Comment faire avaler la couleuvre à l’oncle Sam?

Bloc-Notes

   Forum

Il y a 3 commentaires associés à cet article. Vous pouvez les consulter et réagir à votre tour.

   Imprimer

 1128

…Par “couleuvre”, nous entendons le bel avion de combat US F/A-18 Super Hornet brutalement éjecté, avec son compère le F-16, de la compétition indienne pour un nouvel avion de combat, marché dit MRCA calibré autour de $11 milliards pour 126 exemplaires. On sait donc (voir notre commentaire du 2 mai 2011) que c’est une formidable défaite pour les USA. Les échos, depuis, par divers articles, dont un de Defense News daté du 2 mai 2011 (accès payant), ont montré sans la moindre dissimulation la fureur des USA et de leurs experts devant cette décision indienne. Certains experts fulminent en se demandant, sans la moindre dissimulation, pourquoi l’on n’a pas appliqué à l’Inde les divers moyens de pression que les USA ont pour coutume d’employer pour faire acheter leurs avions, de bon gré et à l’insu de leur plein gré, par des pays évidemment amis et alliés.

Les réactions ont été si violentes que les Indiens en sont désolés. Ils tentent de réparer les dégâts, tout en apprenant de ce fait la très grande difficulté à demeurer ce qu’on est, – notamment souverains et indépendants, – lorsqu’on veut faire commerce et amitié stratégique, sur un pied d’égalité bien entendu, avec les USA. En général, les USA entendent l’égalité entre deux partenaires évidemment égaux selon la formule classique qui dit que l’un est un peu plus égal que l’autre…

D’où cette longue tirade de Shashi Tharoor, ce 11 mai 2011, sur Aljazeera.com (venu de Project Syndicates, un site très “chic” pour porter la voix des grands commentateurs du Système, dont certains dans le mode poliment contestataire). Tharoor est un ancien ministre d’Etat indien pour les affaires extérieures, il est adjoint au secrétaire général de l’ONU et membre du Parlement indien. Il est en mission commandée de damage control des relations avec les USA, de la part du gouvernement indien. La conclusion de son article nous permet d’apprécier les mesures considérables de baume qu’il s’emploie à mettre sur la blessure profonde causée à l’humeur et aux intérêts yankees par la décision indienne.

«…Is India being its old prickly non-aligned self again? Is appeasement of India's notoriously anti-American politicians more important to a beleaguered Indian government than winning over the US? Will India's traditional obsession with preserving its strategic autonomy always limit its usefulness as a partner to the US?

»Such questions are unfair. Surely, India-US relations transcend any single arms purchase. Why should the financial value of one deal be the barometer of a strategic partnership? It is simply narrow-minded to reduce US foreign policy towards India to the bottom lines of American defence salesmen.

»Nor is there any military estrangement between the two countries. Even if this deal didn't work out for the US, it remains a leading arms supplier to India, having won bids to provide ships, reconnaissance aircraft, and advanced transport planes. The Indian army, navy, and air force still conduct more exercises with US defence forces than with those of any other power.

»And the strategic relationship is not one-way. The US, too, has a strong interest in Indian strategic autonomy, which would be buttressed by a wider range of external partnerships, including with the European states that will benefit from the aircraft tender. Though India is rightly allergic to being seen as a US-supported counterweight to a rising China, in practise it is avidly courted by Southeast Asian countries anxious to balance the Chinese, a development that suits American interests. Obama's visit to India last November reinforced a perception that the two countries share an increasingly convergent worldview, common democratic values, and thriving trade. None of this will cease to be relevant if India buys a European fighter plane.

»In fact, the potential for Indian-US collaboration in a variety of military and non-military areas could be enhanced by this decision. Turning the US down this time actually frees India's hands to pursue other aspects of the partnership, immune from the charge that it is too responsive to American pressures. India has not foreclosed its options; it has enlarged them.»

