Ces 99%-là sont peut-être décisifs

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Ces 99%-là sont peut-être décisifs

25 février 2013 – Lorsqu’on dit 99%, on pense aux “99%” popularisés par le mouvement Occupy Wall Street (les 99% de la population US face aux 1% les plus riches qui détiennent près de la moitié de la fortune privée du pays). Les 99% dont nous voulons parler, c’est tout à fait autre chose… Il s’agit du pourcentage, déterminé par enquête statistique, de citoyens US estimant que l’Iran nucléaire (perçue automatiquement comme nucléaire militaire) est une menace (“critique” ou “importante”) contre “les intérêts vitaux des États-Unis”. Ces 99%-là, il s’agit d’un événement peut-être décisif, – et si c’est le cas, s’il est décisif, – d’un événement formidable et à potentialités catastrophiques diverses.

Le 21 février 2013, Antiwar.com reprend la nouvelle, dans une synthèse signée Jason Ditz.

«A grim new poll from Gallup shows an overwhelming majority of Americans, indeed 99 percent of them, believe that Iran’s civilian nuclear program is a threat “to the vital interests of the United States.” The poll reflects the near complete saturation of American opinion with politicians’ claims of the “threat” posed by Iran’s civilian program, in spite of repeated reports conceding that Iran isn’t presently developing nuclear weapons and that it may indeed never choose to do so.

»This disconnect from reality is underscored when compared with other questions in the same poll, with only 97 percent viewing North Korea’s actual nuclear weapons a threat, despite North Korea itself spending a large amount of time trying to convince people that it is a threat.

»This was the first time Gallup specifically asked about either nation’s nuclear program, and previously had only asked about their respective militaries. Past polls have showed Americans believing Iran to be their “greatest enemy,” though its military was not perceived as an enormous threat in and of itself.»

Des précisions diverses sont données sur l’enquête par le site Times of Israel, en date du 20 février 2013. D’autres précisions sont données sur les résultats et sur la méthodologie de l’enquête… Derrière l’Iran, on trouve effectivement la Corée du Nord avec 97% de réponse instituant ce pays comme une menace contre “les intérêts vitaux” des USA ; la Corée du Nord qui possède effectivement l’arme nucléaire et le clame bien haut, expérimentations à l’appui, au contraire en tous points de l’Iran ; la Corée du Nord qui s’affirme effectivement, souvent d’une façon provocante et insistante, comme une “menace” au travers de cette arme nucléaire selon l’idée qu’il s’agit pour elle d’ainsi défendre son existence et de s’affirmer, selon l’humeur de son Grand Leader, comme la défenderesse d’un régime communiste idéal et sans rival («North Korea itself spending a large amount of time trying to convince people that it is a threat», comme l’écrit Jason Ditz)… La Corée du Nord qui reçoit 97% de réponses la classant dans la même catégorie que l’Iran, mais dans une position un peu moins forte que l’Iran qui approche le rang de l’absolue menace. Manifestement, l’Iran a un statut à part… Voici les précisions de Times of Israel.

«The Gallup poll found that 99 percent of Americans believe the Islamic Republic’s nuclear program is a threat “to the vital interests of the United States in the next 10 years,” with 83% saying it was a “critical threat” and another 16% saying it was an “important, [but] not critical” one. Just 1% declined to say it was at least an important threat. The poll was conducted February 7-10 among 1,015 respondents aged 18 and older. It has a margin of error of 4%. The poll asked respondents to comment on nine possible threats. Iranian nuclear weapons generated the most concern, though only by the slimmest of margins.

»North Korean nuclear weapons garnered nearly identical levels of concern, with 83% calling them a “critical threat” and 14% an “important” one, though these answers came before last week’s nuclear test by the communist regime. “International terrorism” rounded out the three leading threats perceived by the American public, with 81% and 17% calling it a “critical” and “important” threat, respectively. The remaining threats included Islamic fundamentalism (53%-28%), China’s economic and military power (52%-39%), the military power of Russia (29%-53%) and the conflict between India and Pakistan (25%-55%).»

