BRIC à BRICS, le G20 s’effondre…

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En mars, l’Afrique du Sud est devenue officiellement le cinquième pays de l’organisation informelle BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), BRIC devenant BRICS par conséquent. Le 15 avril, le BRICS s’est réuni dans la ville chinoise de Sanya, sur l’île de Hainan. Le lendemain se tenait le sommet du G20, peu importe où (à Washington, pardi). Le premier sommet a complètement éclipsé le second.

A propos du second (G20), Liam Halligan écrit ces deux simples phrases, dans le Daily Telegraph du 16 avril 2011 : «On Friday, at its latest summit in Washington, the G20 group of nations issued a communiqué. I don’t know why anyone bothered. The document was meaningless.»

Halligan constate le complet naufrage du G20 par rapport à ses prétentions de 2008-2009 de représenter le premier “directoire” du monde, associant puissances du bloc américaniste-occidentaliste et puissances “émergentes” (dont celles du BRIC d'alors). Il donne la principale raison de cet échec, qui tient à l’attitude des USA et aux divisions qu’engendre cette attitude chez les autres, autant à ce niveau qu'à celui d'autres questions polémiques…

«The G20 is clearly failing as an effective decision-making body. Its member states disagree entirely about the reasons behind recent global financial instability, so have no shared analysis of what to do. The big emerging markets, in particular, are furious that the US seeks to wield the dollar’s reserve currency status as a “weapon”, using so-called “quantitative easing” to export inflation and debase the value of America’s debts to the rest of the world. The “emerging giants” also complain that, while broader than the G7, the G20 is still run by Western powers essentially to promote their own interests.»

Par contraste, le sommet du BRICS montra cohésion et cohérence, d’une façon qui devrait être à la fois une leçon et un avertissement pour les puissances du bloc BAO qui tentent de promouvoir le G20. Le sommet du BRICS s’attacha ouvertement et de façon critique à la question de l’hégémonie du dollar, chose impensable au sein du G20.

«Some say the BRIC group makes no sense. Russia and Brazil are big commodity exporters, for instance, while China and India are major importers of such goods. Yet all four nations share a common cause, being united in their determination to convert their new economic power into international political clout – a determination fuelled by the West’s continued dominance of the IMF, the World Trade Organisation and other global regulatory bodies.

»A key topic at the Hainan summit was the dollar’s reserve currency status. The importance of the greenback’s predominance in global trade cannot be over-stated. Being reserve currency allows the dollar to defy gravity even though the US keeps borrowing and expanding its money supply. So America is acutely sensitive to any signs such reserve status is slipping.

»As such, it is interesting the BRICs just signed an agreement to grant one another loans in their national currencies, not in dollars. The mighty Chinese Development Bank has now formally offered 10bn yuan loans to other BRIC members, expected to focus on large oil and gas projects.

»Russia and China are now trading oil in rubles, rather than dollars. A Sino-Russia oil pipeline recently opened, almost ignored by the Western media, which will eventually pump 1bn barrels a year from Siberia to the People’s Republic. It will soon be joined by a gas pipeline too. These developments undermine the dollar’s role of global petro-currency, the bedrock of its reserve currency status. They are of huge geostrategic importance.

»The BRICs are all creditors to the US – with the Chinese, in particular, holding vast swathes of American Treasury bills. So they won’t make any sudden moves in terms of dislodging the dollar as “top dog”, as that would harm the value of their T-bill holdings. They are, though, pushing for the IMF to overhaul the role of Special Drawing Rights, the international unit of account comprising the dollar, euro, yen and sterling.

»Were the yuan and possibly the ruble to be included, the BRICs say, then the SDR could ultimately replace the dollar. That would be anathema to Washington, formally ending America’s global hegemony and forcing it to address its massive overseas debts. It was a message the BRICs wanted to emphasise in Hainan, just in time for this weekend’s spring meetings of the World Bank and the IMF in Washington.»

