Bob Dylan, Spielberg, Lincoln et l’esclavage

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Bob Dylan, Spielberg, Lincoln et l’esclavage

Le 30 novembre 2012, sur le blog du site LewRockwell.com, l’historien Thomas DiLorenzo, spécialiste de Lincoln et de la Guerre de Sécession, signale un avis du fameux chanteur de protest song Bob Dylan sur l’esclavage, extrait d’une interview au magazine Rolling Stone, en septembre dernier. Cette intervention de Dylan était notamment rapportée par Huffington Post, le 12 septembre 2012.

« Bob Dylan says the stigma of slavery ruined America and he doubts the country can get rid of the shame because it was “founded on the backs of slaves.” The veteran musician tells Rolling Stone that in America “people (are) at each other's throats just because they are of a different color,” adding that “it will hold any nation back.” He also says blacks know that some whites “didn't want to give up slavery.” The 71-year-old Dylan said, “If slavery had been given up in a more peaceful way, America would be far ahead today.” When asked if President Barack Obama was helping to shift a change, Dylan says: “I don't have any opinion on that. You have to change your heart if you want to change.”»

Dans son intervention où il cite Dylan, DiLorenzo s’attache essentiellement à la phrase du chanteur, selon laquelle “si la question de l’esclavage avait été résolue d’une façon plus pacifique, l’Amérique serait beaucoup plus loin qu’elle n’est aujourd’hui”…

«This was the point of a recent LRC article of mine entitled “Lincoln's Greatest Failure,” about Lincoln's failure to end slavery in the way that all the rest of the world did during his time – peacefully. It also echoes the words I expressed on page 218 of The Real Lincoln: “General Donn Piatt, a close personal friend of Lincoln's who became a Washington, D.C. newsaper editor after the war, went so far as to say that ‘all race antagonism [in the South] came from carpetbaggers using the Negro votes to get their fingers into the Treasury.’ Republican Reconstruction policies so poisoned race relations in the South that their divisive effects are still felt today.”

»I also wrote in the preceding paragraph of how “the ex-slaves were used as political pawns by Northern Republicans. They helped the Republican Party loot and plunder its way through the state and local governments of the South for twelve years in return for a pittance in bribes and political patronage. Southerners reacted to this plunder by venting their frustrations on the ex-slaves. The creation of the Ku Klux Klan was an attempt to intimidate the ex-slaves so that they didn't vote and was a direct response to the activities of the federally-funded Union Leagues.”»

On l’a compris, Thomas DiLorenzo n’est pas un historien conforme aux canons de la narrative officielle des USA, notamment celle de Lincoln, de la Guerre de Sécession et de la question noire par rapport au Vieux Sud. Cette narrative est fabriquée à la chaîne et en permanence dans divers ateliers, dont celui de l’hollywoodisme n’est pas le moins actif, et notamment, dans cet atelier, la compagnie très-millliardaire DreamWorks, de Steven Spielberg, un des gros donateurs hollywoodiens du président Obama. C’est justement à propos du dernier film de Spielberg que DiLorenzo écrit l’article auquel il fait référence dans le texte ci-dessus. On peut en citer quelques lignes (il date du 15 novembre 2012, sur LewRockwell.com), qui permettront de rendre compte du vrai Lincoln, du véritable état de l’historiographie US à cet égard, et ainsi de suite…

«The new Steven Spielberg movie about Lincoln is entirely based on a fiction, to use a mild term. As longtime Ebony magazine executive editor Lerone Bennett, Jr. explained in his book, Forced into Glory: Abraham Lincoln’s White Dream: “There is a pleasant fiction that Lincoln . . . became a flaming advocate of the [Thirteenth] amendment and used the power of his office to buy votes to ensure its passage. There is no evidence, as David H. Donald has noted, to support that fiction”.

»In fact, as Bennett shows, it was the genuine abolitionists in Congress who forced Lincoln to support the Thirteenth Amendment that ended slavery, something he refused to do for fifty-four of his fifty-six years. The truth, in other words, is precisely the opposite of the story told in Spielberg’s Lincoln movie, which is based on the book Team of Rivals by the confessed plagiarist/court historian Doris Kearns-Goodwin. (My LRC review of her book was entitled “A Plagiarist’s Contribution to Lincoln Idolatry”). And who is David H. Donald, cited by Bennett as his authority? He is a longtime Harvard University historian, Pulitzer prize-winning Lincoln biographer, and the preeminent mainstream Lincoln scholar of our time. One would think that Goodwin would have considered his work, being a Harvard graduate (in political science) herself.

»The theme of the Spielberg movie is the subtitle of Goodwin’s book: “The Political Genius of Abraham Lincoln.” Nothing gets a leftist’s legs tingling more than someone who is very, very good at the methods of political theft, plunder, subterfuge, and bullying. Goodwin the court historian has devoted her life to writing hagiographies of the worst of the worst political bullies – FDR, Lyndon Johnson, the Kennedys, and Lincoln. (It was her book on the Kennedys that got her in trouble and forced her to admit plagiarizing dozens of paragraphs, and paying a six-figure sum to the victim of her plagiarism. That got her kicked off the Pulitzer prize committee and PBS, but only for a very short while).

