Blog et bad-Blog

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Blog et bad-Blog

20 août 2009 — Voici une histoire qui illustre bien nos temps incertains, pour ce cas au niveau de l’information, précisément pour le cas du phénomène de l’“information en ligne” que charrie l’immensité des réseaux, d’Internet, du Web, – donnez-lui le nom que vous voulez. On y trouve toutes les ambiguïtés, toutes les contradictions, toute la formidable pression et présence de la subjectivité qui caractérise le phénomène de la communication, ce Janus dont il faut débusquer à chaque lecture quel visage il nous montre.

Le 13 août 2009, Loren B. Thompson annonce le lancement d’un “blog”, sous le titre de Early Warning, sur le site du Lexington Institute, dont il est le Chief Operating Officer. “Blog ou pas “blog” (nous n’affectionnons guère ces mots), il s’agit d’une rubrique de nouvelles en général brèves ou très brèves sur les questions de défense, si l’on veut une lettre d’information sans périodicité précise, alimentée souvent au jour le jour. En réalité, Early Warning fonctionne depuis la fin juillet (le 27 juillet, nous semble-t-il).

Certes, la chose n’a pas fait grand bruit. Ce qui nous intéresse est le cas d’espèce, le cas révélateur, et un cas d’un domaine où nous évoluons puisqu’il s’agit de celui de la défense. Les problèmes soulevés à cette occasion, eux, concernent la question de l’information en général, dans le sens le plus profond qu’on puisse lui trouver, – nous irions même jusqu’à dire, à la lumière du rôle fondamental de la communication, “la question de l’information” dans un sens presque métaphysique.

La mise en place de Early Warning et la déclaration d’intention de Loren B. ont été l’occasion de réactions, voire de ripostes, voire de contre-attaques virulentes. Il faut dire que la présentation que Loren B. a faite de Early Warning n’était pas tendre. Justement, arrêtons-nous aux déclarations d’intention, du Loren B. Thompson. Nous choisissions les passages les plus salaces si l’on veut, les plus expressifs, les plus décidés…

«Yes, yes, I know – there are already hundreds of defense blogs, and many of them are pretty awful. But that's why we launched our own blog on the Lexington homepage, called Early Warning. It isn't awful. In fact, I'm betting that if you read a few entries, at some point you'll say – “Gee, I didn't know that.”

»We all recognize what the main problem is with blogs. The barriers to entry are so low that almost anyone with a laptop can start one, and it's hard to sort out the good ones from tendentious nonsense. For every interesting, competent effort like DoD Buzz, there are dozens of ill-mannered rants masquerading as insight. To say that blogs have lowered the standards of public discourse on policy matters is an under-statement – there are no standards. Anybody can say anything, with extra points for verbosity.

»… We want Early Warning to be an island of sanity in the chaos of the Worldwide Web. With so many traditional news outlets declining and no new hierarchy of credible sources yet emerged, we'd like to offer a site that is both sensible and engaging.»

Les attaques sont venues, sans surprise, de toutes parts, contre un analyste qui prétend donner des leçons dans l’art de dispenser et de commenter l’information, et notamment de le faire objectivement et professionnellement, alors qu’il est lui-même un porte-parole avéré, notamment, de l’industrie de défense. Ainsi en fut-il de la part de David Axe, du site (décidément, nous préférons ce mot) War Is Boring.com, qui, après avoir rapporté les attaques de Thompson contre l’“irresponsabilité” ou l’“absence de standard” de nombre de sites sur Internet (la plupart? Tous sauf Early Warning et DodBuzz?), poursuit en éructant sa rage (le 14 août 2009):

«It’s no wonder Thompson would highlight DoD Buzz, which is admittedly an excellent blog. DoD Buzz recently praised Thompson as “uber-connected.”

»But there’s a reason Thompson is well-connected — and it has nothing to do with diligent reporting or exhaustive research. Thompson is well-connected in the defense industry because defense firms pay to use Thompson as an unofficial spokesman. “He’s a conduit for very high-level people,” Nick Schwellenbach, then an investigator for the Project on Government Oversight, a watchdog group in Washington, D.C., told the Mobile, Alabama, Press-Register.

»“What is often not revealed in news reports … is that almost all funding for Thompson’s employer, the non-profit Lexington Institute, comes from the same defense contractors who frequently have a stake in the programs that he writes about,” the newspaper added. Said Schwellenbach of Thompson: “He represents a very pro-industry viewpoint. I don’t think you’ll ever see him calling for less spending or cutting programs.” Galrahn at Information Dissemination said Thompson’s recommendations “root in industry, not strategy.”»

Observons que cette sortie anti-Loren B. amena quelques réactions (pas trop) contrastées (en réactions de lecteurs du texte de David Axe). Celle de Thompson lui-même, qui se crut obliger de réagir, mi-plaisantin, mi-sérieux, mais sans aller plus loin. Certains prirent sa défense, ce qui était peut-être fait à la sollicitation de Loren B. lui-même – qui sait? – et qu’importe, d’ailleurs, ce qui est écrit est écrit; ainsi de Erik Holmes, de Air Force Times:

«I wrote the Flightlines post about dodging Taliban fire, and no, I guess Loren has never done that. But that’s not his role. I use Loren as a source regularly, and he is always straight-forward and honest with me. And he’s about the most connected guy you could ask for. He offers the best glimpse into the minds of senior leaders because he knows them personally. I know some people have problems with Loren, but I have always enjoyed working with him — and it has benefited my coverage.»

