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268314 août 2006 — On peut dire que nous sommes proches de l’unanimité dans les jugements, du côté des commentateurs indépendants. Quel que soit le sort du cessez-le-feu, la date du 14 août 2006 est une étape importante et une étape qui est clairement une défaite pour Israël (et pour les USA, par conséquent). Entre de nombreux autres, Justin Raimundo montre bien cela, notamment en détaillant les modalités de la résolution de l’ONU. Sur le terrain, quoi qu’il se passe dans les jours qui viennent, Tsahal est, par rapport à ses ambitions, dans une position très inconfortable. Elle a connu une défaite, rien de moins.
Voici donc une occasion d’avancer encore dans la définition de cette crise, et de la guerre qui la caractérise. (La fameuse G4G, dont nous faisons un bilan par ailleurs.) Nous découvrons, à mesure de la lecture des commentaires et de nos propres appréciations, une autre caractéristique de la guerre G4G.
Seymour Hersh la suggère de loin en observant, dans un article mis en ligne ce jour :
« Nonetheless, some officers serving with the Joint Chiefs of Staff remain deeply concerned that the Administration will have a far more positive assessment of the air campaign than they should, the former senior intelligence official said. “There is no way that Rumsfeld and Cheney will draw the right conclusion about this,” he said. “When the smoke clears, they’ll say it was a success, and they’ll draw reinforcement for their plan to attack Iran.”
» In the White House, especially in the Vice-President’s office, many officials believe that the military campaign against Hezbollah is working and should be carried forward… »
Le texte de ce jour du site WSWS.org nous fait faire un pas de plus dans cette même logique. (Même si la description de la chose dans l’analyse WSWS.org a des relents de dialectique trotskiste, elle n’en restitue pas moins la réalité. Tous les analystes ne peuvent écarter l’idée logique que l’administration GW, telle qu’on la connaît, va continuer, tête baisée, dans la même direction.)
WSWS.org écrit : « Israel’s ongoing aggression, carried out with open US support, leaves no doubt that any ceasefire will only be a pause in the US-Israeli drive to destroy Hezbollah, reduce Lebanon to the status of a protectorate and thereby create the conditions for a wider war against Syria and Iran.
» This is despite the fact that the attack on Lebanon has resulted in a setback to US-Israeli war aims, and has further isolated both countries, fuelling popular opposition to their governments in the Middle East and around the world.
Par ailleurs, et pour renforcer notre conviction, Robert Fisk fait un rapport de la situation sur le terrain et tire des conclusions dans le même sens :
« The real war in Lebanon begins today. The world may believe — and Israel may believe — that the UN ceasefire due to come into effect at 6am today will mark the beginning of the end of the latest dirty war in Lebanon after up to 1,000 Lebanese civilians and more than 30 Israeli civilians have been killed. But the reality is quite different and will suffer no such self-delusion: the Israeli army, reeling under the Hizbollah's onslaught of the past 24 hours, is now facing the harshest guerrilla war in its history. And it is a war they may well lose.
» In all, at least 39 — possibly 43 — Israeli soldiers have been killed in the past day as Hizbollah guerrillas, still launching missiles into Israel itself, have fought back against Israel's massive land invasion into Lebanon. »
Ces diverses remarques nous conduisent à développer l’hypothèse d’un autre aspect très spécifique de la G4G, intimement lié au virtualisme qui baigne cette sorte de guerre très caractéristique de notre temps postmoderne. Il s’agit de l’élan irrésistible de la défaite, — ou cette maxime très trash : “plus nous perdons plus nous gagnons, en avant pour la défaite victorieuse”.
Au départ, l’idée de Foch est risquée mais brillante et pas illogique. C’est quelque chose comme : “mon centre recule, ma droite est enfoncée, ma gauche est battue, — j’attaque !”. On comprend l’idée : puisque je suis sur la voie de la défaite, seul un sursaut de volonté dans une contre-attaque surprise me sauvera et me donnera la victoire en plaçant l’ennemi devant l’inattendu. Ils (les Américains, peut-être les Israéliens) reprennent cette idée mais sans accepter la réalité. Cela devient, surtout dans l’équipe Cheney comme le suggère Hersh : “mon centre avance, ma droite défonce l’ennemi, ma gauche a gagné, — j’attaque !” Et cela se traduit comme ceci : “Ce n’est pas une défaite, en réalité c’est une victoire, tout est donc prêt pour que je continue et relance à nouveau l’offensive si bienfaisante”.
