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226019 mars 2014 ... Mais non, d’ailleurs ! Cette rubrique est publiée le 21 mars 2014, pas le 19, avec deux jours de retard, et cela étant dû certes à des problèmes techniques internes dont nous avons avisé nos lecteurs le 19 mars, mais aussi au surcroît de travail occasionné par la crise ukrainienne, en termes de lectures diverses et diluviennes, d’attention portée aux événements pour déterminer leur exacte degré de vérité, la nécessité d’enquêter constamment à ce propos, etc... Ce constat, les excuses qui vont avec pour l’esprit de la chose, les explications qui les substantivent, tout cela introduit le propos.
... En effet, pour cette fois d’une façon extrêmement délibérée et intrusive, le chroniqueur entend s’insérer dans le débat courant, le chaudron de l’heure en cours, bref la crise ukrainienne. Chaque fois, à chaque crise semble-t-il dans ce cortège qui nous assaille depuis 2008-2009, se pressent sous la plume les mêmes exclamations sans que les laissent nécessairement imprimer leur marque. Chaque fois à nouveau l’on croit découvrir une nouvelle marche de l’escalade du paroxysme, et les expressions à mesure, tonitruantes, angoissées, interrogatives ou prédicatrices. Chaque fois aussi, – et c’est là le sujet qui m’importe, – la sentinelle qui se tient sur les remparts se trouve précipitée dans une veille épuisante du rapport des événements qui s’abattent en une pluie diluvienne, comme si cette pluie lui était personnellement destinée.
Chaque fois, encore, l’ivresse de l’événement vous prend et, malgré ces avatars et l’épuisement qu’ils suscitent, vous vous précipitez dans les “nouvelles” (je préfère ce mot d’un charme désuet au “les infos” qu’on entend si souvent) ; vous êtes haletant d’en savoir plus, à chaque heure, à chaque minute même, comme si surgissait en flots grondants, sous vos yeux, le spectacle de ce monde en fureur. Chaque fois, toujours, se pose la même question, qui surgit d’elle-même, de la fatigue, de la sensation de se perdre dans des dédales de nouvelles contradictoires, de perdre le fil de l’essentiel pour tenter d’établir des vérités accessoires qui finalement, c’est l’évidence même de la nature de la chose, compteront fort peu. Dans ces moments de répit qui sont aussi des moments d’épuisement et de retirement temporaires, il n’y a pas de plus forte perception de cette sensation de ce qu’est “l’écume des jours”, comme si l’on ressortait de la marée grondante et furieuse des “événements du jour” qui s’avère être aussi pour qui n’y prend garde comme une sorte d’anesthésiant de la pensée générale ; et l’on s’avise bientôt, si l’on a quelque entrain pour animer l’esprit, que ce moment d’épuisement et de retirement temporaire est aussi un moment de reprise de soi-même pour tenter de retrouver la signification fondamentale des choses.
Cette fois qui est celle de la crise ukrainienne, ce fut et cela reste encore tout cela, bien plus encore que la fois précédente et que les autres fois, parce que la crise ukrainienne est vraiment colossale, centrale, fondamentale, comme chacun le sent bien. D’autre part, cette crise est “colossale, centrale, fondamentale” également par la puissance du déchaînement du système de la communication. On s’est battu et l’on bat littéralement à coups de nouvelles, d’analyses, de dénonciations des mensonges de l’autre, d’attaques de ce qu’on juge être la propagande adverse, d’offensives et de contre-offensives d’interprétations ; en fait, jamais aussi forte sensation d’un champ de bataille de cette intensité, d’une bataille qui se livre en marge de la vraie bataille et qui, par son intensité, finit par devenir le centre, le cœur même de la bataille, c’est-à-dire elle-même la vraie bataille finalement ; inversion dans la méthode et dans l’acte lui-même, la marge devenant le centre et le cœur de la chose, et la réalité de l’affrontement devenant en quelque sorte la marge, invitée, impérativement appelée par chacun à confirmer sa vision, sa perception. Jamais cet étrange renversement des nécessités de l’affrontement, l’inversion des priorités et de l’essentialité des choses, ne sont apparues plus flagrantes que dans cette crise ukrainienne... Le système de la communication triomphe et l’on comprend que c’est bien là le nœud de la bataille, cet affrontement du savoir immédiat, écarter l’infâme de ce qu'on juge être mensonge et montage, et galoper pour retrouver la marque de la vérité de la situation... La crise ukrainienne nous a fait progresser d’une étape supplémentaire dans cet enjeu fondamental du temps présent, de ce big Now (voir le 29 janvier 2014) qui nous écrase absolument et nous étouffe, de ce temps qui ne cesse de se contracter comme un arc se bande jusqu’à frôler la rupture, pour mieux décocher sa flèche, – image inversée qui rend compte de la réalité inversée de la situation. La crise ukrainienne est un arc qui ne cesse de se bander.
