Cablegate et “transparence”… Allons-y !

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Il y a eu Cablegate et il y a maintenant des retombées directes sur les pratiques diplomatiques. On avait cité le 13 décembre 2010 les dires assez audacieux du président de Pologne à l’encontre des USA. Maintenant il s’agit de l’ambassadeur chinois à Bruxelles.

Nous allons présenter des extraits de l’article de EUObserver du 16 décembre 2010., – mais à l’envers dans l’ordre de présentation des nouvelles… Plus loin après le début de l’article, on parle d’un câble WikiLeaks sur l’attitude de l’UE vis-à-vis de la Chine, et notamment de la levée de l’embargo des armes de l’UE vers la Chine.

«“This is an action request for all [US] Embassies in EU countries to reiterate our position that the EU should retain its arms embargo on China,” said the cable, dated 17 February 2010 and signed “Clinton” referring to secretary of state Hillary Clinton.

»In a cable from two weeks earlier, an EU official said that an end to the bloc's arms embargo would be beneficial for Sino-EU relations but that it is unlikely to come about because of the negative “conséquences” that would flow from Washington.»

Sans prétendre que ses déclarations soient liées au câble, ce qui fait sans doute partie de l’énigmatique ironie chinoise, l’ambassadeur chinois parlant devant un petit groupe de journalistes n’a pas du tout mâché ses mots… C’est ce que nous désignerions sans l’ombre d’une hésitation d'un processus “de cause à effet”…

«Europe's willingness to take directions from other world powers is “pitiful” and “pathetic” China's top man in Brussels has said. […]

»“The EU and China are now strategic partners and it doesn't make any sense to maintain the embargo ... I also think it is pitiful and pathetic that Europe can't make decisions on its own, without being influenced by other powers,” China's Mr Song told a small group of journalists in Brussels on Wednesday (15 December). He added that the bloc's subservience leads many to believe that it is weak.

»The senior diplomat, who has lived in the EU capital for three years, was speaking generally and did not wish to be drawn on the leaked cables.»

Notre commentaire

@PAYANT D’une part cette déclaration a été faite devant des journalistes, donc pour être répercutée telle qu’elle fut dite ; d’autre part elle a été faite par une haute personnalité chinoise ès qualité, à visage découvert et en tant que telle, comme une véritable déclaration officielle engageant la Chine. Dans ce cas, la sévérité du jugement, dont on reconnaît sans peine qu’il est évidemment totalement fondé, prend une allure remarquable sinon exceptionnelle. Il n’a pas attiré (jusqu’ici) de réponse officielle ou de mise au point semi-officielle, et il n’est même pas assuré qu’il ait franchi le rideau opaque de la bureaucratie européenne jusqu’à prendre exactement toute sa signification et toute sa dimension ; cela laisse la possibilité, sinon la probabilité qu’il n'y sera rien répondu, ce qui est la meilleure attitude lorsqu’on n’a rien à répondre. Pourtant l’ambassadeur chinois à Bruxelles qualifie à peine indirectement et tout à fait explicitement le comportement de l’Union européenne de “pitoyable” et de “pathétique” dans la façon dont l’Union suit naturellement, – nous dirions sui generis, sans nécessité de manipulation quelconque contrairement à toutes les thèses en vogue, – une attitude de la plus complète servilité vis-à-vis des USA. Il existe aujourd’hui une mécanique psychologique générale dans la bureaucratie européenne, qui dépasse les individus, les services et les politiques, et qui fait de l’alignement et de la servilité de l’UE par rapport aux USA une sorte de fonction vitale du système, comme l’est le simple fait de respirer.

C’est ce que signifie le diplomate chinois, et il le signifie d’une façon à la fois brutale, méprisante et presque désabusée. Ces sentiments ainsi exprimés en public sont complètement inhabituels, bien qu’ils n’aient pas fait les grands titres des journaux de ce qu’on nomme “la presse officielle”, ou presse-Pravda… (Cela, pour plusieurs raisons : parce que ces commentaires sortent des normes admises pour composer les choix des informations de “la presse officielle” ; parce qu’on ne sait comment les expliquer d’une façon satisfaisante, sinon en reconnaissant qu’il existe effectivement la possibilité d’une telle tendance à la servilité (même pour la nier, il faut en reconnaître la possibilité) ; parce que, en vérité, on ne sait quoi répondre à de tels constats tant il s’agit effectivement de constats bien plus que d’accusations ou de supputations.)

Encore une fois, et comme dans le cas polonais rappelé ci-dessus, nous sommes clairement inclinés à considérer cette intervention, d’abord comme exceptionnelle par rapport à la sorte de déclarations auxquelles nous sommes accoutumés, ensuite comme indirectement, sinon directement, issue du climat nouveau créé par les fuites de WikiLeaks. Contrairement à ce qu’on débat en général, ce n’est pas tant le “secret” que les fuites mettent en cause que le franc parler, et c’est pourquoi nous avons aussitôt identifié cette affaire à une attaque frontale contre le virtualisme qui caractérise, presque comme une idéologie, le comportement de communication des directions occidentalistes-américanistes ; lequel virtualisme, effectivement, ne dissimule pas à proprement par des “secrets” au sens technique du terme mais offre une version de la réalité sans le moindre lien avec la vérité de la réalité du monde, nous dirions presque sans le moindre intérêt pour la vérité de la réalité du monde. Ce que dit l’ambassadeur chinois n’est pas un “secret” mais une part de la vérité du monde, que tout le monde connaît, de constat direct ou d’intuition irrésistible, mais que le virtualisme ne possède pas dans son lexique, donc que personne dans la sphère virtualiste ne peut concevoir de dire. Il s’agit donc d’une intervention qui répond effectivement au nouveau climat que fait naitre les fuites de WikiLeaks. C’est un effet intéressant parce qu’il n’est pas vraiment ce que nombre de diplomates ont déploré en affirmant que, désormais, la diplomatie ne pourrait plus effectivement être conduite. C’est alors qu’on peut plus parler de Cablegate (la crise ouverte par les fuites) que le cas des fuites de WikiLeaks. Cablegate ouvre une nouvelle période pour la psychologie, nullement pour la technique des “secrets” de la diplomatie. Il conduit à faire dire effectivement et publiquement les pensées réelles des dirigeants (sauf de ceux qui restent infectés et sans espoir de guérison par le virtualisme, comme la direction US et l’UE principalement, – à moins qu’un antidote soit prochainement découvert) ; l’ambassadeur chinois n’a pas dévoilé un “secret” et la diplomatie chinoise continue son travail selon les normes habituelles ; par contre, il a dit clairement, publiquement, abruptement, et d’une façon absolument rafraîchissante ce que la direction chinoise pense du comportement de l’UE. (Certains y verront une manifestation de l’“arrogance de la puissance chinoise”, ce qui est en effet l’explication toute faite que le virtualisme tient prête pour cette sorte d’intervention ; on serait tenté, une fois encore, de paraphraser Montherlant, – “va jouer avec cette poussière”, – tant cette explication est, elle aussi, “pathétique” et “pitoyable“.)


Mis en ligne le 18 décembre 2010 à 06H28