Communication versus complot, ou “qui gagne perd”

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Au départ, tout semblait parfait : la préparation de l’opération, l’attaque, BHO et ses potes suivant l’affaire “en temps réel” dans leur Operation Room personnelle, comme on visionne un nouveau film, la déclaration de BHO, l’enthousiasme… Un vrai conte de fée, une “vérité officielle” de premier choix. Puis vinrent les grains de sable.

• Jason Ditz, du site Antiwar.com, le 4 mai 2011, résume cela pour nous : «A number of the details surrounding the Obama Administration’s initial account of the Sunday slaying of Osama bin Laden in Pakistan have been revised by officials today. The most noteworthy of these is the claim that bin Laden was killed in an intense firefight, and that officials really hoped to take him alive…» La dernière phrase du rapport de Jason Ditz vaut son pesant d’ironie : «It remains to be seen if other major changes will be forthcoming.»

Choisissons deux réactions de deux journaux londoniens réputés, de deux horizons politiques différents. Dans les deux extraits choisis, vous remarquerez qu’on trouve exactement les mêmes remarques terminales, qui se réfèrent aux “théories complotistes”.

• Dans le Telegraph du 3 mais 2011, —

«Claims that the al-Qaeda leader had died while firing an automatic weapon at commandos were withdrawn, with President Barack Obama’s spokesman admitting “he was unarmed”. A dramatic description of bin Laden using his wife as a “human shield” and forcing her to sacrifice her life also proved to be false. The woman was still alive and was taken into custody with several of the terrorist’s children.

»In an embarrassing climb-down, Barack Obama’s press secretary, Jay Carney, admitted that the previous version of events — which came mostly from the chief US counter-terrorism adviser, John Brennan — had been put out “with great haste”. The about-turn left the US open to accusations of a cover-up and led to calls for video footage of the raid in Abbottabad, Pakistan, and images of bin Laden’s body to be released to end conspiracy theories…»

Précisions sur ces demandes de publication de matérields supplémentaires (photos) pour contrer les théories complotistes : «However, the White House suggested that pictures of bin Laden’s body were too “gruesome” to be made public because they could prove “inflammatory”.»

• Dans le Guardian du 3 mai 2011, des précisions dans le sens qui nous importe.

«The account of what happened in Osama bin Laden's final hideaway was succinct and clear when Barack Obama delivered it on Sunday, but it has become more confused in the days since, with conflicting and inaccurate accounts from the White House. […]

»Did the Obama administration deliberately suggest he had hidden behind his wife as part of an attempt to portray him as a cowardly figure? Did it want to suggest he was armed to avoid criticism that US forces shot dead an unarmed man? Was it just part of the fog of war, with a clear account only available when those engaged in the mission are fully debriefed?

»The problem for the White House is that damage has already been done, with these discrepancies opening the way for, at the very least, future conspiracy theorists…»

Effectivement, il n’en faut pas beaucoup plus, et même un peu moins suffirait pour faire naître, alimenter et faire croître et embellir les théories de complot à propos de la mort de ben Laden. Cela est déjà en cours, d’ailleurs. Dans tous les cas, la question de l'efficacité des hommes du Système dans la matière vitale de la communication se pose, avec ce cas, une fois de plus, considérées à la fois l’assurance et la maladresse avec lesquelles sont assurées les actions de communication du pouvoir américaniste…

Assurance, sans aucun doute, mais très vite affirmée et tenue pour acquise et intangible. Dès lors qu’il fut décidé qu’Obama annoncerait publiquement et solennellement la nouvelle de la liquidation de ben Laden, il fut parallèlement exigé par les services de communication de la Maison-Blanche que la version des événements qui serait présentée serait absolument caractérisée par l’assurance de la certitude et par son aspect définitif. Cette version devrait être présentée comme définitive et non amendable, selon l’argument que le président ne peut présenter quelque chose qui n’est effectivement pas bouclé, – parce que le président doit être perçu comme étant en position de contrôle de toute chose, et que cela implique effectivement une version bouclée et inaltérable.