»Lincoln’s “political genius” is grossly overblown in Goodwin’s book. In addition the book, like virtually all other books on the subject, completely misses the point. If Lincoln was such a political genius, he should have used his “genius” to end slavery in the way the British, French, Spaniards, Dutch, Danes, Swedes, and all the Northern states in the U.S. did in the nineteenth century, namely, peacefully. Instead, the slaves were used as political pawns in a war that resulted in the death of some 800,000 Americans according to the latest, revised estimates of Civil War deaths that has come to be accepted by the history profession. To this number should be added tens of thousands of Southern civilians. Standardizing for today’s population, that would be the equivalent of more than 8 million dead Americans, with more than double that number maimed for life…»

C’est un fait intéressant parce que révélateur de constater, au travers de différentes interventions épisodiques, de remarques spontanées comme l’est celle de Bob Dylan dans l’interview cité, que la question du fondement de la Guerre de Sécession (Civil War pour l’Amérique officielle, ou américaniste) reste, ou plutôt est redevenue un sujet officieux massif d’intérêt et de débat. Le point affirmé par Bob Dylan et qui sert de base aux conceptions de DiLorenzo est bien que l’abolition de l’esclavage aurait dû et pu être obtenu dans des conditions de paix et d’entente infiniment plus apaisantes et, d’autre part, que cette question de l’esclavage n’est en rien la cause centrale de la guerre de 1861-1865, mais le support idéologique introduit en 1862-1863 pour rétablir par une mobilisation idéologique sinon religieuse (“God is on our side…») la situation du Nord, alors stratégiquement catastrophique et en cours de désintégration. C’est notamment ce que nous écrivions le 16 avril 2011, en rappelant que des commentateurs et historiens aussi peu suspects de soi-disant “conservatisme sudiste” (et raciste) qu’un William Pfaff partagent cette analyse, – en l’assortissant dans le cas de Pfaff du verdict, en général sacrilège pour le Système, que la sécession, la division des USA en deux nations moins sujettes aux excès de l’“idéal de puissance” que les actuels USA, eût été préférable pour l’équilibre du monde que cette énorme puissance US d’aujourd’hui…

«…De ce point de vue, et malgré les restrictions moralistes de l’attaque contre l’esclavage qui est effectivement dans ce cas un faux nez pour l’“économie de force”, tout s’est passé comme si le Sud opposait une vision éventuellement plus traditionnaliste, mais surtout et essentiellement contestatrice de l’”économie de force”, à la vision postmoderniste du Nord (on peut effectivement faire ce constat aujourd’hui, à la lumière de la situation présente). Bien entendu, l’esclavage reste décrié, dans notre catéchisme, comme une abomination sans retour ; il reste que l’argument fut de simple circonstance pour la signification profonde du conflit, et un esclavage qui ne dit pas son nom en remplaça un autre, qui non seulement perdure aujourd’hui mais est devenu la marque évidente d’un système totalitariste emprisonnant le monde, – en un mot, le Système. Les puissances du Sud n’étaient pas des anges et l’esclavage était ce qu’il est, mais ce n’est pour cela qu’elles furent vaincues, mais parce qu’elles empêchaient l’“idéal de puissance” et l’“économie de force” de prendre le pouvoir à Washington. L’historien William Pfaff a pu écrire que, si le Sud et la sécession l’avaient emporté, ce qu’il juge rétrospectivement comme une issue préférable à ce qui s’est passé, les USA eussent été coupé en deux, peut-être plus, et l’esclavage aurait naturellement disparu au Sud, selon les conditions de l’évolution des mœurs et des exigences de l’économie, dans des conditions autrement plus satisfaisantes et favorables aux Noirs émancipés, que ce qui s’est passé. Essentiellement, l’on n’aurait pas eu la constitution de cette puissance considérable et déstructurante du monde que sont les USA du XXème siècle jusqu’à aujourd’hui, qui est la cause essentielle des conditions de crise du Système que l’on connaît depuis des décennies par le déséquilibre de puissance et d’influence que cette force impose au Rest Of the World.»

L’attaque de DiLorenzo contre Spielberg est tout à fait justifiée, y compris concernant l’importance de ce centre de propagande américaniste, parée du faux nez du progressisme et de la fiction de la movie industry devenue un fantasmagorique centre artistique libéral et inspirateur du monde, qu’est Hollywood et son hollywoodisme, annexe marchante, marchande et vertueuse du Système. La vision infantile et extraordinairement conformiste de ce Spielberg est dans ce cas l’une des forces de déstructuration et de dissolution actives de l’hollywoodisme. Par contre, l’avis de Bob Dylan sur cette affaire est une bonne nouvelle et, justement, le signe que le débat sur cette question (guerre + sécession) reste, ou est redevenu effectivement très actuel. (Il faut aussi noter que l’interprétation de Lincoln et de la Guerre de Sécession de DiLorenzo est très souvent partagée par des historiens africains américains, comme Lerone Bennett, Jr, éditeur de Ebony, qu’il cite dans l’extrait ci-dessus.)