Toutes ces précisions sont données pour permettre d’apprécier le sérieux de ce travail statistique, cette sorte de travail sur laquelle les hommes politiques s’appuient en général, et dont ils tiennent fondamentalement compte dans leur politique en général, surtout lorsque tout cela va dans le sens de la politique-Système qu’ils servent. (Il est entendu que nous parlons du monde politique actuel, celui qui a émergé et s’est affirmé durant les deux «époques» successives, – la première, de 1999-2001 à 2007, la seconde ouverte en 2008 et qui devrait approcher de son terme. Par ailleurs, ce “terme”, – celui de la seconde «époque» ouverte en 2008, – à beaucoup à voir, indirectement parce que psychologiquement mais puissamment à notre sens, avec ce sondage et les résultats fort peu ordinaires qu’il nous propose.)

Un autre élément important est l’évolution de la perception. On peut mesurer cela à un an d’intervalle, avec un sondage CNN sur le même sujet. Même si les questions ne sont pas exactement semblables, l’ordre de grandeur de la différence est suffisamment significatif pour y voir une indication de l’évolution du sentiment du public US. Dans tous les cas, on parle de ce fait extraordinaire (compte tenu de la différence des situations, des forces, des perspectives d’affrontement) d’un sentiment de crainte et d’antagonisme avec l’Iran supérieur à ce qu’il fut aux USA pour l’URSS, notamment dans les premières années 1980 de la plus grande tension de la “deuxième Guerre froide”. Entre avril 2012 et aujourd’hui, l’on est passé de 84% à 99% de personnes sondées jugeant l’Iran comme une menace très grande (“critique”) ou assez grande (“pas critique mais importante”), et le résultat de 99% dépassant tout ce qui fut relevé contre l’URSS… (On observera la progression des opinions classant le pays jugé comme une “menace “très sérieuse” ou comme “une menace critique” selon la formulation, à l’intérieur du total jugeant qu’il y a menace : 32% pour l’URSS en 1983, effectivement au sommet de la tension USA-URSS [voir les 21 novembre 2003 et 22 septembre 2003], 48% pour l’Iran en avril 2012, 83% pour l’Iran le 18 février 2013.) Le texte cité ici est sur le site de The Atlantic, le 19 avril 2012.

«According to the November 1985 poll, 76 percent of Americans viewed the Soviet Union as a “very serious“ or “moderately serious” threat. Only 32 percent of respondents classified the Evil Empire as a “very serious” threat. This week, CNN released a poll asking the same question, this time about Iran and other hostile nations. It estimates that 81 percent of Americans believe Iran is a “very serious” or “moderately serious” threat, with 48 percent calling it “very serious.” While fear of Iran isn't yet on par with the absolute height of the Reagan-era Cold War (CNN fielded three polls during conflict-rife 1983, returning 90 percent, 87 percent, and 88 percent), it's up from June 2009, and has surpassed fear of the Soviet Union during one of the Cold War's most dangerous years.»

Il faut admettre que cette quasi-unanimité (99%) de la perception du public, engendrant ce qu’on peut considérer comme une affirmation quasiment absolue de la dangerosité de l’Iran, de la soi-disant menace que ce pays poserait pour les “intérêts vitaux” des Etats-Unis, est quelque chose qui va peser d’un poids considérable sur toutes les questions ayant trait à l’Iran aux USA, y compris bien entendu cette politique fameuse avec “toutes les options sont sur la table” (y compris bien entendu l’option militaire). Nous nous désintéressons ici complètement, absolument, du fond du problème, – l’Iran est-elle une menace agressive et “cruciale” contre les “intérêts vitaux” des États-Unis, qui est un concept si absurde qu’il peut être écarté d’un revers de la main, – du type “va jouer avec cette poussière”, sans même besoin de déployer les dizaines d’arguments qui ridiculisent cette croyance primaire, sinon sauvage et barbare à la fois. Nous nous intéressons exclusivement à ce sondage, qui va sans doute être redoublé par d’autres, qui va désormais peser d’un poids formidable.

