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1142La diplomatie US est au mieux de sa forme pour cette rentrée automnale de 2013. A peine sortie de son éblouissante performance syrienne, voilà qu’elle encaisse un choc majeur avec la décision de la présidente brésilienne Dilma Rousseff de postposer son grand voyage de réconciliation du Brésil avec les USA, préparé de longue date par le département d’État pour la mi-octobre. Ce second exploit enchaînant sur la performance syrienne est évidemment un cadeau incontestable de la NSA. On a suivi l’offensive dévastatrice de Greenwald-Snowden contre (entre autres) les activités de la NSA espionnant directement et sans la moindre vergogne la correspondance électronique de la présidente du Brésil. (Voir notamment le 13 août 2013, le 3 septembre 2013 et le 4 septembre 2013.) Rousseff qui était en général perçue comme plus modérée vis-à-vis des USA que son prédécesseur et mentor Lula, se trouve donc dans la nécessité de se radicaliser. Les pressions au Brésil, y compris des pressions de Lula lui-même, ont convaincu Rousseff qu’elle ne pouvait pas laisser la situation sans une réaction marquante. Le mécontentement populaire actuel au Brésil ne lui permettait pas non plus de passer outre à cette agression des USA, lesquels ont atteint à cette occasion, dans le pays, un degré remarquable d'impopularité. Plus encore, cette décision marque combien les explications rassurantes promises successivement par Kerry, lors de son voyage de réparation des dégâts de la NSA en Amérique Latine, – tournée désastreuse, – et par Obama au G20, personnellement lors d’un entretien avec Rousseff, n’ont produit aucun effet réparateur.
Le Guardian, qui a Greenwald dans ses rangs et qui mène l’offensive anti-NSA, fait une place importante à la décision de Rousseff, le 17 septembre 2013, sous la plume de son correspondant à Rio Jonathan Watts. (Ce dernier point, pour une affaire qu’aurait du traiter Greenwald, qui séjourne à Rio, indique indirectement que le même Greenwald est bien assez occupé à une nouvelle volée de révélations-Snowden sur la NSA. Un peu de patience...)
«The Brazilian president, Dilma Rousseff, snubbed Barack Obama on Tuesday by postponing an official visit to Washington in protest at the spying activities of the US National Security Agency. [...] Despite a last-minute call from Obama, Rousseff's office released a statement saying the political environment was not amenable for the planned trip on 23 October. “Given the proximity of the scheduled state visit to Washington and in the absence of a timely investigation … there aren't conditions for this trip to be made,” the statement read. “The Brazilian government is confident that when the question is settled in an adequate manner, the state visit can quickly occur.”
»A statement from the White House said: “The president has said that he understands and regrets the concerns disclosures of alleged US intelligence activities have generated in Brazil and made clear that he is committed to working together with President Rousseff and her government in diplomatic channels to move beyond this issue as a source of tension in our bilateral relationship. As the president previously stated, he has directed a broad review of US intelligence posture, but the process will take several months to complete. For this reason, the presidents have agreed to postpone President Rousseff's state visit to Washington scheduled for October 23.”»
Tout cela (les citations qui précèdent) est assez grisâtre et marque l’embarras et la confusion, y compris du côté brésilien où Rousseff espérait beaucoup de ce voyage. Mais sa modération relative dans l’opposition aux USA est désormais soumise à une rude pression et oblige peu à peu la présidente brésilienne à revenir à la politique plus radicale de Lula, et cela grâce à l’action et au comportement US, absolument emprisonnés par les exigences radicales à la fois du Système et de l’hybris régnant à Washington de ne reconnaître aucune culpabilité dans le chef de l’activité américaniste, en général parce qu’il est admis, comme un caractère même de la psychologie du domaine (l’inculpabilité), que la culpabilité est un trait inconnu pour l'américanisme.
Par conséquent, il y a un refus qui semble sans retour d’exprimer effectivement des excuses pour la manigance commise. Le Guardian le précise de facto, en rappelant les exigences de Lula que les USA s’excusent auprès du monde entier pour l’activité de la NSA, et la réaction de Washington qui se situe au niveau d’une vague compréhension de la colère des autres sans reconnaître en aucune façon que le système de l’américanisme (la NSA) est la cause de cette colère ... D’ailleurs, on peut être assuré que la NSA, par l’automatisme de l’entité autonome et incompréhensible qu’elle est devenue, continue son travail d’espionnage sans que personne ne s’en avise vraiment ni ne s’en préoccupe ; d’ailleurs (suite), tout le monde est bien assez occupé, à la NSA, à tenter de soigner sa dépression dans le climat général de dissolution (voir ce 18 septembre 2013), pour même profiter pleinement des fruits de la poursuite de cette activité.