D’une façon convenue pour le courant, mais tout à fait inattendue pour qui s’adresse à des interlocuteurs américanistes, c’est-à-dire à l’hubris américaniste, Shashi Tharoor s’est employé auparavant (avant l’extrait ci-dessus) à les rassurer en les assurant que ce qui était en cause, justement, n’était pas les liens “stratégiques” entre l’Inde et les USA, mais la qualité du matériel américaniste, détestable et dépassé, et les pratiques habituelles des USA dans ce genre de marché, inacceptables et peu loyales. Ce qui est étrange dans ce propos, notamment à la lumière à la fois de ce qui suit et de ce qu’on a cité, c’est que Tharoor semble croire que cela va raccommoder l’Inde avec ses amis américanistes. Il ne les connaît guère, car ce qu’il dit ci-après, au contraire, ne les fera que s’étrangler un peu plus profond de fureur… Imagine-t-on cela ? Mettre en cause la vertu exceptionnelle et inatteignable du technologisme américaniste, de la pratique et du brio américanistes dans ce domaine, et tutti quanti ? Crime de lèse-majesté, Tharoor…

«The notion that a major arms purchase should be based on broader strategic considerations – the importance of the US in India's emerging Weltpolitik - rather than on the merits of the aircraft itself, strikes Indian officials as unfair. Some deny that the decision reflects any political bias on the part of India's taciturn, left-leaning defence minister, AK Antony. The choice, they aver, is a purely professional one, made by the Indian Air Force, and only ratified by the ministry.

»The two European fighters are generally seen as aerodynamically superior, having outperformed both US-made aircraft in tests under the adverse climatic conditions in which they might have to be used, particularly in the high altitudes and low temperatures of northern Kashmir. Experts suggest that the American planes are technologically ten years behind the European ones, and it doesn't help that Pakistan, India's likely adversary if the aircraft were ever pressed into combat, has long been a regular US client for warplanes.

»Moreover, Indian decision-makers could not help but be aware that the US has not, over the years, proved to be a reliable supplier of military hardware to India or other countries. It has frequently cut off contracted supplies, imposed sanctions on friends and foes alike (including India), and reneged on delivering military goods and spare parts, in addition to being notoriously unwilling to transfer its best military technologies.

»The current Indian fleet of mainly Russian and French planes has suffered from no such problems, and the existing ground-support and maintenance infrastructure would have needed major changes to handle US aircraft. (It is likely that the eventual winner of the bid will be required to enter into a joint-production arrangement with India, which US companies would not have done.)»

Cette plaidoirie pour l’amitié stratégique Inde-USA, malgré l’expulsion des avions US de la compétition MCRA, est donc singulièrement maladroite parce qu’elle s’adresse à la psychologie américaniste. (Sans cela, elle serait correcte et acceptable.) Du point de vue indien, au contraire, certes, elle représente une démarche qui ressort probablement d’une consigne générale du gouvernement indien, de tenter par tous les moyens de raccommoder les relations entre les USA et l’Inde.

Cela implique, indirectement, la confirmation que ces relations sont gravement endommagées par cette affaire. Pour nous, c’est sans aucun doute le cas, alors que les Indiens, à l’image de Tharoor, s’étonnent de voir les USA mettre en cause ces relations pour un marché d’armement raté. Mais le fait est plutôt que les réactions US montrent qu’effectivement les USA sont prêts à mettre en cause ces relations avec l’Inde, au nom de leurs exigences impératives. Ces réactions US, dont on a eu l’écho public, ont été, dans les échanges informels, d’une extrême violence. Vivant à l’heure toujours retardée par eux, par rapport à la vérité du monde, de leur toute puissance et selon l’idée qu’une “relation stratégique“ implique nécessairement la soumission de l’autre à la ligne américaniste, et l’équipement militaire de l’autre constitué de quincailleries US, dont les avions de combat US sont le plus prestigieux fleuron, la direction américaniste ne peut souffrir aucune dérogation à ces principes sacrés. Les réactions indiennes, à l’image de celle de Tharoor, ne feront qu’aggraver cet emportement.`


Mis en ligne le 12 mai 2011 à