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1562Pour la première fois de manière explicite mais fort discrètement, sur un bout de dépêche AP repris ici et là, notamment sur le site YNet.News le 1er mai 2009, un officiel de l’administration Obama reconnaît que certaines des objections et critiques des Russes contre le réseau anti-missiles US (ou BMDE) théoriquement en cours de prochain déploiement en Europe, sont justifiées. L’officiel est Gary Samore, coordinateur en chef (“tsar”, dans le langage bureaucratico-people) des armes de destruction massive pour l’administration Obama. (Samore, paraît-il «widely admired in arms control circles as an experienced negotiator and non-ideological pragmatist.»)
Voici ce que dit AP…«A senior adviser to US president Barack Obama says that Russia has some reasonable concerns about US missile defense plans. Obama's coordinator for weapons of mass destruction policy, Gary Samore, said Friday that Russia's objections are legitimate as Washington and Moscow pursue nuclear reductions. He said, “when we go down to really low numbers then missile defense has a potential capability.”»
Ces indications sont extrêmement courtes mais elles sont suffisantes pour jeter une lumière nouvelle sur les négociations en cours au niveau du contrôle des armements stratégiques. Ces négociations, qui semblent en cours d’une manière très discrète, retireraient notamment la question du réseau anti-missiles US en Europe (BMDE) du contexte de polémique politique où il a évolué jusqu’ici. Quelques constats ou hypothèses s’imposent.
• D’abord, il semble bien, effectivement, que les négociations sur le BMDE aient été retirées de leur contexte politique pour être placées dans un contexte technique des négociations stratégiques en général, avec pour but la réduction des armes nucléaires (selon l’annonce faite par Obama en marge de la réunion OTAN du début avril). C’est retrouver le schéma classique de la Guerre froide où les négociations stratégiques (SALT, START) étaient une affaire technique prenant effectivement en compte, pour les traiter ensemble, les questions stratégiques offensives (ICBM, SLBM) et les questions stratégiques défensives (anti-missiles type ABM). Samore est d’ailleurs chef de ce département stratégique et technique au département d’Etat, alors que jusqu’ici le réseau BMDE était surtout traité par des “politiques” en charge de zones géographiques.
• Du coup, c’est faire entrer la logique du BMDE dans la logique stratégique essentiellement Russie-USA, également comme au temps de la Guerre froide. C’est aussi accepter la logique russe qui fait du réseau BMDE un facteur à prendre en compte dans les relations stratégiques Russie-USA et non plus un facteur “exotique” uniquement déterminé par la logique des rapports des USA avec des soi disant “Etats-voyous” comme l’Iran, avec lesquels il n’y a pas de négociations stratégiques.
• A cette lumière, effectivement, la remarque de Samore devient compréhensible, et les préoccupations russes sont jugées “justifiées”. Le réseau anti-missiles reprend sa place dans l’arsenal stratégique classique, russo-américain, dont le niveau et la forme sont déterminés bilatéralement en fonction d’une notion d’équilibre (ce qu’on nommait “équilibre de la terreur”); il n’est plus apprécié unilatéralement, selon les besoins (ou les manigances, certes) de sécurité nationale US, comme il l’était sous l’administration Bush, à l’inspiration du couple Cheney-Rumsfeld.
• Effectivement, dans ce cadre bilatéral type-Guerre froide restaurée, si la volonté d’Obama de réduire l’arsenal nucléaire est poursuivie effectivement selon l’approche bilatérale classique, les anti-missiles deviennent extrêmement déstabilisants et un obstacle capital à tout accord de réduction, et d'autant plus déstabilisant s'il y a une réduction des armements stratégiques (moins il y a d'armes stratégiques, plus les interceptions possibles d'anti-missiles deviennent importantes). La remarque de Samore (“Russia's objections are legitimate”) se comprend tout à fait et implique une logique selon laquelle les USA devraient abandonner au moins le BMDE (réseau européen) qui est de loin la portion la plus déstabilisante de l’entité anti-missiles. Il y aurait alors la possibilité d’une sorte de marché: accord de réduction des armes stratégiques offensives contre (au moins) l’abandon du BMDE.
Dans ce cadre général, si ce cadre général est confirmé, l’abandon du BMDE dans sa forme actuelle et un réaménagement rigoureux du programme anti-missiles en général sont absolument impératifs. La seule alternative est un accord complet pour un réseau anti-missiles russo-américain, contre des menaces en-dehors du cadre bilatéral considéré.
Il faut observer que cette évolution, qui est un retour aux conceptions de la Guerre froide et au condominium stratégique URSS-USA de l’époque, met l’Europe hors du jeu alors que cette évolution potentielle vers la réduction potentielle des armes stratégiques va faire surgir le problème de la réduction des arsenaux nucléaires français et anglais. La faute en incombe entièrement aux Européens, qui ont suivi aveuglément la phase bushiste de l’affaire BMDE, sans y interférer, sans faire jouer l’affirmation évidente qu’il s’agissait d’abord d’une affaire de sécurité européenne où ils avaient leur mot à dire, encore plus que les Américains.
C’est la rançon d’une politique inconsistante, marqué par l’irresponsabilité, la démission et l’alignement constant sur les USA. Rien de nouveau dans cette inexistence européenne, sinon, pour les Français, une abdication par faiblesse et complaisance de leurs principes d’autonomie et d’indépendance. Il faudra pourtant bien qu’ils (les Français) se réveillent si les négociations Russie-USA deviennent sérieuses pour une réduction substantielle, puisque leur implication viendra automatiquement. Il se pourrait alors qu'il y ait plus de difficultés entre France et USA qu'entre Russie et USA. Dans tous les cas, on comprend notamment la “politique” française de ces dernières semaines, laissant entendre qu’Obama n’était pas très sérieux avec sa volonté de réduction des arsenaux nucléaires. Cela consistait surtout en une politique de la méthode Coué, dite de l'incantation, affirmant qu’il n'y avait rien de sérieux dans les promesses d'Obama et visant à écarter le spectre d’avoir à prendre position; au contraire, une politique nécessaire d’engagement des Français conduira à des positions françaises qui n’amélioreront pas les relations entre la France et les USA, avec une Russie dans des dispositions bien différentes de celle de 2008 où Medvedev proposait un nouveau pacte européen de sécurité; la différence est que les Français seront sur un terrain (la contre-prolifération des armes nucléaires) beaucoup moins favorable à eux que le terrain initial (la sécurité européenne) où ils avaient pour eux tous les arguments nécessaires.
Mis en ligne le 4 mai 2009 à 06H42