Un tel sondage, une telle puissance statistique de l’hostilité du public US pour l’Iran et de la terreur du public US face à l’Iran, substantive à son tour cette menace pour ceux qui décident de la politique iranienne des USA. Nous ne parlons pas d’un processus sensationnel et voyant, pouvant se concrétiser du jour au lendemain par telle ou telle attitude, mais bien d’une tendance qui existe déjà certes, mais qui va s'affirmer bien plus puissante, qui va exercer une pression encore plus forte, en profondeur, sur des attitudes complètement conditionnées à cet égard. C’est dire que toutes les attitudes vont être resserrées et durcies dans la mesure où les dirigeants politiques washingtoniens, de quelque tendance qu’ils soient, doivent intégrer ce fait comme une confirmation dramatique d’une tendance fondamentale de la communication, c’est-à-dire un élément également fondamental d’influence sur leur attitude politique. L’administration Obama va être conduite à accentuer sa politique actuelle d’apparent “double jeu” ; c’est-à-dire, tout en proclamant sa volonté de négocier et en négociant effectivement (comme la réunion des P5+1 avec l'Iran aujourd'hui), à appuyer de plus en plus sur les sanctions, à décider de lignes très précises et impératives à ne pas dépasser dans les négociations courantes, voire dans des négociations bilatérales. Les républicains, qui y voient un bon argument de politique washingtonienne et de popularité dans le public, vont bien entendu encore plus radicaliser leur position, – si c’est possible, – et un Lindsay Graham sera plus que jamais l’exemple à suivre dans le domaine qu’il est déjà. Des perspectives de compromis n’actant pas la liquidation de toute possibilité de programme nucléaire à soupçon militaire n’auraient alors plus aucune chance de survivre à Washington et le but officiel de la politique iranienne des USA ne pourrait plus être que le contrôle pur et simple du programme nucléaire iranien, selon des conditions très strictes (et le but à peine officieux, la chute du régime iranien).

Face à un tel durcissement qui ne serait que le verrouillage et l’intensification d’une posture structurée déjà existante, si ce durcissement se produit comme on peut le prévoir, les Iraniens devraient eux-mêmes être amenés à durcir leur position dans le sens de l’intransigeance, puisqu’ils seraient en droit de considérer que ce que l’on exige d’eux ne peut être assimilé qu’à une capitulation. Cela, qui nous semble aller de soi lorsqu’on observe le traitement (sanctions) que les USA et le bloc BAO réservent à l’Iran, est très fortement renforcé par une autre enquête dont il fut assez peu question, également de Gallup, enquête elle-même extrêmement significative et tout aussi récente (voir le Washington Post du 8 février 2013). L’enquête signale les opinions des Iraniens sur deux points essentiels : la poursuite du programme nucléaire (notamment malgré les sanctions qui font tant souffrir la population) et la responsabilité pour ces sanctions, – et écarte toutes les illusions du bloc BAO à cet égard en montrant une population iranienne largement majoritairement favorable au programme nucléaire et faisant porter la responsabilité des sanctions sur les USA :

«Gallup asked, “Given the scale of the sanctions against Iran, do you think Iran should continue to develop its nuclear power capabilities, or not?” Almost two-thirds of respondents, 63 percent, said yes. Only 17 percent said no; 19 percent said they didn’t know or refused to answer.

