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1054La situation du oil drill du Golfe du Mexique est dramatique dans ses implications directes sur l’environnement. Elle ne l’est pas moins, semble-t-il, ou ne le devient pas moins, dans ses implications politiques et structurelles pour le système en général. On parle ici, d’abord, de l’attitude de BP vis-à-vis des divers acteurs US, à commencer par l’administration Obama. Les rapports, comme l’explique le Guardian le 31 mai 2010, s’enveniment de diverses façons.
«BP has challenged widespread scientific claims that vast plumes of oil are spreading underwater from its blown-out rig in the Gulf of Mexico. The denial comes as the oil giant prepares for a new operation to put an end to the worst oil spill in US history – which could see the leak get worse before it gets better.
»The company's challenge to several scientific studies is likely to put it further at odds with an increasingly angry Obama administration, which has accused it of playing down the size of the leak in an effort to limit possible fines. BP's chief executive, Tony Hayward, said it had no evidence of underwater oil clouds. “The oil is on the surface,” he said. “Oil has a specific gravity that's about half that of water. It wants to get to the surface because of the difference in specific gravity.”
»Hayward's assertion flies in the face of studies by scientists at universities in Florida, Georgia and Mississippi, among other institutions, who say they have detected huge underwater plumes of oil, including one 120 metres (400ft) deep about 50 miles from the destroyed rig.
»BP's claim is likely only to further anger environmentalists and the White House, which has grown increasingly suspicious of the company's claims to be frank and transparent on developments. The president's environmental adviser and director of the Office of Energy and Climate Change Policy, Carol Browner, has accused BP of misstating the scale of the leak. “BP has a vested financial interest in downplaying the size of this," she said on CBS television. “They will pay penalties at the end of the day, a per-barrel per-day penalty.”
»Ed Markey, chairman of the House of Representatives environment committee, has also accused BP of underplaying the scale of the disaster and suggested that it may have a criminal liability. “The fine that can be imposed upon them is based on how many barrels [pour in to the sea]. It could wind up in billions of dollars of fines,” said Markey. “They had a stake in low-balling the number right from the beginning. They were either lying or they were incompetent.”»
• Les relations entre la Maison-Blanche et BP ne sont pas bonnes, c’est le moins qu’on puisse en dire. Il y a toujours, et même de plus en plus d’accusations de la Maison-Blanche contre le comportement de BP : «In the White House, under increasing criticism for not taking charge of the effort to stop the spill, some officials are saying they have been misled by the company or kept in the dark at key moments. The Politico website reported that the Obama team was incensed that the company failed to inform it for a day and a half after suspending the failed “top kill” operation to plug the spill using rubber tyres and mud.
• Dans ce climat se pose la question de savoir qui dirigerait les opérations si la mésentente entre BP et la direction US s’aggravait jusqu’à des changements notables. Lundi, l’ancien secrétaire d’Etat (et ancien président du Joint Chief of Staff), le général Colin Powell, avait estimé que les militaires US devraient en prendre le contrôle parce que la crise est “hors du contrôle de BP”. La réaction des militaires a été immédiate (hier) : «The US military has ruled out taking charge of the operation to stem the flow of oil from the blown-out BP rig. The chairman of the joint chiefs of staff, Admiral Mike Mullen, today said that military chiefs had looked at the available equipment and concluded that “the best technology in the world, with respect to that, exists in the oil industry”.»
• La situation très difficile des USA a été mise en évidence par des déclarations de l’amiral Thad Allen, qui commende le U.S. Coast Guard. Les USA cherchent actuellement de l’aide de pays étrangers, de toute urgence. (de AFP, via RAW Story, le 1er juin 2010)
@PAYANT La situation de la catastrophe du Golfe du Mexique se fragmente de plus en plus en plusieurs crises distinctes. D’une part, bien sûr, la catastrophe elle-même, qui est en soi une crise massive, et qui continue à faire sentir ses effets avec la fuite toujours en activité, alors que la saison des ouragans approche, que les services météorologiques annoncent particulièrement active. D’autre part, la crise politique qui touche le président Obama pour son comportement depuis le début de la catastrophe, le 20 avril. Enfin, le troisième front, de plus en plus clairement établi, qui est celui des relations en dégradation accélérées entre les autorités fédérales et BP, avec la perspective que les premières ôtent au second son rôle opérationnel de direction dans la lutte contre la catastrophe. Mais, dans ce dernier cas, se posent deux questions, qui constituent chacune des crises en elles-mêmes : d’abord, la question de la direction opérationnelle des efforts de lutte contre la catastrophe si les autorités washingtoniennes prenaient les choses en mains ; ensuite, la question des moyens et du personnel, pour ne pas parler de la qualification, pour mener cette lutte, avec cette situation assez rare, et combien humiliante, pour les USA de cet appel lancé par l’amiral Allen à des pays étrangers. (Allen précise que, d’ores et déjà, des spécialistes canadiens sont arrivés sur place.)
