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1448Un ami de dedefensa.org nous disait donc, entre deux considérations sur l’Ukraine-en-cours, être retombé récemment, à l’occasion de rangements, sur un texte ancien (pensez, 2008) de Friedman, – George, de Stratfor, par le gros Thomas du New York Times, – sur l’avenir de la Russie. C’était à l’occasion de la mort de Soljenitsyne, que nous avions salué le 4 août 2008. Le souvenir nous en vint alors, nous nous étions effectivement arrêté à ce texte de Friedman, tout à fait étonnant par rapport à ce qu’on sait et qu’on ressent évidemment du personnage. George Friedman écrivait son texte le 5 août, nous publiâmes un Bloc-Notes le 6 août 2008. Dans son texte étonnant, Friedman saluait l’“âme russe” et la perspective du retour de la “Sainte Russie”, opposée au libéralisme et à l’américanisme en général et assurée de sa puissance. Dans notre commentaire, et en rapport avec l’enthousiasme que mettait Friedman à saluer ce qu’il semblait considérer comme les vertus les plus hautes chez Soljenitsyne (et dans l’“âme russe” considérée comme exemplaire d’une âme collective), nous parlions d’une sorte de nostalgie chez lui, qui s’appliquait manifestement au fait que l’américanisme ne puisse et ne pourrait jamais montrer de telles vertus (on le devinait à des remarques telles que «Solzhenitsyn was totally alien to American culture [...] Solzhenitsyn could not teach Americans, whose intellectual genes were incompatible with his...»). Nous n’imaginions pas, en écrivant ce texte du 6 août que le lendemain, la très courte guerre de Géorgie viendrait symboliser effectivement la dynamique du retour de la puissance russe.
Ces sentiments nous semblaient et nous semblent toujours très inhabituels pour un personnage typique (typiquement américaniste) tel que Friedman. Nous n’avons pas du tout suivi les commentaires de Friedman sur la crise ukrainienne, – nous n’avons éprouvé, nous dirions d’instinct ou d’intuition, aucun besoin dans ce sens. Mais, ayant retrouvé ce texte d’août 2008, nous nous sommes reportés pour comparer l’esprit de la chose à un de ses articles récents, en accès libre, du 21 juillet 2014, article de commentaire sur l’Ukraine et Poutine après la destruction du vol MH17. On voit que Friedman, qui spécule sur une chute très rapide de Poutine à Moscou, prend à son compte, sur son ton professionnel habituel qui se veut dépourvu de passion, tous les poncifs de la fantasy-narrative du bloc BAO, et sur la situation russe, et sur l’événement du vol MH17 aussitôt après sa survenue. Nous citons l’introduction de cette analyse et le passage correspondant à la destruction de MH17. (La “réévaluation” dont il est question dans le premier paragraphe cité ne porte certainement pas sur les jugements de Poutine désigné comme “dictateur” et sur “la menace” que la Russie ferait peser sur ses voisins, – qui restent dans le cadre d’un “point de vue raisonnable” selon le Friedman-Système, donc toujours valable. La “réévaluation” porte sur la puissance du pouvoir de Poutine, sa chute prochaine éventuelle, à-la-Krouchtchev en octobre 1964, et jusqu’à sa “rationalité” même [Poutine ne serait-il pas un peu fou ?]. Il s’agit donc, comme à l’habitude chez Friedman, d’une vue “géopolitique” présentée comme “audacieuse”, mais strictement à l’intérieur des normes de la pensée-Système. Rétrospectivement, deux mois après ce texte, on peut apprécier ce qu’il en est de sa justesse objective, et bien sûr de sa convenance quasi-servile par rapport au Système.)
«There is a general view that Vladimir Putin governs the Russian Federation as a dictator, that he has defeated and intimidated his opponents and that he has marshaled a powerful threat to surrounding countries. This is a reasonable view, but perhaps it should be re-evaluated in the context of recent events. [...]
»If no Ukrainian uprising occurred, Putin's strategy was to allow the government in Kiev to unravel of its own accord and to split the United States from Europe by exploiting Russia's strong trade and energy ties with the Continent. And this is where the crash of the Malaysia Airlines jet is crucial. If it turns out — as appears to be the case — that Russia supplied air defense systems to the separatists and sent crews to man them (since operating those systems requires extensive training), Russia could be held responsible for shooting down the plane. And this means Moscow's ability to divide the Europeans from the Americans would decline. Putin then moves from being an effective, sophisticated ruler who ruthlessly uses power to being a dangerous incompetent supporting a hopeless insurrection with wholly inappropriate weapons. And the West, no matter how opposed some countries might be to a split with Putin, must come to grips with how effective and rational he really is...»
Ainsi, à la lumière de ce qu’est en général ce personnage de Friedman, le texte sur Soljenitsyne reste à la fois, cinq ans plus tard, étrange, absolument “irrationnel” selon sa pensée courante (de Friedman), et d’une certaine façon étonnamment et extraordinairement juste, – comme s’il lui avait été inspiré d’ailleurs que de sa propre pensée courante avec sa psychologie d’américaniste enfermée dans le cadre-Système. Friedman était-il visité et éclairé lorsqu’il écrivit cette ode à Soljenitsyne et, d'une certaine façon, à la vertu transcendantale des âmes collectives ? Le mystère demeure, et pour en faire mieux saisir le poids nous avons choisi de publier à nouveau notre texte du 6 août 2008, – les citations de Friedman et nos commentaires, – pour en faciliter la lecture, éventuellement pour “forcer” à la lecture telle ou telle main trop paresseuse pour cliquer sur le lien. (Le texte fut mis en ligne le 6 août 2008 à 18H11.)