On comprend la différence. Foch sait qu’il est sur le point d’être battu. Il décide de contre-attaquer. Par définition, il ne fera pas les mêmes erreurs qui l’ont conduit à une position si fragile puisqu’il passe de la situation de débâcle à l’offensive. Cheney & Cie, c’est le contraire. Ils sont victorieux (affirmation en forme de prémisse). Ils ne changent rien et, à la première occasion, ils repartent à l’attaque avec les mêmes erreurs dans la besace.
Cette attitude complètement virtualiste est en réalité, nous semble-t-il, une attitude implicite de la guerre G4G, et la cause des si étranges résultats que donne cette guerre. En fait, il s’agit d’une “guerre” par paliers, par étapes, au cours de laquelle la puissance dominante se dégrade par aveuglement, en recommençant sans fin les mêmes erreurs.
Au départ, c’est une puissance énorme contre un “faible” (USA contre un Irak vaincu, Israël contre un Hezbollah perçu comme toutes les autres organisations arabes, sans guère de valeur combative). La puissance n’entend faire aucune concession à la réalité ; elle se battra selon sa propre perception des événements, selon ses conceptions et ses moyens, “à sa main”. L’affrontement tourne comme on le voit et se termine par une sorte de “match nul” qui est en fait une défaite militaire dissimulée de la puissance (la puissance n’a pas remporté la victoire escomptée mais elle n’a pas été non plus défaite, à cause de sa masse). C’est une défaite politique claire à cause de ce qui précède, mais cette situation est réfutée par la puissance par divers moyens (relations publiques, propagande, influence, ¬ bref, les outils habituels du virtualisme). La chose est essentielle pour la puissance elle-même, qui tient à croire à sa propre puissance, donc à sa victoire. Réfutant la victoire politique du faible, elle réfute également sa victoire militaire de facto. Par conséquent, elle est elle-même victorieuse. A la première occasion, elle reprendra l’initiative, commettra les mêmes erreurs, et connaîtra à nouveau des déboires. Dans ce processus, sa puissance réelle s’érode, le résultat pouvant conduire à une catastrophe réelle.
(En un sens, on peut considérer que, pour les USA, le processus a déjà connu des étapes intermédiaires. Les avatars libano-israéliens sont directement inspirés des avatars irakiens. Tout se passe comme si l’on avait, du côté américaniste, réalisé/soutenu l’offensive contre le Hezbollah avec comme référence la guerre en Irak vécue comme une expérience politico-militaire qui ne peut se définir que par le mot “succès”. Cela est facilité par la fiction devenue réalité virtualiste chez nombre d’experts washingtoniens selon lesquels la guerre [la victoire contre Saddam] est un succès indiscutable, que le reste, ce qui a suivi depuis fin avril 2003, n’est nullement lié à cette “victoire”, que cela n’est pas le résultat d’erreurs des USA, que cela fait partie d’un autre monde, etc. C’est l’idée implicite d’un Dan Gouré, lorsqu’il reproche aux Israéliens de ne pas avoir tapé assez fort lors de la campagne aérienne initiale (le reproche de la crainte de pertes, venu d’un Américains, est savoureux) : « “The mistake on the Israeli side is not understanding how ruthless they need to be,” he said. “Technology cannot replace resolve. But the Israelis can’t tolerate the casualties and, more important, they don’t want to inflict casualties. Unless they get uglier than their enemy, they’re going to lose this war.” » Autrement dit : faites comme nous en mars-avril 2003, tapez, tapez, et vous remporterez la même victoire que nous en Irak.)
Il semble bien que c’est dans ce processus de la défaite vue comme une victoire et enchaînant sur une autre phase offensive que pourraient se trouver à nouveau engagés les USA et Israël. (Cette remarque vaut dans tous les cas les USA ; pour Israël, le problème est plus complexe.) Tout se passe au niveau psychologique, réalisé par le phénomène du virtualisme. Rengaine : “Nous ne sommes pas au bout de nos surprises”.
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