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167620 août 2010 — Les événements climatiques ont été, à divers égards, exceptionnels durant ces huit premiers mois de l’année. C’est-à-dire qu’ils ont contribué à renforcer la position de la crise climatique, partie de la crise de l’environnement, dans la hiérarchie des préoccupations des dirigeants politiques. Avec l’impact environnemental et l’écho par le système de la communication, les catastrophes russe (incendies) et pakistanaise (inondations) ont très fortement contribué à cette évolution de la perception de la crise climatique, qui prend désormais une place essentielle dans la structure crisique qui caractérise aussi bien les relations internationales que la crise générale du système.
Quelques références d’information et d’analyse sont données dans notre rubrique Ouverture libre.
• Une analyse générale, présentée ce 20 août 2010, qui explore l’évolution générale que les événements climatiques de l’année 2010 sont en train de susciter, notamment au niveau politique. Il s’agit notamment et essentiellement de l’évolution de la Russie, en fonction de la catastrophe climatique et écologique qui frappe ce pays. (En deux mois, 10,79 millions d’hectares, essentiellement de forêts, ont brulé, selon Novosti ce 19 août 2010, qui relaie l’évaluation de Centre Global de Suivi des Incendies, de Freibourg, en Allemagne. Pour comparaison, les forêts françaises couvrent une superficie totale de 14,23 millions d’hectares.)
• Une analyse, ce 20 août 2010, des réactions des USA et du Pakistan, en fonction des relations communes entre ces deux pays, à l’occasion de la catastrophe (inondations) du Pakistan. Ces réactions portent essentiellement sur l’aspect de la sécurité stratégique.
L’année 2010 est pourtant loin d’être finie… Elle est donc déjà marquée comme une date importante, dans deux domaines. D’une part, il y a une extension notable, sinon brutale, des événements écologiques catastrophiques nécessairement liés, dans un sens ou l’autre, à la crise climatique, et par conséquent rendant brutalement cette crise beaucoup plus dramatique à cause de ses effets directs et indirects ; d’autre part, il y a l’approfondissement dramatique de la perception des problèmes généraux liés à cette crise, autant de la situation écologique avec toutes ses ramifications que des implications politiques et stratégiques. Pour autant, la situation n’en est nullement clarifiée ; au contraire, c’est de complications supplémentaires qu’il faut parler, avec le constat que la crise climatique ne prend nullement le chemin de supplanter les autres, de créer un univers différent (éventuellement, avec le miracle d’une union des puissances politiques contre cette crise), mais plutôt de compliquer les autres crises déjà existantes, de leur donner des dimensions inédites, de provoquer chez elles des effets inattendus.
Le résultat est un chaos grandissant entre des antagonismes et des contradictions de plus en plus difficiles à supporter, et aussi de plus en plus difficiles à contrôler parce qu’elles viennent de domaines si différents. Nul n’en sort intact, nul n’en sort vertueux ; mais, de plus en plus, nul ne peut se laver les mains de ces événements, justement à cause des antagonismes et des contradictions qui rendent si difficiles les choix à faire. Encore s’agit-il de ne pas oublier que cette situation générale se complique d’autres crises majeures qui sont au départ autonomes mais qui ajoutent aux antagonismes et aux contradictions, interfèrent bien entendu dans les perceptions et les réactions face aux crises nées des catastrophes climatiques, comme cette crise économique générale qui, très logiquement, penche vers un nouveau paroxysme.
