Borchgrave, Petraeus et 2012 dans le désordre

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Le commentateur de droite Arnaud de Borchgrave examine la décision sur l’Afghanistan de Barack Obama du point de vue de la politique intérieure US. Pour lui, cette décision n’a guère de sens politique et Obama s’est précipité dans un piège qui pourrait coûter à son parti la majorité au Congrès en 2010 et lui coûter la présidence en 2012 au profit du… général Petraeus. Pour Borchgrave, les USA n’ont plus les moyens de mener cette guerre et le public va rapidement s'y opposer. Il juge que l’hypothèse Petraeus est plus que jamais d’actualité (voir notre F&C du 25 septembre 2009).

Borchgrave, dans sa chronique pour UPI (via SpaceWar.com), le 14 décembre 2009

«Why Obama still felt compelled to add 30,000 troops to the 68,000 boots already on the ground, at $1 million per soldier per year, is not much of a mystery. The fear of being branded an appeaser and losing the House of Representatives next year and the White House in 2012 to Republicans is clearly paramount. The president is out on a limb but is staying close to the trunk, which leaves little room for Republican and lukewarm left-wing supporters who would saw it off. He can see these two adversaries pre-empting his own post-imperial agenda with a new slogan – e.g., Americans come home… time to rebuild America (before China eats our lunch).

»U.S. Army Gen. David Petraeus is already being auscultated by GOP scouts parsing the potential field. They recall how Gen. Dwight Eisenhower clinched his presidential campaign with “I shall go to Korea” to end an unpopular war. Once in the White House, he gave the U.S. economy a formidable booster shot -- and ordered up the interstate highway system. It became the largest public works project in history and the largest highway system (46,876 miles) in the world. […]

»[…A]lmost 60 percent of Americans asked say the country is on the wrong track. They are confused. The administration says the economic recovery is well under way. Yet almost 25 million Americans are without jobs (including those who no longer qualify for unemployment compensation as well as those who gave up looking). Seven million Americans are behind on their mortgages and risk foreclosure. Economist Peter Morici reports Wall Street banks are divvying up $140 billion in year-end bonuses on the back of $280 billion in new profits. Military men and women are pulling up to five wartime tours in Iraq and/or Afghanistan. U.S. Rep. David R. Obey D-Wis., chairman of the powerful House Appropriations Committee, says we cannot continue without a war surtax. This could cost the Democrats both houses – and change history.»

Notre commentaire

@PAYANT On connaît Borchgrave et ses inquiétudes pour la situation US, notamment en 2012, année de la prochaine élection présidentielle – et année difficile selon d’autres prévisions moins strictement politiques et prestement utilisées par les spécialistes des block buster hollywoodiens (Roland Emmerich et son film hyper-hollywoodien 2012). Le calendrier des Mayas et la période intérimaire suivant l’élection de novembre 2012, qui constitue de plus en plus un terme à la fois mystérieux et menaçant, présentent une similitude de date qui ne manquera pas d’être relevée.

Borchgrave, qui a de bons contacts avec les républicains, semble confirmer ici la tendance que nous suggérions le 12 décembre 2009 d’une opposition à la guerre devenant un des thèmes de l’argumentation des républicains. Borchgrave détermine son jugement selon des appréciations politiques du sentiment des Américains et des élites américanistes elles-mêmes, mais aussi selon une vision extrêmement pessimiste des capacités de la puissance US et de la situation intérieure US.

La référence à Petraeus semble confirmer à la fois les ambitions présidentielles du général et l’intérêt des républicains pour lui. Mais l’analogie faite par Borchgrave avec Eisenhower a une sérieuse limite, voire une contradiction. Eisenhower n’avait rien à voir avec le conflit coréen, tandis que Petraeus a, lui, tout à voir avec le conflit afghan, et notamment d’être l’inspirateur indirect de l’engagement d’Obama, par McChrystal interposé. Dans ce cas, même l’analogie initiale d’un Petraeus jouant le même rôle, en plus habile, que MacArthur, est également faussée, puisque les demandes de MacArthur furent rejetées et MacArthur démis de ses fonctions, alors que Petraeus voit ses choix confirmés et les demandes qu’il a approuvées à peu près rencontrées.

En ce sens, l’hypothèse Petraeus que renforce Borchgrave se trouve paradoxalement compromise. Pour qu’elle ait toute sa valeur, il aurait fallu qu’Obama repousse l’idée d’un renforcement en Afghanistan, ce qui n’est pas le cas. Si la relance de la guerre ne produisait pas les résultats attendus et conduisait à une débâcle politique et un affaiblissement d’Obama, la position de Petraeus qui reste l’inspirateur de seconde main de la nouvelle stratégie, ne serait pas vraiment meilleure; lui aussi porterait la responsabilité d’une absence de victoire. Pour renverser cette prospective, il faudrait que Petraeus arrive à un moment ou l’autre à créer un conflit avec Obama (par exemple en demandant de nouvelles troupes qui lui seraient refusées) ou parvienne à faire de la volonté supposée d’Obama d’un début de retrait en juillet 2011 le cas d’une possible défaite en Afghanistan à cause d’Obama… Mais alors, Petraeus apparaîtrait comme un maximaliste de la guerre alors que son argument électoral, selon l’hypothèse Borchgrave, devrait être d’abandonner cette guerre, comme Eisenhower fit avec la Corée. Si Petraeus a vraiment les ambitions que Borchgrave lui prête, il lui faut trouver un point de chute en suscitant une querelle avec Obama, et démissionner avec éclat en proclamant que, finalement, cette guerre est ingagnable. Sacrée gymnastique pour lui et, plus largement, imbroglio complexe chargé de polémiques vicieuses, qui nous promet surtout le désordre. (Où l’on retrouve les inquiétudes de Borchgrave pour la situation intérieure US lors des présidentielles de 2012 qui, dans ce climat, et si l’Afghanistan est devenu un problème national central, risque de devenir une cause de désordre. Les Mayas n’auraient peut-être pas tort, même si pour d'autres circonstances.)

L’indication importante à retenir est, par conséquent, que l’Afghanistan entre par la grande porte dans le débat national, à un moment où ni les conditions de puissance des USA, ni le climat psychologique de la population US ne peuvent laisser envisager que l’effort entrepris par Obama se déroule avec tous les moyens qu’il faut et dans la plus extrême sérénité aux USA même. Pour la sérénité, on devrait vite s’en apercevoir, dès la campagne électorale pour les élections de novembre 2010, qui commence formellement la mois prochain.


Mis en ligne le 15 décembre 2009 à 07H22