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11302 janvier 2009 —Depuis hier, la Tchéquie assure la présidence de l’UE, à la suite d’une présidence française particulièrement activiste. La ligne d’action de la présidence française, “favorisée” par des crises qui demandaient effectivement ce regain d’activisme, a nettement posé la question de la structure politique de l’Europe, – “Europe des nations” versus “Europe fédérale”, – avec l’avantage évident, sinon décisif pour la première formule. Ce constat est essentiel et marque une grande étape pour l’Europe; il représente un retour sinon inattendu de l’ “Europe des nations”, du moins imprévu, dans tous les cas pour la pensée et le langage en vogue à Bruxelles, marqués du conformisme standard qu’on connaît. Pour la Tchéquie, la présidence française est un legs délicat pour les principes européens, en même temps un legs lourd à porter du point de vue politique. On doit faire l’hypothèse, malgré les déclarations officielles tchèques sur les performances de la présidence française, que les dirigeants tchèque se seraient bien passés d’un tel “parrainage”.
Qui plus est, la présidence tchèque pose elle-même, en raison d’arguments structurels et conjoncturels, un autre problème enchaînant sur le précédent (“Europe des nations” versus “Europe fédérale”). C’est le problème de la valeur, de la capacité respective des nations à assurer la direction de l’Europe dans le cadre nouveau (nouvellement admis) de l'“Europe des nations”. Dans l’ordre des caractères qui l’identifient, ce problème est moins une question de poids, de volume, de dimension de la nation, qu’une question de légitimité et d’autorité de cette nation, – même si les seconds caractères dépendent souvent, bien sûr, des premiers, mais seulement en partie; le reste se trouve du côté de l’autonomie, de l’indépendance et de l’identité, du passé historique qui fonde l’identité, etc. Les qualités et les capacités de légitimité et d’autorité d’une nation placée à la présidence sont nécessaires pour mobiliser l’Europe en cas de crise brutale et grave; c’est-à-dire réunir aussitôt, dans un ensemble acceptant une dynamique de riposte et de réaction, les 27 Etats-membres, certains plus activistes que d’autres, qu’importe. Seule la légitimité, et l’autorité que la légitimité donne à celui qui en dispose, donnent le poids nécessaire à un appel à la mobilisation.
Contrairement aux plaidoiries habituelles, le fait même de trouver, et d’imposer encore moins, une politique commune est secondaire. On ne peut demander à un pays d’imposer une politique uniforme au reste, ce qui serait d’ailleurs contredire le fait même de l’“Europe des nattons” dont son activisme et sa légitimité démontrent par ailleurs la pleine efficacité et la complète nécessité. L’essentiel pour l’Europe est de pouvoir réagir devant les événements imprévus et pressants, qui sont aussi des cas extrêmement graves, sinon vitaux, – les “crises” en un mot, comme celles qu’on connaît dans nos temps courants et exceptionnels; et l’essentiel dans ce cas, pour une Europe dont on a vu qu’elle ne marche dans ces circonstances que si elle est l’“Europe des nations”, c’est la capacité de rassemblement et de mobilisation dans les cas d’urgence.
La détermination d’une politique, ou de plusieurs lorsqu’il y a différences d’analyse, est un problème chronologiquement secondaire, mais aussi secondaire en substance. S’il y a plusieurs politiques, cela ne fait qu’obéir à la logique de la diversité des nations qui sont les seuls à pouvoir effectivement intervenir, c’est-à-dire obéir à la nature de la réalité politique qu’il est absurde et inutile de vouloir contraindre. Il reste que la mobilisation coordonnée de l’“Europe des nations” crée des conditions plus faciles de coordination, et la perception d’une coordination politique européenne qui est le mieux qu’on puisse espérer obtenir en fonction de cette même réalité politique. Cette mise en avant puissante de la réalité politique en cas d'urgence constitue un général un argument décisif pour rapprocher les politiques de nations qui sont en général voisines et auxquelles sont imposées des conditions de crise proches.
Le problème de la présidence tchèque se situe effectivement à ce point: un tel pays peut-il prétendre avoir une telle capacité de rassemblement et de mobilisation dans une circonstance qui est évidemment hors des canaux habituels, réunions, sommets, planification, etc., d’une présidence de l’UE?
Il est très improbable qu’on doive assister, au cours de la présidence de la Tchéquie, à un “retour” de la Commission parce qu’il s’agit d’une présidence évidemment plus faible que la française. C’est une des hypothèses qui est parfois proposée: l’incontestable effacement de la Commission durant la présidence française a eu lieu parce que la présidence française a été une très forte présidence. La présidence tchèque étant supposée très faible, avec bien des arguments incontestables, la Commission retrouverait alors un rôle. Cette hypothèse n’a guère de raison d’être parce qu’il n’y a pas de rapport fondamental de cause à effet direct entre l’effacement de la Commission et la présidence française. (On ne parle pas ici du secrétariat général sous la direction de Javier Solana, qui travaille par définition en coordination, sinon sous l’autorité du Conseil, ce qui le place de facto dans cette position vis-à-vis de la présidence de l’UE.)