»The poll also found that Iranians are almost five times as likely to blame the United States for sanctions as they are to blame their own government. Even fewer blame Europe or the United Nations, though both are instrumental in the crippling economic sanctions. Pollsters asked, “Which of the following groups do you hold most responsible for sanctions against Iran?” Out of the seven choices, the most popular by far was the United States, with 47 percent. Only 10 percent blamed the Iranian government; 9 percent said Israel; 7 percent each named “Western European countries” and the United Nations. Three percent said “someone else,” zero said “no one,” and 17 percent declined to answer.»

Par contraste avec cet état statistique du public US qui reflète un sentiment quasiment absolu de certitude d’un Iran installé dans une position de menace nucléaire terrible et mortelle contre les USA, par contraste même avec la politique de sanctions extrêmement dure qui est conduite par le bloc BAO, on peut observer que l’attitude des directions politiques et des élites du Système, lorsqu’on évolue dans le domaine de l’explication et de l’évaluation rationnelle dans le cadre du système de la communication, est notablement plus modérée. Dans un article (le 22 février 2013) qui reprend des arguments qu’il avait déjà développés le 1er août 2012, John Glazer, de Antiwar.com, observe cette position d’un extrémisme absolu du public malgré les affirmations souvent répétées, et toujours valables aujourd’hui, de la plupart des officiels de la direction américaniste sur l’absence de nucléaire iranien, et même sur l’absence d’intention de l’Iran de construire la bombe :

« But false beliefs persist even when there has been ample reassurances from elite sources in politics, the military, and the news media that Iran has no weapons program. A matter of months ago, the Obama administration marched out their minions, from Defense Secretary Leon Panetta to Director of National Intelligence James Clapper to Chairman of the Joint Chiefs of Staff Gen. Martin Dempsey, all of whom reiterated the fact that Iran has no nuclear weapons program, despite constant rhetoric to the contrary.

»In February [2012] the New York Times ran a front page story entitled “U.S. Agencies See No Move by Iran to Build a Bomb.” It reported: “Recent assessments by American spy agencies are broadly consistent with a 2007 intelligence finding that concluded that Iran had abandoned its nuclear weapons program years earlier. The officials said that assessment was largely reaffirmed in a 2010 National Intelligence Estimate, and that it remains the consensus view of America’s 16 intelligence agencies.” Again in March [2012] , they reported “top administration officials have said that Iran still has not decided to pursue a weapon, reflecting the intelligence community’s secret analysis.” Another in the Los Angeles Times was similarly headlined, “U.S. does not believe Iran is trying to build nuclear bomb.”»

On ajoutera pour compléter ce dossier de la situation générale, un rappel des circonstances extrêmement délicates existantes et plus que jamais en développement pour le bloc BAO. On connaît cette situation générale de crise, qui affecte tous les domaines aux USA, et particulièrement, dans ce moment radical de crise de la séquestration, conduit à des conditions grandissantes de confusion et de rétraction volontaire de la puissance militaire US (voir le 26 janvier 2013 et le 11 février 2013). L’autre principal acteur de la situation anti-iranienne, Israël, se trouve aujourd’hui dans une situation extrêmement délicate du point de vue de la situation de sa direction politique, c’est-à-dire du point de vue intérieur. (Voir notre texte ce 25 février 2013 : «A notre sens, avec les tendances politiques qui virevoltent et font passer au second plan les spéculations de savoir quelle politique émergerait de ce tourbillon, la question essentielle ici devient de plus en plus de mesurer le désordre profond dans lequel s’enfonce la politique israélienne, mettant en cause le système lui-même si les prévisions pessimistes, voire simplement réalistes, se confirment. La crise intérieure israélienne commence à prendre le dessus sur son action crisique extérieure, rejoignant ainsi un mouvement général perceptible dans nombre de pays du bloc BAO. »)