«Former president Luiz Inácio Lula da Silva said Obama should apologise to the world. Justice minister Jose Eduardo Cardozo said the reports, if confirmed, “should be considered very serious and constitute a clear violation of Brazilian sovereignty”. In response, US officials have adopted a softer tone. US national security adviser Susan Rice said the reports raised “legitimate questions for our friends and allies”. But the White House has stopped short of the explanations and apologies requested by Brazil.»
Un résultat parallèle intéressant de cette affaire NSA/Rousseff, autre crise spécifique née de la crise générale Snowden/NSA, est une mobilisation entre le Brésil et l’Argentine pour établir en coopération une défense efficace contre l’agression de la NSA. Russia Today rapportait quelques détails, le 16 septembre 2013, de la rencontre à Buenos Aires des deux ministres de la défense brésilien et argentin. Dans son texte annonçant le report sine die du voyage de Rousseff aux USA (le 18 septembre 2013), Russia Today donne un commentaire d’expert sur cette initiative, celle-ci comme pouvant devenir un modèle international de défense contre la NSA, et de protection de l’internet contre les attaques de l’agence US.
«Some experts believe that Brazil, along with other countries, should use the NSA leaks scandal as an opportunity to take a stand on internet governance. “The fact is the government wants to offer Brazilian internet users a stronger protection for their privacy. It is a great opportunity, not only for Brazil, but for many countries to really take a stand on internet governance and really try to understand how the future of the internet and communications as a whole will end up coming out of this huge scandal about the NSA leaks,” director of the Institute of Technology and Society, Carlos Affonso Souza, told RT.»
... Si ce n’est une guerre, cela y ressemble, dans tous les cas sous l’étiquette aujourd’hui largement utilisée de cyberguerre. Avec cette alliance Argentine-Brésil, et avec les divers autres avatars (l’affaire Morales/Snowden et ses conséquences en Amérique du Sud), c’est effectivement tout un continuent, où les USA n’étaient déjà plus très populaires, qui devient un bastion d’opposition active et quasiment guerrier aux pressions et ingérences des USA. L’aventure survenue à Rousseff durcit nécessairement le plus grand pays du continent, qui était prêt à améliorer ses relations avec les USA après le départ de Lula. On ignore si la NSA sert encore à quelque chose au niveau du renseignement, mais au niveau diplomatique elle est absolument dévastatrice.
Le plus révélateur dans cette affaire, c’est, comme on l’a déjà signalé, l’incapacité de la direction politique US de donner des explications et des garanties suffisantes pour éviter un si fâcheux épisode, qui torpille toutes les manœuvres de tentative de récupération de l’influence US sur le continent Sud. Les balbutiements d’un Obama et d’une Rice, la visite de Kerry, une rencontre Obama-Rousseff au G20, à chaque fois des promesses de mesures ou de démarches permettant d’aplanir le contentieux, – et toujours rien de tangible. Il s’agit d’un développement absolument révélateur de l’incapacité de la direction politique de contrôler la NSA, voire d’obtenir quoi que ce soit de la NSA ; accessoirement, quoique l’accessoire en dit long, on peut se demander si quelqu’un, y compris dans le chef de la casquette de commandeur du général Alexander installé sur son trône type-Star Trek dans la salle des opérations de l'agence, est capable d’obtenir quoi que ce soit dans le sens de l’apaisement de la part de la NSA. Il y a fort à parier que la NSA poursuit son travail d’espionnage et de surveillance de Rousseff selon les normes de surpuissance établies dès l’origine.
Bien, surpuissance égale autodestruction quand on constate les dégâts obtenus ; finalement, il n'y a rien pour nous étonner. Reste à savoir si la NSA obtempérera un jour et si Rousseff effectuera finalement ou non sa visite aux USA. Pauvre spectacle de l’“hyperpuissance” totalement prisonnière de son hyperpuissance qui tourne folle : spectacle d’époque, à ne pas croire, et qu’il faudra pourtant croire, et même prévoir, car cette sorte de situations ne cessera désormais de se multiplier, suivant la spirale en pleine accélération de l’effondrement subreptice.
Mis en ligne le 18 septembre 2013 à 10H38
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