La catastrophe de Deepwater Horizon continue donc à s’étendre, au propre et au figuré, comme un incendie incontrôlable. Elle met de plus en plus en évidence les faiblesses et les vices aussi bien du système lui-même que des USA, lorsqu’il s’agit d’une catastrophe qui touche aussi bien l’équilibre naturel que les structures et l’organisation de cette puissance. Aujourd’hui, c’est une situation inédite par rapport à l’habitude. La bureaucratie gigantesque et fragmentée en plusieurs centres de puissance de Washington se bat plutôt pour ne pas hériter de la direction de la lutte contre la catastrophe, plutôt que de s’en emparer comme c’est la coutume. La position du Pentagone, toujours à l’affût de nouvelles prérogatives et d’empiètements sur des domaines extérieurs, est caractéristique en cette circonstance : non, les militaires ne sont pas équipés ni qualifiés pour conduire une lutte contre la catastrophe. Pour un appareil d’Etat qui reçoit plus de $1.000 milliards par an et s’est spécialisé dans la production de matériels catastrophiques (le JSF) et de catastrophes extérieures (l’Irak, l’Afghanistan), la réaction est significative. La crise du Golfe du Mexique est en train de mettre rapidement en évidence la crise générale des USA, au niveau des infrastructures d’urgence civile autant qu’au niveau des responsabilités et des capacités de lutte contre les dangers “naturels” menaçant le pays.
Le drame continue à mettre chaque jour davantage en évidence la crise même de l’autorité politique et de la démission de cette autorité au profit des puissances d’argent. La lutte engagée entre les autorités US et BP porte moins sur les capacités de BP à lutter contre la catastrophe, – quoique ces capacités soient de plus en plus douteuses, – que sur l’impossibilité d’accorder la moindre confiance à BP pour son attitude et ses intentions dans cette lutte. BP est désormais en danger dans son existence même, confronté à une multitude d’amendes et de procès qui peuvent le déstabiliser complètement et, plus que jamais, sa seule préoccupation concerne la protection de sa propre existence et de ses intérêts, et non plus la lutte contre la catastrophe et contre les effets de la catastrophe. Face à cette position, la direction politique US ne peut rien. Elle peut menacer, elle peut frapper BP, mais elle ne peut forcer BP à mener une lutte efficace et sans restrictions contre la catastrophe.
La lutte contre la catastrophe du Golfe est une affaire d’Etat, et une affaire d’un Etat aux caractères régaliens, dont la mission est d’abord la protection du bien public grâce à la puissance publique. Le gouvernement des USA n’est rien de tout cela. Il n’a pas de caractère régalien et son intérêt pour le bien public passe d’abord par sa dépendance des puissances d’argent ; il ne dispose donc d’aucune “puissance publique” au sens régalien du terme. Par conséquent, il est impuissant face à la catastrophe, à moins d’une adaptation accélérée dont on voit mal par quel miracle elle pourrait être accomplie. Face à BP, il emploie l’habituelle politique du “système de l’idéal de puissance” : menacer de frapper et éventuellement frapper. Aucune coopération, aucune confiance entre les deux, aucune hiérarchie acceptée par tous et aucune autorité du pouvoir politique. La crise est complète, totale, – “perfect storm” s’il en est, – et elle continue et continuera à s’aggraver au rythme de la fuite monstrueuse qui se poursuit à 1.500 mètres de fond.
Il est de plus en plus difficile d’en prévoir les effets parce que “la crise” n’en est plus une, qu’elle est devenue comme on l’a vu une structure crisique complexe. Cela signifie que des intérêts divers, des forces nombreuses y sont maintenant engagées mais qu’il faut plutôt attendre de cette abondance l’aggravation constant du désordre que le renforcement de la structure de lutte contre la catastrophe. Une structure crisique est par définition incontrôlable parce que, évidemment, c’est le contraire d’une structure stable, qu’elle présente au contraire le paradoxe de rassembler en une “structure” des facteurs déstructurants par substance que sont des crises diverses. C’est la réunion entre eux de phénomènes par essence instables, les diverses crises qu’on a répertoriées, qui sont en fait des événements qui deviennent des crises dès qu'ils sont sollicités et qu’ils s’agglomèrent à la structure centrale. Tous leurs effets sont incontrôlables et nocifs, ils se télescopent, se compromettent, s’annihilent et se détruisent les uns les autres. L’incapacité du système d’imposer une autorité qui tienne son caractère de la légitimité explique effectivement que les différents acteurs impliqués songent d’abord à leurs propres intérêts et ignorent ce qu’on nommerait “l’intérêt commun” (le bien public), – ce qui est d’ailleurs logique puisque cet intérêt commun n’existe pas, à l’image de l’absence d’un bien public. La catastrophe du Golfe révèle de plus en plus dramatiquement la structure crisique fondamentale du système, l’état de désordre avancé de cette structure.
On ne sait quelle crise est la plus importante dans cette structure crisique générale mais on peut être sûr que, désormais, les USA vont vivre au rythme chaotique de cette catastrophe et de ses conséquences. A terme assez rapide, on peut avancer l’hypothèse que c’est l’équilibre même du système US qui pourrait être mis en cause. Entre toutes les images proposées jusqu’ici (“le Katrina d’Obama”, “la ‘crise des otages’ d’Obama”, etc.), nous privilégions effectivement celle que nous avions également proposée de “Tchernobyl du système de l’idéal de puissance”. Nous justifions ce choix dans la mesure où la catastrophe de Tchernobyl, en 1986, fut essentiellement le tournant tragique qui révéla l'exposition de l'impuissance du système (soviétique dans ce cas) et précipita, d’une façon publique mise en évidence par le système de la communication, l’impossibilité de remédier aux déficiences structurelles de ce système. Bien sûr, “notre Tchernobyl” serait infiniment plus grave, comme devrait l’être la catastrophe du Golfe par rapport à l’explosion de la centrale nucléaire soviétique, parce qu'il affecterait le système planétaire de notre civilisation dans son ensemble.
Mis en ligne le 2 juin 2010 à 05H58