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57124 septembre 2009 — Certains commentateurs US commencent à prendre la mesure réelle de l’abandon du système BMDE. Leur approche est politique et concerne essentiellement l’Europe, laissant de côté, aux experts et aux géopoliticiens professionnels, l’explication “technique” et la référence à l’Iran qui l’accompagne sorties, pour l’occasion, par l’administration Obama.
Deux analystes hostiles à la politique expansionniste et belliciste, en général de bonne renommée et pour de bonnes raisons, développent une approche similaire de la décision d’abandon du BMDE. Pour eux, le BMDE concerne l’Europe et la Russie, d’une façon impérative, et c’est bien cela qui compte. (Nous partageons évidemment cette appréciation, comme nos lecteurs ont pu le constater à plus d’une reprise.) Les deux hommes ne s’intéressent guère aux arguments des experts assermentés qui “découvrent” la “nouvelle” stratégie de l’administration Obama. Ils suivent la même analyse que Nile Gardiner, mais en se réjouissant de la situation ainsi créée, au contraire de Gardiner, comme on l’a sans doute remarqué.
Il s’agit d’abord de Leon T. Hadar (sur HuffingtonPost, le 22 septembre 2009). Hadar fait partie du Cato Institute, de tendance libertarienne, dont l’influence intellectuelle est grande à Washington, surtout dans les milieux républicains, malgré son opposition à la politique expansionniste et belliciste suivie par l’administration Bush.
«Indeed, reflecting the strategic goals espoused by some of the elites in Washington and in capitals in Eastern Europe, the planned missile defense shield would have served as a “trip-wire” – not unlike the American troops stationed in the divided city of Berlin during the Cold War who were expected to lead to U.S. military retaliation if and when the Soviets attacked West Germany.
»But while the American people and Congress had conducted an extensive debate over U.S. strategy in Europe during the Cold War, and the American commitment to protect West Germany from Soviet aggression enjoyed wide bipartisan and public support, the notion that Americans were going to die defending Poland and the Czech Republic against real or imagined Russian threat has never been introduced as part of the national conversation. Instead, those promoting the deployment of U.S. missiles in Eastern Europe had hoped to present the American people with a fait accompli in the form of this trip-wire.
»The Obama Administration should be complimented for disrupting this planned sneaky move to press the U.S. into another long-term and costly military intervention at a time when American military forces are overstretched and its budgets are soaring to the stratosphere, and most important, America is not facing a geo-strategic and ideological threat in the form of the Soviet Union.»
Ivan Eland, le deuxième chroniqueur que nous citons, est un des principaux commentateurs de politique extérieure de la tendance libertarienne, également du Cato Institute. Adversaire décidé de la politique intérieure d’Obama, à cause de sa tendance au “big governement” que détestent les libertariens, Eland n’est par contre pas défavorable à la politique extérieure du même. Simplement, comme beaucoup d’autres, il estime que le président US ne va pas assez loin. Sur Antiwar.com, le 23 septembre 2009, Eland passe en revue les différents aspects de cette politique extérieure qu’il juge “pas mauvaise mais peut mieux faire”, avec ce passage sur la décision d’abandonner le BMDE.
«Similarly, on missile defense to be deployed in Europe, Obama has laudably gotten rid of an expensive, unproven system that was designed to meet a nonexistent threat and needlessly soured relations with Russia – still the only nation in the world that has the power to wipe the United States out of existence. Although the system was ostensibly directed against long-range Iranian missiles, which don’t exist, the Russians were nervous that the 10 high-speed interceptors in Poland might grow in number and threaten their dwindling strategic nuclear arsenal.
»In place of the canceled system, Obama will deploy a more sensible missile defense that will eventually protect U.S. forces and Europe against Iranian short- and intermediate-range missiles, which they do possess. It’s OK to build a missile defense to protect U.S. forces, but why does the U.S. continue to protect countries that are economic competitors and are rich enough to build up their own defenses? The answer: Although the U.S. constantly nags the stingy Europeans to "free ride" less and contribute more to the NATO alliance, the U.S. has made an implicit agreement to defend them, and pay much of the bill for doing so, in exchange for being the big dog in the alliance. With a yawning budget deficit that is dragging the U.S. economy, this is no longer a good trade. As in Iraq, Obama needs to be more radical; he should tell the Europeans to build their own missile defense.»
