranienne présente, lorsqu’il fit cette remarque, – et surtout pas au désordre iranien, comme l'“adversaire” qui ferait passer son test au président. D’une façon générale, on ne songeait pas non plus qu’en l’occurrence, BHO paraîtrait comme l’un des plus expérimentés.
Un article du New York Times ce 20 juin 2009 décrit la position du président US, son refus de prendre plus fermement et publiquement position vis-à-vis de la situation iranienne, évidemment en faveur des partisans de Mousavi, en contraste aussi bien avec le Congrès US qu’avec la prise de position de l’Union Européenne qui condamnent les violences en désignant de facto la direction iranienne comme responsable. Le même article, qui décrit la position d’Obama, juge que l’administration devrait la modifier si des événements graves se produisaient ce week-end en Iran.
«With Iran on a razor’s edge after a week of swelling protests, the Obama administration has fended off pressure from both parties to respond more forcefully to the disputed election there. But if Iranian authorities carry out their latest threat of a more sweeping crackdown, the White House would reconsider its carefully calibrated tone, officials said Friday.
»Administration officials said events this weekend in Tehran — when demonstrators plan to rally in defiance of the authorities — would be a telling indicator of whether President Obama would join European leaders and lawmakers on Capitol Hill in more harshly condemning the tactics of the Iranian government.»
Les phrases sont révélatrices. L’“ombre de Tien An men”, qui est l’une des références principales de la politique “droits de l’homme-démocratie”, qui est de plus en plus la ligne européenne, est décrite comme pesant aussi bien sur la situation iranienne que sur le président US lui-même. («The shadow of Tiananmen Square — in which Chinese tanks and troops crushed a flowering democracy movement in Beijing — has hung over the White House this week.») La préoccupation centrale d’Obama reste de tenter de ne pas compromettre sa politique d’arrangement avec l’Iran sur la question du nucléaire. («The administration still hopes to pursue diplomatic engagement with Iran on its nuclear program.»)
«In an interview with CBS News on Friday, Mr. Obama spoke cautiously about warnings by Iran’s supreme leader, Ayatollah Ali Khamenei, of bloodshed if the protests go on. “I’m very concerned, based on some of the tenor and tone of the statements that have been made, that the government of Iran recognize that the world is watching,” Mr. Obama said.
»Mr. Obama, officials said, was determined to react to events as they unfold, rather than make statements that might play well politically but hinder his longer-term foreign-policy goals. The administration still hopes to pursue diplomatic engagement with Iran on its nuclear program.
»Still, one senior official acknowledged that a bloody crackdown would scramble the administration’s calculations. The shadow of Tiananmen Square — in which Chinese tanks and troops crushed a flowering democracy movement in Beijing — has hung over the White House this week.»
Il faut également observer qu’une partie importante des experts de l’establishment continue à défendre la thèse de la nécessité, pour les USA, de ne pas intervenir dans le conflit, de ne pas prendre position de façon trop voyante. La prudence de BHO trouve un écho dans ce sens. Même une vieille barbe comme Henry Kissinger, qui soutint les aventures et les gesticulations interventionnistes du temps de Bush parce qu’il est toujours du côté du pouvoir, retrouve ses réflexes dits de realpolitik pour soutenir la position d’Obama. («Henry A. Kissinger, the former secretary of state, said on Fox News: “I think the president has handled this well. Anything that the United States says that puts us totally behind one of the contenders, behind Moussavi, would be a handicap for that person,” he said.») On trouve aussi, sans surprise, l’admiration de Ron Paul pour la politique du président.
Ces appréciations concernant la position et la diplomatie de BHO sont suscitées essentiellement par la perception d’une aggravation de la situation, ou, dans tous les cas, la perception de l’accentuation des blocages. La situation à cet égard est suivie notamment par Steve Clemons, sur The Washington Note, très engagé dans le soutien aux protestations et qui présente diverses communications venues d’Iran. L’une d’entre elles, ce 19 juin 2009, affirme que les partisans de Mousavi se constituent eux-mêmes en milices armées.
Il serait peut-être temps d’admettre qu’il se passe quelque chose en Iran, que ce quelque chose n’est pour l’instant sous le contrôle de personne quels que soient les vœux et les manigances des uns et des autres, que la principale menace actuelle est bien le désordre. Il est remarquable d’observer combien la position politique d’Obama, sans se référer aux intérêts nationaux et aux manigances dont le soupçon est évidemment constant, est proche aujourd’hui, du point de vue de la technique diplomatique et de l’orientation politique passive, de la position d’un Medvedev ou d’un Hu Jintao; combien elle contraste avec la position des dirigeants européens lorsqu’ils se réunissent à 27, en toute impuissance, et dans une certaine mesure, de celle du Congrès des Etats-Unis. Obama est-il, parmi les dirigeants occidentaux, le seul à avoir compris que la situation a changé avec le départ de GW? C’est, dans tous les cas, celui qui l’a le mieux compris.