Ces interférences concourent à grandir encore plus la “politisation” des crises eschatologiques nées de la crise climatique générale. Les deux grands événements de l’été, – les inondations du Pakistan et les incendies de Russie, – sont gros de cette “politisation”, l’un directement, l’autre indirectement. On voit aussi bien dans les textes cités plus haut combien Américains et Pakistanais n’envisagent la crise climatique que sous l’angle stratégique de la stabilité du régime, tandis que Jay Gulledge du PEW Center on Global Climate Change s’interroge sur les conséquences pour la Russie si les talibans et quelque al Qaïda de circonstance s’assuraient le contrôle du Nord du Pakistan et poussaient vers les états intermédiaires, jusqu'à la frontière russe, à l’occasion de cette catastrophe, où le gouvernement paraît complètement inefficace. Pour ce qui est de la catastrophe russe, on a déjà lu notre analyse où nous estimons que tout est en place pour que cette crise conduise à des réactions européennes, de type stratégique même si la forme ne l’est pas, pour participer à l’effort du maintien de la stabilité russe, qui est un élément déterminant de la situation européenne.
D’autre part, concernant la Russie encore, il y a les conséquences à mesure de la cessation des exportations de céréales russes à la suite de l’effet de la catastrophe sur les récoltes. La production devant chuter de 20% à 30%, le gouvernement russe réserve cette production pour la seule consommation intérieure. On imagine bien entendu qu’il y aura des conséquences sur la stabilité du marché international des céréales, au niveau des prix, de l’approvisionnement, etc.
Ce qui apparaît de plus en plus, c’est que les catastrophes engendrées par l’instabilité climatique, et envisagées dans le cadre de la crise climatique, couvrent de telles surfaces et affectent tant de processus qu’elles ne peuvent pas, à un moment ou l’autre, ne pas acquérir un sens stratégique. La compartimentation des différentes structures du système, notamment des structures de sécurité, conduit effectivement à privilégier nécessairement dans le chef de ces structures une dimension stratégique dans une catastrophe climatique. On se trouve alors dans une situation d’une complexité extrême : une crise climatique engendrant une catastrophe dite “naturelle” peut alors générer, et génèrent effectivement, le plus souvent, des réactions très différentes, des perceptions extrêmement divergentes. Pour telle structure, il s’agira d’une catastrophe humanitaire, pour telle autre d’une crise stratégique, pour telle autre d'une crise économique, etc. Au contraire d'une vision synthétique, on constate la multiplication des perceptions sectorielles.
Ce qui est remarquable également, par rapport à ce que l’on prévoyait des crises nées des catastrophes provoquées par la crise climatique, c’est justement ce fait qu’elles sont directement “politisées”, sur le terrain même de la catastrophe. Les prévisions à cet égard était que les crises nées des catastrophes climatiques deviendraient stratégiques par enchaînement, disons plutôt d’une façon indirecte (par exemple, une catastrophe climatique touchant l’approvisionnement d’une matière première stratégique, et provoquant des tensions, voire des conflits par ricochets, entre puissances qui veulent s’assurer les sources d’approvisionnement restantes). On voit que ce n’est pas le cas, que les conséquences qui “politisent” la crise sont directes et quasi-immédiates. Le phénomène de l’intégration de la crise climatique dans la structure crisique est complet, très rapide, multiforme. Il ne cesse de se confirmer, de se renforcer. Ainsi notera-t-on que la multiplicité observée plus haut renvoie, pour chacun, à une crise spécifique née de la crise climatique, ce qui implique effectivement que cette crise entre dans sa maturité “opérationnelle”.
A ce point, et pour hausser notre niveau d’analyse, on remarquera une fois de plus la rapidité des événements. Depuis vingt ans que la crise climatique s’est installée dans l’“agenda” officiel de la structure des relations internationales (depuis le sommet de Rio de Janeiro du printemps 1989), les prévisions sur la maturation de la crise n’ont cessé de s’aggraver et le caractère dramatique et pressant des événements qu’on peut lier à cette crise s’est précipité d’une façon également très rapide, à mesure inverse du rythme des mesures et accords pris de manière collective contre le phénomène. (Pour qui se souvient de la chose, le climat de la psychologie des dirigeants mondiaux, y compris celui de la libre-échangiste Thatcher, était beaucoup plus ferme et décidée pour la lutte contre la crise climatique qu’il ne le paraît aujourd’hui.)