Laquelle “crise ukrainienne” devient alors, on le sent bien, autre chose qu’une crise de plus fût-elle “colossale, centrale, fondamentale”, mais bien un degré de plus dans le vertigineux escalier inversé conduisant à l’acte final de l’effondrement du Système, – car aucune autre issue n’est concevable, dans une telle tension générale, où tout contrôle du flux des choses est définitivement abandonné, où le flux lui-même de l’événement est devenu l’événement. La rapidité de cette “crise ukrainienne” qui n’a plus d’ukrainienne que de nom générique pour s’y retrouver, se trouve dans la prépondérance du flux sur le contenu du flux, parce que le flux est devenu torrent furieux, pluie diluvienne, – devenu incontrôlabilité même, – la “crise de l’incontrôlabilité absolue”, là où les événements ont définitivement acquis leur autonomie et dictent leur loi aux sapiens.
C’est là que la sentinelle que nous sommes, et que je suis, se trouve effectivement devant une interrogation aussi “colossale”, etc., que la marche du monde qui semble devenu fou ; c’est là qu’elle prétend, la sentinelle, décrire cet événement avec les attributs qu’elle juge d’habitude nécessaires, la précision, l’exactitude, tous ces facteurs épars et innombrables dont il est généralement prétendu qu’on peut en sortir la vérité de la situation. On s’épuise dans cette occurrence, on s’use littéralement, on soumet sa psychologie aux attaques renouvelées et insupportables de l’angoisse, du doute, de la fièvre, de l’emportement. On s’épuise et l'on se perd.
(Tout cela, je le décris vu “de l’intérieur de la cuisine”. Le lecteur n’en a pas nécessairement conscience, ce qui lui sera évidemment pardonné puisque cette cuisine n’est pas de sa charge ni de sa responsabilité, mais des nôtres exclusivement. dedefensa.org ne publie pas plus qu’à l’ordinaire. Mais derrière cette apparence, le travail de lecture et d’enquête sur la lecture est effectivement considérable et il dévore le temps. C’est de cette pression-là, difficilement mesurable par celui qui n’est pas au cœur du chaudron, que je parle.)
C’est alors qu’une fois encore, comme chaque fois dans ce cas des crises qui forment désormais le quotidien de notre métahistoire, mais chaque fois davantage et cette fois de plus en plus proche de l’occurrence ultime, une fois encore surgit la nécessité de l’inconnaissance. C’est alors que l’épuisement et le retirement temporaires deviennent vraiment reprise de soi. L’on comprend à nouveau d’une façon claire, éclatante, lumineuse, que la bataille qui se déroule dépasse les acteurs, les identités, les partis, pour devenir à nouveau la bataille autour du Système, et pour nous, et pour moi, jusqu’à mon intime conviction, la bataille contre le Système. L’inconnaissance telle que nous l’avons définie à plusieurs reprises, aussi bien pour le compte du site dedefnsa.org (une première fois le 13 juillet 2011), aussi bien pour le chroniqueur du 19 courant... (le 19 avril 2013), reprend sa place comme règle impérative de l’action fondamentale qu’est cette bataille du système de la communication. Nous voilà au centre de tout, et, pour se trouver plus haut, pour dominer la mêlée sans rien céder de ce qu’on y trouve de fondamental, il importe de retrouver ce guide fondamental, l’inconnaissance qui nous conduit pour écarter ce qui nous paraît de plus en plus évidemment accessoire, et pour désigner, et pour insister et insister encore, sur ce qui doit nous apparaître comme fondamental.
Ne comptez pas sur nous, et sur moi pas davantage, pour vous décrire les innombrables complots et manœuvres en cours, pour vous rapporter les explications stratégiques, évidentes et dissimulées, pour vous annoncer qui est vaincu et qui sera vainqueur dans cette immense bataille de la crise ukrainienne. Comptez sur nous, et sur moi évidemment, pour vous faire entendre combien nous comprenons que cette bataille est encore plus proche qu’aucune autre du moment de vérité métahistorique pour le Système, et que ma mission ne peut être autre qu’observer combien cette occurrence grandiose nous en rapproche. L’inconnaissance triomphe, elle déblaie le terrain des connaissances accessoires et laisse le champ superbement libre à l’établissement de la vérité de cette crise, qui va enfanter une nouvelle vérité du moment, essentiel comme chaque moment où surgit la vérité, laquelle ne peut être définie que par rapport à la progression de l’agonie du Système.
Philippe Grasset