La forme de la tromperie est courante : le camouflage d’une entreprise de centralisation forcée (prototype pour un ensemble fédéral, celui des USA, de la “globalisation” type-Système) pour imposer un ordre économiste totalitaire à l’ensemble des USA, dans le chef des milieux économiques et financiers relayés par les républicains, derrière une “grande cause” humanitaire. (Cela rappelle des affaires bien présentes…) La réussite de cette entreprise faussaire le fut au prix d’une des guerres les plus sanglantes et les plus cruelles, et l’une des plus manipulées, du XIXème, – inaugurant comme politique officielle de guerre d’un gouvernement, la terrorisation industrielle de l’ensemble culturel, psychologique, traditionnel et démographique d’une nation, le Sud, évidente dans les consignes de Lincoln au général Grant, et les consignes de Grant à ses généraux stratèges de la terre brulée pratiquée offensivement plutôt que défensivement, comme le général Sherman durant sa “Marche vers la mer”, avec la dévastation de villes comme Atlanta, qui forme une des scènes fameuses de Autant en emporte le vent.

(Voir une analyse psychologique du comportement de Grant le 16 janvier 2012, avec Le paradoxe d’Appomattox. Cette sorte de révisionnisme antiSystème de l’histoire des USA est salutaire pour notre démarche, qui est le renforcement constant par le système de la communication utilisé dans le bon sens de la lutte antiSystème. On en trouve également un exemple dans nos deux textes sur la Grande Dépression, des 26 novembre 2012 et 27 novembre 2012.)

L’essentiel pour comprendre ce conflit et lui donner sa dimension de la plus brûlante actualité est de comprendre sa dimension majoritairement économiste au lieu de le cantonner au faux-nez favori du parti international des salonards qu’est l’argument du racisme. (Nous parlons bien de la dimension de l’économisme, et nullement de l’économie : il s’agit de la doctrine de l’économisme, notamment sous sa forme ultralibéraliste actuelle, qui est une des armes du Système puisqu’elle suscite une économie, et aussi d’autres domaines, totalement déstructurants puis dissolvants, et, par son automatisme-Système sans nécessité de “complot”, jusqu’à une dimension génocidaire pour les populations.) Cette compréhension rend d’autant plus pathétique et faussaire, mais aussi déstructurante et dissolvante, l’entreprise constante en Europe de la “repentance”. Comme le montre l’analyse de DiLorenzo, la vertu véritable, structurante, est plutôt du côté des pays européens, qui réglèrent sans conflit et dans la légitimité le problème de l’esclavage. Les conséquences de type raciste (installation d’un néo-racisme institutionnalisé) ont été beaucoup plus dévastatrices aux USA qu’en Europe, où Washington organisa, par clientélisme électoral et stratégie parlementaire, un “racisme semi-officiel” dans les États du Sud à la fin du XIXème siècle, avec les “lois Jim Crowe”.

En Europe (en France pour notre cas), jusqu’à l’époque récente lançant la déstructuration de la souveraineté et la dissolution des structures sociales depuis mai 68, le racisme fut un problème secondaire. Plus que les banalités sociologiques d’une science sociale orientée et de la maestria d’un BHL, il est préférable pour s’informer à cet égard de s’instruire de l’immigration constante des Noirs US vers Paris, notamment les artistes, des écrivains aux musiciens de jazz, à partir de 1918 (voir le livre Harlem in Montmartre, de William A. Schack). Le fait que la France ait eu, sans tambour ni trompette, ni promotion publicitaire du fait, un cacique des IIIème et IVème Républiques, jusqu’à devenir président du Sénat et personnage n°2 de l’État, notamment en 1962 face à de Gaulle dans la querelle de l’élection du président de la république au suffrage universel, dans la personne du petit-fils d’un esclave noir, Gaston Monnerville, cela un gros demi-siècle avant la “divine surprise” de Barack Obama, voilà une circonstance historique qui en dit plus long que toutes les études sociologiques. La “repentance” européaniste et française, aujourd’hui, est une arme de dissolution au service du Système, qui détruit les structures existantes grâce au révisionnisme-Système du passé, qui a pour effet de donner aux élites actuelles la vertu totalement faussaire et totalement invertie de se poser comme moralement supérieures à celles du passé, au prix d’une allégeance totale au Système. Quoi qu’il en soit, cette action faussaire et invertie a atteint les limites de son efficacité et est entrée dans sa phase d’autodestruction, par ses querelles internes et les effets catastrophiques de la politique que ces élites ont inspirée. Grand bien leur fasse.

 

Mis en ligne le 1er décembre 2012 à 08H50