En 1995 ou en 2000, voire en 2005, on n’envisageait nullement de tels impacts de cette crise, par exemple pour l’année 2010. Même le “rapport Stern” d’octobre 2006 n’envisageait pas une telle rapidité. On envisageait plutôt, dans la partie prévisionnelle de ce rapport, les conséquences politiques et doctrinales sur l’évolution des directions politiques prenant des mesures préventives contre cette crise annoncée pour plus tard. Le fait est que ces conséquences politiques et doctrinales, beaucoup plus lentes, dispersées et confuses qu’on ne prévoyait, sont dépassées par les événements de crise qu’elles étaient censées prévenir en bonne partie. En une décennie, la crise climatique a pris de court toutes les prévisions et est entrée dans une zone d’activité majeure, avant même qu’une défense collective ait pu être esquissée. Voilà qui est à mettre à l’actif, c'est-à-dire au passif d’un système incapable d’affronter, sinon d’imaginer les conséquences catastrophiques de sa propre action
Quant à la contestation de la crise climatique, et quel que soit son fondement, que nous estimons pour notre part extrêmement faible et prisonnier de la polémique, le fait objectif est à notre sens qu’elle est elle-même d’ores et déjà largement supplantée par la puissance de la perception des catastrophiques événements écologiques. Bien entendu, chaque événement de cette sorte, qui constitue pour la perception générale un démenti de cette contestation, en réduit d’autant plus la force.
Cette contestation constitue, pour certains, et selon des intentions qu’on peut à juste titre considérer comme incertaines, une opposition qui se veut rationnelle à cette perception catastrophique de la crise climatique, et, par conséquence indirecte mais indiscutable, une défense du système d’“économie de force” (système du technologisme et politique de l’“idéal de la puissance”) de ce que nous nommons la “deuxième civilisation occidentale”, ou la “contre-civilisation”. Que nombre de “partisans” de la crise climatique soient des créatures du système, que nombre d’“adversaires” de cette crise se targuent d’être des adversaires du système, tout cela ne nous importe pas. (D’ailleurs, le désordre règne là aussi, l’inverse étant aussi valable : nombre d’adversaires du système sont “partisans” de la crise climatique, nombre d'“adversaires” de la crise climatique sont évidemment des partisans du système, – aux USA, la chose est évidente.) Ce qui compte bien plus que la polémique humaine, ce sont les événements systémiques et la perception de la psychologie générale qui dépassent très vite les positions dogmatiques qu’on veut défendre. A ce niveau, la crise climatique est un membre respectable, et très bientôt écrasant de notre structure crisique, à moins que le temps ne se calme brusquement et que des conditions climatiques idylliques ne s’installent partout.
Au contraire, et quelque justifié ou non que ce soit, de plus en plus de catastrophes climatiques, et bientôt toutes les catastrophes climatiques vont être portées “au crédit” de la crise climatique. Qu'effectivement la chose soit justifiée ou non, notre raison humaine peut jacasser là-dessus ; d’une façon générale et irrésistible qui nous importe, cette même chose rend compte d’une réalité, qui est l’échec catastrophique du système responsable de l’attaque générale contre l’équilibre du monde (crise environnementale et de pollution générale dans son sens le plus large), de ce système engendré par cette même raison humaine subvertie par le “déchaînement de la matière” depuis deux siècles. De plus en plus le corollaire de la perception de chaque catastrophe climatique liée à la crise aura une dimension eschatologique et renverra à ce constat de l’échec également eschatologique du système.
C’est dire que la crise climatique est un biais formidable, irrésistible et vertueux pour la mise en cause décisive du système, et non pas selon des arguments rationnels, mais selon une symbolique sur-rationnelle liée à la dimension métaphysique nécessairement incluse dans l’acte monstrueux de la destruction du monde. Cela nous importe bien plus que toutes les polémiques du monde et le degré de responsabilité d'un sapiens si attentif à sa vertu. Nous espérons qu’on comprendra que l’évidence de cette position n’a pas besoin d’une démonstration rationnelle.