« Il est bon de pouvoir signaler de la part d’un homme qui est manifestement Américain et américaniste, une si forte et belle compréhension, voire une si réelle bienveillance teintée de nostalgie (nostalgie, peut-être, que l’américanisme ne soit pas de la même sorte?), de ce que représente Soljenitsyne (
» Friedman situe parfaitement l’importance de Soljenitsyne, qui est liée à une réalité qui est celle de la nation russe. Il indique bien comment Soljenitsyne a fait un travail de déstructuration (celui de l’imposture communiste, en exposant par ses écrits les souffrances dont cette imposture est la cause) et un travail de restructuration parallèle (celui de l’“âme russe”, en exposant par ses écrits l’aspect commun et collectif de cette souffrance commune engendrée par l’imposture); ce travail de restructuration ne peut s’accomplir en tant que tel qu’en identifiant et en dénonçant l’autre adversaire déstructurant, – l’imposture libérale et individualiste, qui prospère sur les ruines du communisme, en s’affirmant comme une imposture peut-être plus perverse encore dans son universalité accomplie que celle qu’elle remplace.
»“There are many people who write history. There are very few who make history through their writings. Alexander Solzhenitsyn, who died this week at the age of 89, was one of them. In many ways, Solzhenitsyn laid the intellectual foundations for the fall of Soviet communism. That is well known. But Solzhenitsyn also laid the intellectual foundation for the Russia that is now emerging. That is less well known, and in some ways more important.”
» Ce qui est remarquable dans le texte de Friedman, c’est qu’un homme qui s’est manifesté souvent comme profondément américaniste puisse si bien exposer la puissance du concept spirituel de nation (l’âme russe) en marquant pourtant combien ce concept est étranger à l’américanisme. (C’est pourquoi nous parlerions de nostalgie à propos de son commentaire: on a bien plus d’une fois la sensation, à la lecture de ce texte, que Friedman regrette que les conceptions et la psychologie américanistes, si étrangères à la vision de Soljenitsyne, n’en soient pas au contraire imprégnées.) Son analyse de l’action de Soljenitsyne, action involontaire autant que volontaire, est remarquable pour un spécialiste de la géopolitique, en ridiculisant in fine l’importance accordée aux notions de force et de pression brutale qui caractérisent si grandement la politique américaniste. La description que fait Friedman de la convergence entre les conceptions de Soljenitsyne et l’évolution actuelle de la Russie marque effectivement sa compréhension de l’importance du phénomène qu’il décrit, notamment en avançant l’idée que Soljenitsyne n’a fait que décrire et représenter une force puissante, promise à rejaillir, qui est la résurgence de “la Russie traditionnelle” par sa propre dynamique de légitimité (“[T]he traditional Russia that Solzhenitsyn celebrated is emerging, more from its own force than by political décisions”). C’est, indirectement, une formidable critique de la psychologie américaniste et une critique aussi forte de la modernité dans sa phase grimée en postmoderne (Friedman serait-il un “anti-moderne”?).
» “Think now of the Russia that Prime Minister Vladimir Putin and President Dmitri Medvedev are shaping. The Russian Orthodox Church is undergoing a massive resurgence, the market is submitting to the state, free expression is being tempered and so on. We doubt Putin was reading Solzhenitsyn when reshaping Russia. But we do believe that Solzhenitsyn had an understanding of Russia that towered over most of his contemporaries. And we believe that the traditional Russia that Solzhenitsyn celebrated is emerging, more from its own force than by political decisions.
» ”Solzhenitsyn served Western purposes when he undermined the Soviet state. But that was not his purpose. His purpose was to destroy the Soviet state so that his vision of Russia could re-emerge. When his interests and the West’s coincided, he won the Nobel Prize. When they diverged, he became a joke. But Solzhenitsyn never really cared what Americans or the French thought of him and his ideas. He wasn’t speaking to them and had no interest or hope of remaking them. Solzhenitsyn was totally alien to American culture. He was speaking to Russia and the vision he had was a resurrection of Mother Russia, if not with the czar, then certainly with the church and state. That did not mean liberalism; Mother Russia was dramatically oppressive. But it was neither a country of mass murder nor of vulgar materialism.
» ”It must also be remembered that when Solzhenitsyn spoke of Russia, he meant imperial Russia at its height, and imperial Russia’s borders at its height looked more like the Soviet Union than they looked like Russia today. ‘August 1914’ is a book that addresses geopolitics. Russian greatness did not have to express itself via empire, but logically it should — something to which Solzhenitsyn would not have objected.
» ”Solzhenitsyn could not teach Americans, whose intellectual genes were incompatible with his. But it is hard to think of anyone who spoke to the Russian soul as deeply as he did. He first ripped Russia apart with his indictment. He was later ignored by a Russia out of control under former President Boris Yeltsin. But today’s Russia is very slowly moving in the direction that Solzhenitsyn wanted. And that could make Russia extraordinarily powerful. Imagine a Soviet Union not ruled by thugs and incompetents. Imagine Russia ruled by people resembling Solzhenitsyn’s vision of a decent man.
» ”Solzhenitsyn was far more prophetic about the future of the Soviet Union than almost all of the Ph.D.s in Russian studies. Entertain the possibility that the rest of Solzhenitsyn’s vision will come to pass. It is an idea that ought to cause the world to be very thoughtful.” »
Mis en ligne le 1er octobre 2014 à 05H02