Par conséquent, la Maison-Blanche et ses services de la communication présentèrent la version en question comme définitive. Une fois le discours prononcé et la chose devenue publique, bien entendu l’agitation se répandit autour des orientations et des détails de l’intervention, notamment auprès des divers centres de pouvoir impliqués (Pentagone, Special Forces, Navy, services de renseignement, département d’Etat, etc.). Très vite, comme cela est absolument inévitable dans ce cas où l'on trouve des intérêts concurrentiels des bureaucraties impliquées, il apparut que d’autres versions étaient présentées par certains centres de pouvoir ayant eux-mêmes leurs canaux de communication. Cette pression, qui risquait de faire de graves dégâts si elle n’était pas neutralisée par une prise en compte officielle, a conduit aux modifications présentées officiellement, qui changent ce qui n’est plus désormais “la vérité officielle” mais qui devient une narrative plus ou moins officielle (c’est le cas dès lors qu’il y a des modifications qui sont apportées à une version initiale, cela conduisant à envisager que le “récit” communiqué devient un arrangement évolutif et malléable des services de communication, donc une narrative). On se trouve désormais dans un territoire très mouvant, avec des concurrences ouvertes du point de vue de l’interprétation, avec des centres de pouvoir ayant intérêt à l’une ou l’autre version, ou à la contestation de l’une ou l’autre version ; par conséquent, dans une situation complètement instable, où peuvent proliférer les démentis, les contradictions, les “fuites”, etc., tout cela ne cessant de contribuer à une dégradation rapide de l’image de l’intervention, de la justification de l’intervention et ainsi de suite.

Il faut noter, bien entendu, que ces divers avatars n’empêchent pas les versions complotistes, et n’empêchent en aucune manière que l’une ou l’autre des versions complotistes soit éventuellement juste. Effectivement, comme on l’a dit plus haut, plus rien ne protège le compte-rendu officiel de l’opération ni ne lui donne une véritable sacralisation officielle. Par conséquent, plus rien n’interdit l’opération elle-même d’être mise en cause dans sa véracité fondamentale, et de se voir opposée une version impliquant un montage, une tromperie, une manœuvre, etc., et par conséquent de justifier le soupçon de complot… Le Système, par sa forme déstructurée elle-même, est la source qui nourrit et alimente toutes les contestations et, éventuellement, les accusations de complot contre lui.

D’où la question : arriveront-ils jamais à faire un bon “coup”, – bon de bout en bout ? L’élimination de ben Laden présentée comme une opération glorieuse, héroïque et efficace, se ternit déjà de remises en cause, de contradictions, de versions contradictoires, et du soupçon de montage et de tromperie que rien ne dément, et que rien en vérité ne pourra démentir. Cette dérive, qui a lieu à peu près à chaque opération de cette sorte, avec forte exploitation de communication, semble irréversible et inévitable dans le système de l’américanisme. Dès lors qu’il n’y a pas de réel pouvoir central disposant d’une autorité et d’une légitimité à mesure (disons, pour qu’on se comprenne, de type régalien), tous les centres de pouvoir existant pèsent d’un poids considérable et peuvent modifier la réalité officielle avec facilité, selon les circonstances et la valeur de leurs arguments. Dans ces conditions, aucune communication fondamentale ne peut rester structurée et disposant elle-même d’une essence qui rendrait sa contestation très difficile ; au contraire, dans ce cadre ouvert, tout est “mou”, malléable à merci, modifiable, etc. Cette absence de fermeté nourrit la relativité constante et, par conséquent, la vulnérabilité comme façon d’être. C'est là le phénomène classique des pouvoirs déstructurés et sans légitimité, – le “qui gagne perd” signifiant que, dès lors qu'on a imposé sa version d'un fait, cette version est aussitôt soumise à contestation et devient très vulnérable.


Mis en ligne le 4 mai 2011 à 14H23