Un momentum orwellien

… Curieusement, l’enquête des 99% présentée par Gallup (le 18 février 2013), l’est avec le titre qui porte sur le jugement sur la Corée du Nord plutôt que sur l’Iran. («In U.S., 83% Say North Korean Nukes Are a Critical Threat», – les 97% étant atteints avec 14% qualifiant le nucléaire nord-coréen de “Important, not critical”). De même, et tout aussi significativement en plus de “curieusement”, la presse-Système n’a guère insisté sur les résultats de ce sondage (alors qu’il était largement repris sur l’Internet, sur divers sites hostiles ou non à l’Iran). On pourrait avancer qu’il existe une certaine crainte ou une certaine incrédulité devant un tel résultat et ce qu’il fixe du sentiment public pour ceux-là même qui prétendent s’appuyer sur ce qu’ils proclament être le sentiment de l'opinion publique pour conduire leur politique. La mariée est vraiment trop belle, si belle qu’elle en est effrayante… On pourrait même avancer que les mêmes, c’est-à-dire les élites-Système en général, réalisent confusément, ou même perçoivent inconsciemment, que ce sentiment public les pousse vers des abysses où ils peuvent s’effondrer.

Quel “sentiment de l'opinion publique” ? Celui qu’expriment les sondages parce que lorsque ces données statistiques sont si significatives du point de vue quantitatif, elles reflètent évidemment une psychologie commune, une psychologie profonde qu’on pourrait presque apprécier qualitativement, – mais ce serait alors pour constater l’inversion de la chose, qu’il s’agit d’une profondeur au double sens du mot, – à la fois très substantielle jusqu’à faire figure d’essence, mesurant qualitativement le phénomène, mais s’exprimant manifestement dans le sens de la bassesse lorsqu’on observe de quoi il est question et quels sentiments sont en action (haine, terreur, préjugés, etc., à l’encontre de l’Iran). Bien entendu, la raison n’a aucune place dans le phénomène, et d’ailleurs ce serait une raison subvertie. (Nous ne parlons même pas de la “réalité” de la situation iranienne que perçoit cette opinion publique US, complètement pulvérisée et sans aucun rapport avec la vérité de la situation.) Ce qui se manifeste ici, c’est la subversion achevée du Système sur les psychologies, sans rapport avec la raison, au niveau du réflexe.

Assimilant le sentiment public pour l’Iran à celui qu’éprouva le public US pour l’Irak avant l’attaque, Glazer cite dans le texte référencé plus haut l’ancien officier de la CIA Paul Pillar, où Pillar parle d'un effet direct (inconscient) sur la psychologie de la “campagne de mésinformation”, plutôt qu'un effet de tromperie sur le jugement (article de Pillar dans The National Interest le 14 septembre 2011) : «Former CIA officer Paul Pillar, when writing about the misinformation campaign to sell the Iraq war, explained it was “less a matter of instilling any specific mistaken belief than of instilling a mood and momentum.” It was “at least as much a matter of rhetorical themes as of manipulated evidence. The belief was cultivated by repeatedly uttering ‘Iraq,’ ’9/11? and ‘war on terror’ in the same breath.” Despite the official position that Iran has no weapons program and has not demonstrated an intention to build one, most of the political, military, and media elite are constantly regurgitating lines about blocking “Iran” from obtaining “nuclear weapons.”»