L’effacement de la Commission est un phénomène qui précède la présidence française. Il s’agit d’une situation structurelle, qui n’a cessé de s’aggraver depuis des années, qui est due à deux facteurs essentiels:
• Le cloisonnement bureaucratique de la Commission est devenu une véritable crise de paralysie et d’impotence. Il empêche cette institution d’élaborer des vues synthétiques des situations et concentre son activité sur le seul aspect opératoire de gestion, supposant et impliquant effectivement que les décisions politiques sont prises ailleurs.
• Du point de vue politique justement, la Commission est enfermée dans une vision sclérosée, basée d’une part sur un volet humanitaire complètement inadaptable; par exemple, cette position la place, pour la question politique centrale en Europe, dans ce qui est perçu comme une attitude systématique d’hostilité vis-à-vis de la Russie. D’une façon générale, cette situation soumet en général les analyses politiques à des références absurdes, utopiques, complètement détachées des exigences de la politique réelle.
• D’autre part, la persistance du dogme ultra-libéral dans les conceptions qui sont adoptées dans le travail interne de la Commission, dans la situation de crise aiguë et de mise en cause systématique de ce dogme où nous nous trouvons, également au niveau des décisions et des politiques, place cette Commission en position systématique de porte-à-faux dans les divers cas et décisions à prendre dans le courant de cette crise. Cette paralysie dogmatique répercute évidemment ce caractère de paralysie au niveau du travail de la Commission; son absence de souplesse bureaucratique est tragiquement aggravée par cette impuissance dogmatique.
Cette situation signifie effectivement qu’un “retour” de la Commission est très improbable durant la présidence tchèque. Une présidence tchèque sans crise donnerait une période invertébrée, avec des interventions extérieures et sans ligne intéressante à observer. Le cas intéressant devient alors la référence de la présidence française, c’est-à-dire une présidence avec une (des) crise(s) nécessitant rassemblement(s) et mobilisation(s), comme on l’a suggéré plus haut. Dans la situation générale où nous nous trouvons, il va sans dire parce que l'évidence nous y pousse que cette hypothèse est la plus probable, jusqu'à être écrasante et presque exclusive.
C’est alors qu’on verrait, qu’on voit posé le problème fonctionnel d’une “Europe des nations”: un petit pays peut-il assumer une telle autorité, à l’image de celle qu’assuma la France entre juillet et décembre 2008? On se doute que notre appréciation ne peut être que bien plus proche du négatif que du positif. (On doit également avoir à l’esprit que cette question concerne effectivement un “petit pays” plus que la Tchéquie précisément. Même si la Tchéquie est un cas d’espèce très spécifique, avec sa position et sa situation politique interne très faible, son président “eurosceptique”, sa situation de nouveau membre et de pays de l’Europe de l’Est, son engagement dans le système anti-missiles US, etc., son cas est d’abord celui d’un “petit pays”. Même si le problème est mieux éclairé dans sa profondeur par le fait qu’il s’agisse de la Tchéquie, il dépasse évidemment le cas tchèque.)
Au contraire de ce que certains craignent, nous estimons qu’une présidence tchèque avec une (des) crise(s) serait une excellente situation pour l’Europe. Elle permettrait à l’ensemble européen de confronter ce problème important de la capacité inégale des Etats-membres à assurer la présidence à la réalité d’une situation internationale requérant effectivement de l’Europe cette fameuse capacité de rassemblement et de mobilisation.
On observera, en commentant cette potentialité de situation, qu’il s’agit moins du sacrilège d’une pensée relaps de la vertu européaniste, que du passage à l’acte d’une question posée depuis très, très longtemps, dans tous les cas à l’échelle de l’Europe “unie”, et par les esprits les moins indignes de ce point de vue européen conforme. On peut par exemple rappeler, venant d’un séminaire tenu à Bruxelles en 2002, une intervention de l’ancien ministre hollandais des affaires étrangères et Commissaire européen des relations extérieures (1995-1999), Hans Van Der Broeck; l’ancien ministre hollandais, qu’on ne peut soupçonner en tant que tel de “gaullisme” européen, avait longuement plaidé, de sa place d’intervenant officiel du séminaire, en faveur de l’institution d’un directoire à trois à la tête de l’Europe, pour assurer une présidence continue; comme on s’en doute, les trois étaient l’Allemagne, l’Angleterre et la France.
Bien entendu, l’argument pourrait être soulevé de la cacophonie politique existante entre ces trois pays; nous renvoyons cet argument à ce qui était dit précédemment concernant l’“Europe des nations”. Dans tous les cas et en nous référant évidemment à l’inévitable référence de la “force des choses”, on observera que c’est bien de cette façon, de facto dirait-on, que l’Europe a fonctionné pendant la présidence française. La France a mené le jeu comme sa présidence l’y autorisait et l’y poussait, mais avec les indispensables partenariats avec l’Angleterre et l’Allemagne principalement, en consultation permanente, même si cette consultation montrait des divergences et des heurts. Le poids important de la France dans ce trio est une autre évidence de “la force des choses”, qui dépasse la seule opportunité de la présidence française ou la personnalité de Sarkozy; l’évidence, effectivement, dans ce que ce pays possède des caractères de souveraineté et d’indépendance uniques en Europe, qui renforcent souvent de façon décisive sa légitimité et, par conséquent, son autorité. Dans les moments intenses de crise où les calculs et les manœuvres politiques ont beaucoup moins d’importance, la “force des choses”, elle, retrouve toute sa place.