La veille du sommet du BRICS (14 avril 2011), Fedor Loukianov, de Novosti, avait justement analysé la composition, les ambitions, les caractères du BRICS, à la lumière du constat qu’il exposait dans son titre, – justement : «BRICS: le groupe pourrait faire contrepoids au G8»… Ce n’est pas de “contrepoids” qu’il faut parler, mais de supplantation pour ce qui concerne les pays émergents.

Au travers de quelques observations sur la position de la Russie dans le BRICS, Loukianov donne une bonne définition du BRICS, et de la formule de son succès.

«Après la crise financière mondiale qui a montré la différence de développement économique des pays du BRIC, les sceptiques ont annoncé la fin proche de ce groupe informel. Les commentateurs occidentaux sont particulièrement surpris par la présence de la Russie dans ce groupe: que fait un Etat pétrolier avec des perspectives de modernisation floues parmi les “leaders de demain”?

»Toutefois, les doutes quant à la légitimité de l’appartenance de la Russie au peloton de tête sur un pied d’égalité avec les autres pays du BRICS seraient justifiés s’il était uniquement question des perspectives financières et économiques évoquées par les banquiers américains. Cependant, pour les pays membres, le BRICS est avant tout une entité politique, ce qui reflète le besoin objectif d’une structure mondiale plus diversifiée et moins centrée sur l’Occident. D’ailleurs, c’est ce dont a récemment parlé le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov: il s’agit avant tout d’une alliance géopolitique.

»Il est à noter qu’au cours du récent vote au Conseil de sécurité des Nations Unies sur la Libye, le BRIC a fait preuve d’une solidarité étonnante: la Russie, la Chine, l’Inde et le Brésil se sont abstenus, donnant l’impression d’avoir concerté leur position. Toutefois, l’Afrique du Sud a soutenu la coalition occidentale.»

Suit une mise en perspective de la position du BRICS par rapport à la perception qu’en ont le bloc BAO, et, surtout, les États-Unis d’Amérique bien entendu… Perception de concurrence, perception agressive, bien caractéristique de l’“idéal de puissance” dont cette puissance est et restera le porte-fanion aveugle et déterminée jusqu’à sa chute finale, – comme l’on est fasciné par sa propre disparition suicidaire.

«Tous les pays formant le BRIC ne sont pas seulement des Etats se développant rapidement, mais des "pôles" principaux de l’ordre multipolaire. Et c’est la raison pour laquelle la réduction des critères d’existence de ce groupe d'Etats à des indices économiques signifie que la méthode utilisée pour l'analyser est erronée.

»La conception du BRIC est tombée à point nommé pour la Russie, qui depuis 1991 n’avait toujours pas acquis d'identité stable en termes de politique étrangère. Il était difficile de trouver un format plus approprié pour, premièrement, corriger le vecteur global de sa politique étrangère en renforçant l’axe non-occidental; deuxièmement, rappeler que la Russie a des intérêts à l'échelle mondiale, qui après l’effondrement de l’URSS est devenue régionale; troisièmement, souligner les points communs avec les pays leaders en termes de rythme et de qualité de la croissance économique. Et tout cela de manière non-conflictuelle, car tous les membres du groupe récusent fermement toute velléité de création d'une organisation dirigée contre d'autres pays. Toutefois, les Etats-Unis n’y croient pas. Les Américains estiment que le BRICS est une structure qui vise à affaiblir les Etats-Unis.

»Les pays du BRICS n’ont formulé aucune volonté de ce genre, d’autant plus qu’ils sont liés avec les Etats-Unis par des relations d’interdépendance économique (la Chine, l’Inde, le Brésil) et politique (la Russie). Toutefois, quoi qu’on dise ou pense dans les capitales des pays du BRICS, étant donné qu’il s'agit d’un système international fermé, les analystes qui disent que la croissance de l’influence du BRICS n’est possible que grâce à la réduction, même relative, de l’influence de l’Occident ont raison.»