Le problème que pose cette équivalence est bien que l’affaire irakienne avait un but précis, que le momentum devait mener, le plus rapidement possible, à l’attaque de l’Irak qui était voulue et décidée par la direction-Système, – laquelle attaque eut lieu, effectivement, le 19 mars 2003. Ce n’est pas le cas de l’Iran, malgré tout ce qui nous fut annoncé depuis exactement huit ans, à quatre jours près… C’est le 21 février 2005 que GW Bush, en visite à Bruxelles, déclara dans une conférence de presse pour la première fois d’une façon aussi significative que, pour ce qui concernait l’Iran, “toutes les options sont sur la table” ; l’irrésistible pente de la psychologie sous l’influence du Système interpréta donc que l’option militaire de l’attaque de l’Iran était “sur la table”, et que l’attaque était le but final, quasiment affiché. Depuis, malgré de multiples alertes, de multiples prévisions, parfois avec le jour et l’heure de l’attaque, avec une activité tourbillonnante de commentateurs fort bien informés, rien ne s’est passé dans le chef de cette intention d’attaquer l’Iran selon la formule irakienne de la guerre ouverte. Il y eut même assez de champ dans l’indécision des directions politiques dans leur majorité, voire dans leur intention de ne pas attaquer l’Iran, pour laisser la place aux manœuvres de l’US Navy, de l’amiral Fallon, etc., pour contrer la minorité belliciste et paranoïaque type-Cheney. (Voir le 17 mai 2007 et le 18 juillet 2007). Cette “minorité belliciste et paranoïaque” fut même contrée par GW Bush personnellement (en 2008) et ne cessa de se réduire jusqu’à disparaître au sein de la direction politique US. Même en Israël, Netanyahou fut toujours isolé dans son intention également paranoïaque d’attaquer (Dagan et le reste), – et l’on sait qu’il a aujourd’hui d’autres chats à fouetter, s’il veut survivre politiquement.

L’on peut donc affirmer aujourd’hui que personne (disons, personne “de sérieux”), dans les directions politiques du bloc BAO, ne veut vraiment attaquer l’Iran, comme on peut affirmer qu’il n’y eut jamais une intention majoritaire dans ces directions d’attaquer l’Iran. Cela est d’autant plus évident qu’on estime, – vrai ou faux, seule compte la perception, – qu’une attaque serait dévastatrice autant pour l’attaquant que pour l’attaqué, alors que les moyens militaires du bloc BAO (des USA) sont aujourd’hui en cours de dévastation accélérée du seul fait de la situation intérieure, tant budgétaire que gestionnaire, des USA et de son centre guerrier du Pentagone, – donc situation bien pire aujourd’hui qu’en 2005-2008... (Ce qu’on veut avec l’Iran, c’est une capitulation iranienne sous les pressions diverses, – sanctions, etc., – si possible avec chute du régime à la clef et instauration d’un régime libéral pro-bloc BAO. Cela se conçoit évidemment quand l’on voit que certains, qui ne sont pas tout à fait fous ni stipendiés, jugent que la situation iranienne pourrait être un modèle de structure politique et sociale, – et le bloc BAO n’apprécie guère la concurrence à cet égard.)

Ainsi apparaît la formidable différence entre l’Irak (où l’attaque était décidée et eut lieu assez rapidement) et l’Iran (où l’on ne veut pas d’attaque et où l’on traîne depuis huit ans). Lorsque Glazer cite Pillar et son explication de la formation d’une psychologie et d’un état d’esprit pour susciter un élan irrésistible («instilling a mood and momentum»), et qu’il l’applique à l’Iran, il fait fausse route : au contraire de l’Irak où la position officielle (“propagande” dans ce cas, ou “mésinformation” selon le terme utilisé par Pillar) fut de marteler les montages grotesques justifiant l’attaque, dans le cas de l’Iran on a vu que la poussée officielle est plutôt de relativiser le danger de production de nucléaire militaire, voire l’intention de le faire, de la part de l’Iran. Ainsi, le même phénomène que celui de l’Irak aurait eu lieu, mais sans la pression de la propagande et de la mésinformation dans ce sens, bien au contraire.

C’est alors que nous revenons à ce constat fait plus haut à propos de la position du public : “Ce qui se manifeste, c’est la subversion achevée du Système sur les psychologies, sans rapport avec la raison, au niveau du réflexe.” En d’autre terme, nous estimons qu’il y a une poussée constante, dans le sens de la destruction (déstructuration et dissolution) du Système en tant que tel, celui qui active la politique-Système, au niveau des psychologies ainsi subverties, et dans ce cas bien au-delà des intentions des directions politiques, et même, pour certains cas, contre elles. Il nous paraît alors manifeste que nous nous trouvons dans un cas où les pressions de ce que nous jugeons être un conflit relevant de la métahistoire s’exercent directement sur les psychologies, dans ce cas de la part du Système dont nous jugeons qu’il est sans aucun doute “la source de tous les maux” et l’instrument privilégié de “l’opérationnalité du Mal”. A cette lumière, il se pourrait aussi bien que le courant, le “momentum” vers l’attaque contre l’Irak ait été de même facture, la propagande dans ce sens n’ayant joué qu’un rôle annexe pour une psychologie déjà infectée par le Système.