La situation iranienne n’est pas celle d’une réalité politique nouvelle, à propos de laquelle les uns et les autres doivent se déterminer, mais d’un événement qui est dans sa phase d’absence de contrôle, où il importe d'abord de respecter l'intégrité de la souveraineté du pays touché, – c'est-à-dire, tenter de maintenir ce qui peut l'être de l'ordre, face au désordre. Pour les explications entendues de ceux qui savent tout des coulisses des événements du monde, y compris l’explication du désordre, on verra plus tard. Aujourd’hui, la menace s’appelle “désordre”, et c’est une menace de poids parce que l’Iran est un pays de poids. Cela nous renforce sans aucun doute dans notre analyse du 15 juin 2009: l’Iran a acquis une place considérable dans la situation politique mondiale, en bonne partie grâce à la politique américaniste-occidentaliste de menace et de “démonisation” des huit dernières années.
Le désarroi occidental face à la situation iranienne est une reconnaissance implicite de la puissance de ce pays. Les néo-conservateurs eux-mêmes, y compris Israël, partagent ce désarroi. La politique “neocon” de l’Occident, pendant huit ans, est aujourd’hui poursuivie dans son esprit par l’UE lorsqu’elle se rassemble à 27 et qu’il manque un pays responsable pour imposer une politique qui le soit. C’est un comble mais c’est très révélateur de la totale inexistence de la chose (dito, l’UE), autant que de la vanité de cette politique “neocon” à l’européenne. (L’absence française est à cet égard remarquable: autant la France joua un rôle constructif et directif lors de la crise géorgienne, autant elle est inexistante aujourd’hui, avec la position de Sarkozy assez discrète mais tout de même réglée par une déclaration publique, aussi inutile qu’improbable, selon laquelle il y avait eu “fraude” lors de l’élection. Du coup, la ligne française se retrouve proche de celle d’un Cohn-Bendit, exposée avec jactance et satisfaction à Canal Plus hier soir. L’absence française avec une politique étrangère réduite dans ce cas au “bling-bling” humanitaire, – “droits de l’homme-démocratie” en l’occurrence, avec les admonestations qui vont avec, – prive l’Europe de toute existence. La France marche aujourd’hui avec un demi-cerveau, une politique acceptable dans le champ européen et russe pour la partie du cerveau qui marche, une politique “bling-bling” dans d’autres cas comme l’OTAN et l’Iran notamment. L’Europe suit et fait aussi une politique Cohn-Bendit, inspirée par l’interventionnisme “libéral” qui a fait ses preuves depuis le Kosovo; la différence est qu’aujourd’hui, si nous avons toujours la jactance du temps du Kosovo, nous n’en avons plus les moyens.)
Tout cela offre un signe puissant du changement d’époque. Seuls les irresponsables (l’UE) parlent haut et fort. Dans cette affaire, BHO montre bien qu’il correspond au personnage, et à la politique “raisonnable” générale que décrit Harlan K. Ullman (voir notre F&C du 29 mai 2009). Mais ses moyens d’action sont limitées, comme le dit le texte du New York Times, confirmant là aussi l’interrogation angoissée d’Ullman sur les chances de réussite de cette politique face à l’extrémisme de la “politique d’instinct”. Si la situation s’aggrave en Iran, BHO pourra difficilement éviter de prendre position, et l’on sait dans quel sens. Paradoxalement, cette affirmation contrainte d’une position politique qui sera décrite comme “ferme” sera le signe de son affaiblissement. De ce point de vue, il est, lui aussi, prisonnier du désordre, – désordre en Iran, désordre de la situation iranienne enfantée par une tension qu’a imposée l’Occident pendant huit années, désordre de la politique occidentaliste soumise aux impératifs de l’idéologie extrémiste de la communication (“droits de l’homme-démocratie”, qui faisait les délice de GW Bush et qui se perpétue dans Cohn-Bendit).
Tout le monde est prisonnier du désordre. Plus personne, notamment en Occident, n’a les moyens ni la volonté d’envisager une politique d’intervention réelle, – quelle que soit la folie ou la stupidité objective de cette politique, – parce que les conséquences de la crise générale frappant aussi bien la puissance d’intervention (militaire) que la puissance statutaire d’influence (économie, finance, légitimité des pouvoirs), réduisent les moyens à rien et paralysent la volonté. Après huit ans de préparation intensive dans ce sens du monde américaniste et occidentaliste, nous sommes effectivement dans l’ère du désordre qui souligne cruellement l’impuissance du système en cours d’effondrement.
La question qui commence à se dessiner devant les perspectives envisageables de désordre, question étonnante pour les cervelles d’oiseau occidentale, – la question est celle-ci: et si le désordre iranien était pire que la bombe iranienne? Si le désordre iranien était la vraie menace iranienne? Plus que jamais, les événements nous mènent à leur guise, – c’est l’ombre de Joseph de Maistre plutôt que l’ombre de Tien An men, – et l’on aura sans doute des surprises lorsqu’on se comptera, au bout de la crise iranienne.
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