Bien… On sait ce que nous pensons de Loren B. Nous nous sommes déjà exprimé là-dessus, in fine et in vivo, et sans ambages. Par ailleurs, et comme si de rien n’était en matière de contradiction, nous reconnaîtrons sans barguigner un instant que Early Warning est fort intéressant. Cela signifie simplement que la réalité est le contraire d’être simple, lorsqu’il s’agit de définir une personne et, par conséquent, son activité lorsque cette activité se trouve être celle de l’information. Cela signifie que, sur certains sujets et dans certaines circonstances, il ne faut pas attendre de la personne d’être autre chose que “la voix de son maître”, et que sur d’autres, parfois fort proches, on peut envisager que la même personne agisse d’une façon indépendante et nous dise des choses intéressantes qui le sont autant. Encore s’agit-il de règles générales, auxquelles nous trouverions, sans difficultés, des exceptions pour les confirmer; encore doit-on observer qu'il est parfois très difficile de faire la différence entre un cas (travail d'influence complet) et l'autre (travail indépendant), qu'il faut une forte perspicacité, de l'intuition et une grande expérience pour espérer y parvenir.

Cela nous conduit, par conséquent, à parler de l’information d’une façon générale; d’une part, à l’époque où la communication est devenue le principal facteur et véhicule de la puissance, de l’information en général sur le réseau, sur le Web; d’autre part, à l’époque où la communication est devenue le principal facteur et véhicule de la puissance, de l’information en général de la façon la plus large possible.

En passant, à propos de dedefensa.org

Le cas est intéressant dans l’échange rapporté ci-dessus, parce que, en un sens, les deux partis ont raison. Thompson a raison d’observer que la prolifération de sites sur Internet n’est certainement pas une garantie de qualité et une sécurité de la véracité de l’information. David Axe n’a pas tort d’observer qu’un site comme celui de Thompson ne peut être consulté sans avoir à l’esprit l’énorme présomption d’être fait en fonction des intérêts de l’industrie de la défense, dont les liens avec Thompson sont célébrissimes. Là-dessus, Holmes a raison et n’a pas tort d’ajouter, puisque c’est le cas selon lui, qu’il a déjà travaillé avec Tompson et l’a toujours jugé très compétent, loyal, honnête, etc.; tout en confirmant implicitement que le même Thompson a des liens extrêmement serrés, notamment avec nombre de dirigeants de l’industrie de défense. Tout cela est vrai dans tous les sens. (Tout cela est vrai dans tous les sens, pour le domaine de la défense comme pour tous les autres.)

…Tout cela n’est pas non plus complètement nouveau. Il y a toujours eu, et notamment avant l’apparition d’Internet, des publications peu sérieuses, même parmi les plus “sérieuses” de réputation, et il y a toujours eu des gens subventionnés, de façon voyante ou pas. Ce sont plutôt les situations contraires qui sont, dans l’absolu qu’elles impliquent, absolument improbables, sinon utopiques et absurdes. En un sens, le déferlement actuel de la communication ne fait que mettre en évidence, d’une façon disproportionnée et monstrueuse pour l’aspect quantitatif, une situation qui a toujours existé. En ce sens, la mise à nue de cette situation est un bien, une bonne chose, parce qu’elle ne fait que mettre en pleine lumière ce qui existait déjà à une échelle moindre.

(Cette “échelle moindre” ne signifie pas que la part des mauvaises informations, ou des informations trompeuses, etc., fût moindre, notamment et précisément pour la période de l’américanisation de notre monde, depuis 1945, depuis que l’information joue un rôle d’influence ouvert; nous pensons même que c’était le contraire, mais que la chose était moins voyante qu'aujourd'hui, quand c'est le cas, sur Internet. Loren B. a raison de dénoncer tant de “blogs” qui jouent aux professionnels et écrivent peu de choses qui ne soient pas n’importe quoi, ou qui suivent, à l’imitation, des consignes allant dans tel et tel sens et dans des sens divers ; que n’a-t-il pas, Loren B., dénoncé bien autant – en proportion – de journalistes qui sont des professionnels, ceux de la presse-Pravda, “qui écrivent peu de choses qui ne soient pas n’importe quoi” et qui eux, suivent sans la moindre pudeur, les consignes précises que l’on sait…)

Ce que décrit cette querelle n’est ni un scandale, ni un accident ni un cataclysme, mais une situation nouvelle, qui nous paraît irréversible. Dans une situation du monde marquée par une structure crisique dont l’un des effets est la déstructuration (y compris des déstructurations louables, celles qui s’attaquent aux situations établies et elles-mêmes d’influence déstructurante manifeste), et la communication y étant un des principaux canaux de cette dynamique de déstructuration, la question de l’information, de sa validité, de son crédit, etc., est nécessairement posée. Elle l’est d’autant plus que nous vivons dans un univers de communication lui-même déstructurée par la perte de toute référence. Nous ne dirons jamais assez, ne répéterons jamais assez combien l’attitude des USA, des autorités US, passant soudain à cette fameuse “politique de l’idéologie de l’instinct”, qui est une complète répudiation de la moindre recherche d’une objectivité politique formelle, a été un événement fondamental.