Il y a donc dans l’analyse de Loukianov le constat d’une fatalité, qui est celle de la concurrence et de l’affrontement, comme vu plus haut. Les Russes eux-mêmes l’ont bien compris, qui écartent désormais une définition économique du BRICS (ce qu’ils ne faisaient nullement en 2009) : «[…C[’est ce dont a récemment parlé le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov: il s’agit avant tout d’une alliance géopolitique.» A cet égard, la conception russe, et celle des autres membres du BRICS coïncident, comme l’a montré le vote coordonné anti-BAO à l’ONU sur la question de la Libye. Cette évolution du BRIC (BRICS) n’a pas été voulue ni préparée dans ce sens, mais, elle aussi, une fatalité d’évolution induite par l’évolution même des forces générales en action, dépassant les conceptions et volontés humaines. Le BRICS suit une course imposée par les tensions résultant de ces forces, et marquées par la crise du Système, des USA principalement, avec l’attitude du Système d’accroître encore cet antagonisme qui est l’une des causes conjoncturelles de cette crise  ; fascination, toujours, pour “sa propre disparition suicidaire”.

Le BRICS devient un outil fondamental dans l’affrontement caractérisant la crise centrale du Système, bien plus qu’une alternative à l’ordre ancien qui s’effondre qu’il pouvait prétendre être à ses débuts. Avec ce point de vue, nous divergeons de ces analyses qui font du BRICS l’institution alternative à celle du bloc BAO, comme nous divergeons tout aussi radicalement de ceux qui mettaient en doute sa cohésion et sa durée au nom de leur seule analyse économiste. Comme le constate Lavrov, le BRICS est une entreprise géopolitique, mais elle n’est pas là pour faire perdurer cette fonction puisque la géopolitique n’a plus guère d’importance, mais pour se référer à cette force de rangement ancienne qu’est cette même géopolitique, à laquelle répond la prépondérance US. Ainsi se fait l’attaque (du BRICS) contre la prépondérance US, grâce à cet outil obsolescent d’un rangement géopolitique mais encore efficace pour ceux qui croient encore au rangement géopolitique, qui est une manifestation en perdition des conceptions de puissance déchaînée des USA. Nous soutenons l’explication selon laquelle, pour nous, le BRICS, n’est pas l’instrument de l’avenir, soit d’une puissance à venir, soit d’une structure de puissance à venir, parce que l’avenir dépend de bien trop de facteurs étrangers puissants à cette logique pour qu’elle puisse être organisée par un seul composant. Non, le rôle principal du BRICS, malgré ce qu’en veulent ses membres, est bien celui que perçoivent les USA, – leur paranoïa étant finalement la règle de fonctionnement du Système : le BRICS formé pour porter une attaque puissante contre le Système dont dépend les USA, et le bloc BAO d’une façon générale. C'est un rôle fondamental,n qui justifie toute l'importance qu'on accorde au BRIUCS.

Le BRIC devenu BRICS est d’un intérêt prodigieux, surtout parce qu’il porte en lui le destin fatal du G20. Le G20 était une extension du G8 pour offrir avec condescendance un strapontin à quelques “émergents” avec lesquels il était de bonne politique de montrer une politesse convenue ; à partir de l’automne 2008, il est devenu la bouée de sauvetage du bloc BAO, enterrant le G8 pour l’occasion, les pays américanistes-occidentalistes trouvant soudain bien du charme aux “émergents” chargés brusquement des vertus de la puissance économique et pouvant éventuellement participer au sauvetage du Système ; désormais, le G20 est sur la voie de son naufrage dans l’indifférence, le BRIC devenu BRICS ayant montré que les “émergents” entendaient s’organiser eux-mêmes. Le BRICS commence donc à être nommé “G5” par les américanistes-occidentalistes, signe du respect nouveau qu’ils éprouvent pour lui, et de l’espoir qu’avec cet numérotation très américaniste-occidentaliste il s’inscrira à son rang dans la structure américaniste-occidentaliste. Cet espoir n’a strictement aucune raison d’être.


Mis ebn ligne le 18 avril 2011 à 09H26