Rangeons une fois pour toutes dans leur volière les perroquets du système, les experts assermentés qui tressent des couronnes à l’administration Obama pour avoir amélioré le système BMDE contre l’Iran, pour avoir ainsi réalisé un progrès et, par conséquent, en suivant le raisonnement dont on distingue la ficelle grossière, pour avoir renforcé la puissance US. Le BMDE initial avait tout à voir avec l’Europe, avec les pressions occidentalistes contre la Russie, avec l’entretien de l’antagonisme agressif néo-Guerre froide; son abandon est une retraite indiscutable.
Nous avons aussitôt interprété la chose de cette façon, nous plaçant du point de vue européen et observant ainsi une marque de plus de l’affaiblissement US. Nos deux commentateurs, eux, se placent du point de vue américain (plutôt qu’américaniste, dans ce cas), pour se réjouir de la décision. La “retraite” devient une mesure de bon sens, sans qu'il n'y ait nulle contradiction mais au contraire complémentarité entre les deux jugements. C’est complètement dans leur logique anti-interventionniste et anti-hégémonique. Eland complète le propos d’une façon que tout “bon Européen” (au sens nietzschéen du terme, pas au sens Barroso) ne peut qu’applaudir: «As in Iraq, Obama needs to be more radical; he should tell the Europeans to build their own missile defense.»
L’on comprend combien, également, cette logique contient évidemment un germe, un ferment isolationniste. C’est la logique du retrait, du désengagement, que ne contredit absolument pas le substitut trouvé par l’administration. Un réseau anti-missiles pour l’instant assuré par des moyens navals, au moins jusqu’en 2015 (d’ici là, certes, on verra…), c’est une logique de projection de force de type isolationniste. (Chacun sait, ou devrait savoir, que l’U.S. Navy a une tradition isolationniste, et pour les meilleures raisons techniques, stratégiques et conceptuelles du monde.) Des croiseurs AEGIS croisant dans la Méditerranée orientale, ou dans la Baltique pour faire plaisir aux Polonais, si jamais cela se fait (quelle drôle d’idée du point de vue opérationnel?), c’est un déploiement de force, une mesure de sécurité, mais en aucun cas un engagement extérieur. Un croiseur AEGIS se retire aussi vite qu’il est venu, selon les circonstances. (On doit avoir à l’esprit que les systèmes AEGIS, montés sur croiseurs et également sur destroyers, existent depuis plus de vingt-cinq ans, avec des améliorations constantes qui ont fortement renforcé et élargi leurs capacités anti-missiles. Nul besoin de débat théologique sur les missiles et les anti-missiles comme l’on a eu avec le système BMDE pour cela.) Dans ce cas, le déploiement est vraiment une mesure techniquement défensive, n’impliquant aucune pression politique comme le BMDE initial exerçait directement sur la Russie.
Les remarques de Hadar-Eland signalent un champ de réflexion nouveau, qui s’accorde effectivement à des tendances de la politique extérieure d’Obama, lesquelles sont directement la conséquence de l’affaiblissement US depuis plusieurs années, d’une façon décisive depuis la crise du 15 septembre 2008. L’intérêt d’Obama pour une réduction des arsenaux nucléaires, à côté de sa valeur intrinsèque, alimente lui aussi, dans le contexte qu’on décrit de l’affaiblissement US, une logique isolationniste de désengagement.
Bien entendu, il ne faut pas prendre le terme “isolationnisme” dans le sens théologique et diabolisé que lui ont donné ses adversaires, selon leur habituelle méthode de terrorisme intellectuel, sinon de terrorisme conceptuel. L’isolationnisme, autre mot pour “désengagement”, est dans ce cas une démarche d’accommodement avec la réalité du déclin US. Si nous employons le terme, c’est parce qu’il décrit d’une façon tranchée et sans ambiguïté la situation vers laquelle nous pourrions très rapidement évoluer, qui serait une situation radicalement différente de celle qui précéda, durant la grande période d’expansion belliciste de l’administration Bush. Nous pourrions d’autant plus vite évoluer dans ce sens que sont grandes les pressions intérieures que nous décrivons en ce moment, qui vont évidemment dans le même sens d’un affaiblissement extérieur et d’un désengagement (voir, ces deux derniers jours, nos F&C des 22 septembre 2009 et 23 septembre 2009).