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1392Pendant plus de 24 heures, hier et ce matin, le site de Novosti présentait comme première nouvelle les préparatifs du défilé de la commémoration de la victoire du 8 (9) mai 1945. Puis cette première place a été prise par des considérations de Medvedev sur la chute de l’URSS.
Une autre nouvelle intéressante, pour les Russes, concerne la déclaration du ministre des affaires étrangères de Turquie (Novosti, 6 mai 2010), selon laquelle la prolongation de 25 ans du bail de la base de Sébastopol pour la flotte russe de la Mer Noire ne constitue en aucune façon une source d’inquiétude pour la Turquie. «“Nous n'avons pas d'ennemis dans cette région et entretenons des relations d'amitié avec tous les pays riverains de la mer Noire. Ankara considère le bassin de la mer Noire comme une zone d'amitié, de paix et de prospérité”, a-t-il affirmé lors d'une conférence de presse à Bakhtchisaraï (Ukraine). Et d'ajouter qu'il ne considérait pas la Flotte russe de la mer Noire comme un ennemi potentiel de la Turquie.» La réponse à cette question, sans doute un peu provocatrice, n’étonnera personne et conforte un peu plus l’excellent climat qui attend Medvedev en Turquie, les 11 et 12 mai (voir Novosti, le 6 mai 2010). On peut citer également, de Novosti le 5 mai 2010, une analyse de Dmitri Kossyrev, sur les relations économiques, sociales et culturelles entre la Russie et la Turquie…
«Ce qui se produit actuellement entre la Russie et la Turquie peut être considéré comme une nouvelle étape de coopération. Nombreux sont ceux qui n’ignorent probablement pas que plus de dix rencontres au sommet entre les dirigeants russes et turcs ont eu lieu ces quatre dernières années sous différentes formes. On peut affirmer que les chefs des gouvernements de nos deux pays - Recep Tayyip Erdogan et Vladimir Poutine – se sont liés d’une amitié sincère.»
@PAYANT Ce rapide tour d’horizon, prenant comme principal exemple les relations entre la Russie et la Turquie après avoir évoqué la mise en page du site de Novosti, un de ces détails à ne pas négliger dans les temps du système de la communication, permet de constater un premier point… Tout se passe, pour la Russie essentiellement, pour la Turquie accessoirement, comme si la crise, c’est-à-dire notre crise et son train, ne la (les) concernait guère. On retrouve cet intéressant phénomène du “en dedans/en dehors” affectant certains pays, dont des pays dits “émergents“, – quoique l’expression sonne assez comiquement lorsqu’il s’agit d’“émerger” vers un système qu’il est assez juste de décrire comme “le Titanic avec des voies d’eau considérables”. Ces pays suivent à la fois les techniques et les pratiques économiques du système dominant, tout en ayant un œil critique posé sur lui et en le considérant comme un système vicié et dans une phase de déclin accéléré, voire d'effondrement. Ces pays sont en général appuyés sur des conceptions très fortes de souveraineté et de légitimité, et sont de cette catégorie qui est naturelle à la France, mais dont elle-même, la France, s’est mise en partie en congé sous l’impulsion d’une direction absolument soumise au système.
Ces conceptions très fortes de souveraineté et de légitimité caractérisent effectivement le cas de la Russie et de la Turquie, dont les relations constituent un axe très puissant, à la fois régional et aussi dans le concert, ou disons la cacophonie internationale régnante. La Russie est ainsi en train de constituer sur son Sud, avec ses nouvelles relations avec l’Ukraine et ses relations avec la Turquie, un axe de stabilité géographique de type souverain qui a une certaine similitude avec celui qu’elle cherche à constituer avec la Pologne, avec prolongement éventuel vers l’Allemagne et la France, sur son Ouest. La Russie, jusqu’alors appréciée avec un certain mépris de type occidentaliste marquée, comme très “excentrée”, c'est-à-dire un peu barbare et retardée (on veut dire, par rapport au centre de la civilisation atlantiste triomphante), est en train de renverser complètement sa position. L’Ouest du système occidentaliste-alméricaniste, qui mérite de moins en moins son nom, est marqué par l’affaiblissement dramatique de sa composante anglo-saxonne, par l’indifférence grandissante des USA pour l’Europe (via Obama et ses penchants) et par l’effondrement britannique. Du coup, le centre du système en lambeaux se déplace fortement vers l’Est en se transformant éventuellement selon une cohésion beaucoup plus franchement européanisée, à condition évidemment qu’on place la Russie dans l’Europe sans aucune restriction.
La vision russe est, aujourd’hui, que l’Europe constitue une zone d’intérêt fondamental pour elle. Dans ce cadre, ses liens avec la Turquie (et avec l’Ukraine) doivent être aussi bien appréciés comme une “européanisation” de cette zone de la Mer Noire qu’une affirmation de cette zone en tant que telle. Le démembrement progressif des structures européennes (la déstructuration de l’Europe institutionnelle), qui sont de toutes les façons irrémédiablement marquées par leur coloration atlantiste, pro-américaniste et ultra-libérale, constitue un facteur puissant d’affirmation pour la Russie, sans que la Russie n’ait eu besoin d’agir précisément dans ce sens, – les erreurs occidentalistes et américanistes y suffisant amplement. A cette lumière, la déroute de la solidarité européenne type-UE, passant par la dé-légitimation institutionnelle du système avec toutes ses horreurs, autant que la déroute de l’euro pouvant conduire vers des alternatives plus resserrées et plus souveraines, constituent d’excellentes nouvelles. On y trouve simplement la confirmation de la perversité de la construction européenne telle qu’elle fut conçue dès l’origine, sous l’inspiration directe de l’américanisme, avec ses relais divers dans les pays européens, particulièrement et paradoxalement en France.
Face à la Russie, ou avec la Russie, la France a une étrange partie à jouer. Dotée, dans sa direction suprême et néanmoins présidentielle, de l’esprit le plus borné et le plus étroit qui se puisse concevoir, ce pays garde les structures et des “réflexes” quasiment inconscients (on ne dit pas “pavloviens”, pour ne pas diminuer la chose) du sens de la souveraineté et de la légitimité qui en font nécessairement un partenaire de la Russie. L’aspect ironique de cette situation est la virulence extraordinaire du sentiment anti-russe dans les milieux experts français de type mondain, de la stratégie idéologique et de la géopolitique encroûtée où Brzezinski reste la référence basique. Ce sentiment répond à une sorte de mode manipulée par les restes de néo-conservatisme, d'autant mieux suivie que ces milieux sont parmi les plus pénétrés par l’influence américaniste qu’on trouve en Europe. Mais l’intelligence française est telle que l’actuel Président et ces milieux ne se sont pas encore aperçus qu’ils étaient du même bord, et qu’il commence à se faire tard pour qu’ils s’en aperçoivent, n’ayant ainsi pas réussi à mettre sur pied une véritable vision stratégique d’une France atlantiste et ayant continué, malgré le sentiment anti-russe ambiant, à avoir de bons rapports avec Moscou simplement par atavisme de langage conceptuel et de proximité historique de la perception de la puissance et des relations internationales. Il est possible que, l’épisode actuel terminé, sans doute en 2012, la France s’aperçoive que la Turquie est un partenaire essentiel pour sa politique générale, un peu plus intéressant qu’Israël, et que cela se fasse par le biais de… la Russie.
Mis en ligne le 7 mai 2010 à 13H01