…Ce qui laisse, – et d’ailleurs en tout état de cause, – les directions politiques du bloc BAO avec un énorme problème, comme déjà considéré plus haut. Nous disons à nouveau avec force que ces 99%, quelle que soit la discrétion du système de la communication à cet égard, sont un poids psychologique non substantivé qui va peser d’une façon énorme sur tous les comportements. Il n’est pas nécessaire d’une campagne de presse, de discours, etc., – ceux-ci et celles-là n’ayant d’ailleurs pas lieu, comme on sait, – mais de quelque illuminé ou manœuvrier politique en place ici ou là pour entraver totalement une politique d’éventuel compromis, même la plus timide, et la gauchir constamment dans le sens de l’arrogance, du discours antagonistes, etc., cela dans le cours du processus politique actant un tel compromis, quelles que soient les intentions de négociation qu’on ait. (Voir l’influence d’un Lindsay Graham dans l’affaire Hagel.) Nous avancerions même l’hypothèse que ce poids psychologique (les 99%) agira à un moment ou l’autre comme une pression d’autocensure et d’autorestriction, y compris auprès d’un Obama, parce qu’aucun politicien de ce Système ne peut se permettre d’agir hors des normes, dont celle impérative du respect religieux de la sécurité nationale, dans un cas où cette norme sacrée est adoubée statistiquement par 99% des citoyens. Cela implique que les jeux de l’apparence et de la communication, le verbalisme public, devront continuer à présenter ce ton de l’antagonisme que les Iraniens, – le régime autant que la population, – ne peuvent accepter et qui conduit par avance à l’échec, non pas de toute possibilité de négociation (puisqu’il y en a en cours), mais de toute avancée constructive et concrétisée dans la négociation pouvant conduire à une issue apaisée.

Dans l’état général de tension crisique, tant dans les pays du bloc BAO qu’au Moyen-Orient, la situation actuelle est celle d’une crise (disons, la “crise iranienne”) qui arrive au bout de ses possibilités, une crise littéralement “épuisée”, pressée comme un citron, qui est au terme de toute la substance qu’elle peut donner, et qui pourtant ne semble pas pouvoir s’achever par un apaisement, – pas de “sortie de crise”, plutôt un “emprisonnement de crise”. En effet, l’emprisonnement total des directions politiques dans une situation où une issue de cette crise dans le sens d’un arrangement est soumise à une telle hypothèque, fait penser que des issues catastrophiques sont de plus en plus possibles dans un cadre aussi incontrôlables. Cela n'implique pas nécessairement la seule hypothèse d'un conflit, qui reste bien évidemment à considérer selon la logique des circonstances, que la possibilité de crises internes majeures, notamment au sein de la direction politique américaniste qui est dans cet état de dissolution qu’on lui connaît. D’une façon ou l’autre existe cette possibilité, élargie aux conditions actuelles, évoquées par le “néo-sécessionniste” Naylor (le 26 avril 2010)  : «There are three or four possible scenarios that will bring down the empire. One possibility is a war with Iran…» L’observation est précise et peut être trop limitée à l’hypothèse “guerre avec l’Iran”. Ce qui demeure est bien que la crise iranienne, effectivement “crise haute” par excellence, constitue un des principaux détonateurs catastrophiques pour le sort du bloc BAO et, au-delà, de tout le Système, sans qu’on puisse dire au profit de qui, et pour quelle perspective.