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9107 juillet 2003 — On devrait se souvenir, comme d’une image résumant l’aventure communiste, des visages incrédules, pleins de désarroi, perdus d’incompréhension et de détresse, des soldats du Pacte de Varsovie, spécialement soviétiques, dans Prague d’immédiatement après le 21 août 1968. Autour d’eux, la foule des Pragois, les apostrophant, les insultant, les ridiculisant, ou, finalement, leur expliquant qu’ils n’avaient qu’une chose à faire, — rentrer chez eux. L’explication était simple : au départ de l’invasion, on leur avait dit qu’ils allaient libérer les Tchécoslovaques, menacés par les “revanchards nazis” infiltrés dans la bande à Dubcek et des réformateurs tchécoslovaques.
Que n’a-t-on glosé, à cette époque : c’était donc là la marque des régimes autoritaires, dictatoriaux, qui dissimulent ou déforment l’information vers leurs citoyens, et plus encore leurs soldats, de crainte de ne plus pouvoir les contrôler s’ils connaissaient la vérité. Cet épisode apparut comme le signe le plus évident de la différence entre le régime oppressif de l’Est et nos régimes libéraux. (La même chose était arrivée lors de la répression de la révolte hongroise en 1956, mais de façon beaucoup plus réduite, la violence de l’affrontement ayant très vite effacé toutes les interrogations. Là aussi, comme Prague, les blindés soviétiques venaient “libérer” les Hongrois.)
Il est très révélateur qu’un scénario assez similaire dans ses lignes essentielles apparaisse pour les soldats américains en Irak : eux aussi avaient été instruits d’une mission de “libération” en Irak, et l’accueil devait être à mesure. L’effondrement du moral des troupes US est à la mesure de la déception et de l’impuissance face à une réalité tout à fait différente. Le correspondant de la BBC en Irak emploie les mêmes mots pour décrire la façon dont la mission avait été présentée aux soldats US :
« The recent spate of attacks on American troops in Iraq has had a profound effect on the morale of the US troops stationed here. Even though they are an army of occupation, many soldiers I have spoken to are surprised at the upsurge in violence against them.
» They were told that the people of this country would greet them as liberators. “We're here to help them!” said a soldier on duty at a checkpoint near my hotel. »
Le contraste est frappant avec les forces européennes embarquant pour des missions de maintien de la paix, en Afrique (actuellement au Congo et en Côte d’Ivoire), ou en Afghanistan, ou comme c’était le cas dans les missions en ex-Yougoslavie. Jamais les difficultés des opérations, l’hostilité probable des populations, les affrontements de guérillas où les règles de la guerre conventionnelle ne sont pas respectées, ne sont dissimulés. Les soldats américains, eux, sont confrontés à des conditions complètement différentes de celles qu’on leur avait promises. Leur réaction est d’une totale incompréhension, notamment du comportement de ceux qui les attaquent, de la population, etc :
« Another anonymous soldier spoke to me through the window of his humvee armoured vehicle. [...] “I don't want say anything bad about these people, but the way they're attacking us is just so...sneaky,” he says. “Shooting at us from rooftops as we drive by ... and I wish they'd just like, stand up and fight us.” »
La crédulité des soldats américains s’étonnant et s’indignant que des adversaires moins forts qu’eux, pas armés, etc, utilisent des moyens non conventionnels, est complètement révélatrice de l’esprit qui préside à cette intervention en Irak : une auto-désinformation totale, une mise en condition des forces US selon des situations complètement inventées, conformes aux dogmes idéologiques US. Grâce à la puissance et à la sophistication des moyens de communication, le virtualisme américain est évidemment plus fort que la propagande soviétique, donc les soldats américains sont touchés dans leur psychologie même, ils sont encore plus vulnérables parce qu’incapables de s’adapter. L’essence de la démarche est la même. La réalité du régime américaniste, fondée sur le virtualisme, est en train d’être mise en évidence par la campagne irakienne.
Le problème est d’autant plus difficile que les forces US, à cause de cette psychologie factice, sont extrêmement fragiles. Elles ne s’endurcissent pas. Elles cultivent cette attitude d’irresponsabilité enseignée par le virtualisme, une attitude proche de celle de l’enfant gâté, réagissant devant l’adversité non pas en cherchant à s’adapter à elle (éventuellement pour la maîtriser), mais en refusant son existence même sous l’argument qu’elle n’est pas conforme à ce qui avait été annoncé.