Nous avons défini notre attitude dans notre rubrique de defensa du dernier numéro, en publication papier, de la Lettre d’Analyse dd&e, que nous avons publié intégralement sur ce site, le 1er août 2009. Il nous semble intéressant pour nos lecteurs de publier ci-dessous, pour le mettre en exergue dans un cadre précis de la réalité des faits, le passage qui concerne de façon spécifique le “métier de l’information” tel que nous le concevons. Nous sommes dans ce temps étrange et complètement différent où le phénomène de la communication bouleverse complètement cette fonction du “métier de l’information”, jusqu’à en faire quelque chose de complètement différent en substance – le journaliste devenu chroniqueur, puis “historien” – et non pas “historien de l’instant” mais historien, ou «concepteur de l’histoire dont il voit chaque jour une portion se faire devant lui» comme nous l’écrivons. Nous pensons que cette occurrence d’une rapide polémique sur Internet, concernant un sujet qui nous importe particulièrement, permet en même temps de mieux définir la façon dont nous concevons notre travail, et d’informer nos lecteurs dans ce sens en même temps que d’exposer notre perception des effets du phénomène de la communication…

«L’information n’est plus un combat (pour déterminer la réalité), elle est d’abord un choix mesuré (de la réalité) — Au sortir de la première phase de la guerre d’Afghanistan, qui vit, à côté d’opérations diverses, des affirmations et professions de foi sans nuances comme celles de Rumsfeld observant que la dissimulation et la transformation de la réalité dans l’information “officielle” seraient utilisées comme autant d’armes dont on attendait effectivement qu’elles modifiassent la réalité, nous écrivions le 10 janvier 2002 (notre rubrique ‘Contexte’): “Nous sommes, nous, les analystes et les commentateurs, plus que jamais placés devant une tâche d’enquêteur. Notre enquête ne se déroule plus pour trouver les faits, mais pour distinguer, parmi les faits par multitudes incroyables qui nous sont offerts, et parmi lesquels, par multitudes également significatives, sont glissés des faits fabriqués, déformés et ainsi de suite, ceux qui valent d’être retenus et ceux qui doivent être écartés.”

»Depuis, nous n’avons pu qu’approfondir encore cette affirmation, l’élargir à des niveaux beaucoup plus ambitieux, à mesure que les pratiques dénoncées se poursuivaient et se multipliaient. Nous avons observé, ces dernières années, à partir du tournant décisif qui va de la guerre du Kosovo à la première phase de la guerre d’Afghanistan, la marche d’une “virtualisation” de la réalité; et cette “réalité” ainsi reformée effectivement appréciée dans le cadre du concept de virtualisme; c’est-à-dire, prise au bout du compte pour “réelle” par ceux qui la créent. Le procédé est devenu général et s’est élargi sur l’espace et sur le temps. Toutes les fonctions ont été touchées.

»La situation est devenue chaotique; non pas un côté contre l’autre, disons le “bon” indépendant contre le “méchant” officiel qui fait sa propagande, mais bien un tourbillon où aucune vérité ne peut plus se fixer. Ce tourbillon affecte les autorités elles-mêmes, et leur recours à la langue de bois, parfois jusqu’au ridicule, est beaucoup moins un acte de propagande qu’un acte de prudence, une sorte de “plus petit commun dénominateur” de la langue de bois auquel on s’accroche pour surnager (le bois flotte...), sans souci ni de la cohérence, ni de la logique.

»L’information, insensiblement, n’a plus été un combat. Nous disposons de toutes les informations possibles, et jusqu’aux plus tronquées, jusqu’aux plus déformées, qui le sont si évidemment qu’elles servent d’informations précieuses par leur signification des intentions transparentes de leurs auteurs. L’information n’est plus un combat, elle est devenue un choix.

»La subjectivisation du monde que nous voyons chaque jour est devenue totale. La réalité n’est plus alors le résultat de la découverte des informations “réelles”, mais le choix des informations qui s’accordent à une cohérence du monde qu’on a choisie de servir. Ainsi avons-nous découvert que le “journaliste” n’existe plus en tant que tel; il est devenu chroniqueur et, bientôt, véritablement historien; non plus “historien de l’instant” comme on le définit faussement mais concepteur immédiat de l’histoire dont il voit chaque jour une portion se faire devant lui. La subjectivisation du “réel immédiat” n’a pas tué la réalité; elle a imposé une nouvelle approche méthodologique du monde. C’est notre observation la plus importante au bout d’un quart de siècle de travail, pour asseoir notre conviction.»


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